Partout presque dans le monde «arabe», le moteur de la politique n’est plus la guerre, le nationalisme, le suffrage universel ou le choix des peuples. On peut fabriquer une vie politique, c’est-à-dire une sorte de feuilleton à rebondissements
incestueux, avec trois acteurs qui excluent le peuple et lui demandent de regarder, assis, en rangs calmes : un président malade, son fils ou son frère, deux ou trois attentats terroristes et quelques vagues réformes. Composés selon l’ordre ou le désordre, cela vous donne des élections, des discours de pouvoir sur lui-même, ou des rumeurs de succession. On a vu cela chez nous, en Arabie Saoudite, en Lybie, en Tunisie et aujourd’hui en Egypte. C’est la maladie d’un président «arabe» qui révèle le mieux le statut clinique de nos sociétés. Nous sommes tous au chevet d’une époque qui ne veut pas partir, piégés entre deux hospitalisations et un cycle d’intérimaires. Tellement et si bien que, partout dans ce monde «arabe», les oppositions démocratiques surveillées ne s’opposent plus à des programmes, des discours ou des choix, mais seulement à des fils et à des systèmes de successions basés sur le sang et la filiation. On ne demande même plus à un dictateur d’être démocrate mais au moins de ne pas nous laisser son fils ou son proche sur le dos et de nous épargner l’insulte devant le reste du monde et notre réduction à des sujets de monarchies. Car s’en est devenu notre quotidien que ce glissement de la constitution vers le livret de famille et cette réclusion dans le règne des mamelouks. On en regrette presque l’époque franche des coups d’Etat directs, des colonels perturbés par des hormones et des révolutions de Palais. Aujourd’hui, de cette belle ère, il ne nous reste que des photos en noir et blanc et quelques témoignages de vieux officiers.
Les nouveaux dictateurs ne font plus des conseils de guerre ni des purges de méfiance : seulement des enfants et des héritiers. C’est même la nouvelle tendance : le monarchisme de la stabilité. Ce maître mot, la stabilité, est désormais l’avenir des peuples qui n’ont pas droit de choisir leur avenir. C’est ce que veut l’Occident, le dictateur local, son fils ou son parent et les classes dirigeantes de n’importe quel pays «arabe». L’avenir fait tellement peur qu’on préfère le confier à des enfants et pas à des lendemains. On en était là, il y a quelques siècles : à élire sur un canapé ou dans un berceau, des enfants-rois pour que le Royaume n’échappe pas à sa dormance. C’est cela donc : la maladie d’un président «arabe» est notre seul événement. On en surveille l’avion, le passage à la télévision d’Etat, l’apparition du fils ou du proche et la lecture de ses télégrammes absurdes, signés par des intendances en pilotage automatique, exprimant un affreux vide et une sorte d’au-delà bureaucratique éternel qui peut se passer du peuple et même de son Roi pour continuer.
17 mars 2010
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