Chronique du jour : DECODAGES
STRATÉGIE INDUSTRIELLE :
Public d’abord, privé après ?
Par Abdelmadjid Bouzidi
abdelmadjidbouzidi@yahoo.fr
Cela fait presque trois ans qu’ont eu lieu les «Assises sur la stratégie industrielle », sous le slogan «un géant se réveille !» (excusez du peu !). Nous attendons depuis de connaître le contenu précis de cette nouvelle politique industrielle et de savoir si l’Etat algérien a vraiment décidé de la mettre en œuvre. Le ministère de la Privatisation et de la Promotion des investissements (MPPI) avait édité et fait discuter, lors de ces assises, un document intitulé «Stratégie et politique de relance et de développement industriels». Trois séries de mesures y sont préconisées.
1/ Le mode d’organisation de la nouvelle industrie algérienne.
2/ La politique d’investissement qui va y être déployée.
3/ La manière dont l’activité industrielle va être régulée.
I – L’organisation du secteur industriel
Dans la nouvelle «stratégie», les entreprises industrielles publiques sont maintenues pour la plupart d’entre elles. Elles seront financièrement assainies, regroupées par branche d’activité et ouvertes au partenariat étranger. L’Etat n’envisage pas de s’appuyer d’abord sur l’entreprise privée pour relancer l’industrie. Il semble même donner ses faveurs à l’entreprise publique, quitte à la restructurer tel que nous venons de le rappeler.
II – Le mode d’accumulation dans le secteur industriel (l’investissement)
La nouvelle stratégie de développement industriel repose d’abord et avant tout sur l’apport financier de l’Etat qui restera gros investisseur sans exclure, bien évidemment, l’investissement privé national et étranger. L’Etat investira probablement et chaque fois qu’il le pourra en partenariat avec les investisseurs privés, notamment étrangers, mais il ne se retire pas de l’effort d’investissement, notamment dans les gros projets qui concerneront les industries mécaniques, pétrochimiques, électriques et électroniques, chimiques et pharmaceutiques. Relevons ici que les choix sectoriels de la politique industrielle des années 1970 sont maintenus. Le document du MPPI précise, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas «seulement de réformer l’environnement institutionnel et économique national et de laisser les agents privés et les investisseurs décider souverainement de leurs choix et les forces du marché jouer librement». Voilà qui est clairement dit : l’Etat reste actif et bien actif.
III – Le mode de régulation
Dans le domaine de la régulation, l’Etat intervient pour orienter les décisions des investisseurs dans le sens voulu et arrêté par la stratégie industrielle. Il ne s’agira pas de régulation directe faite d’injonctions administratives d’obligation de faire ou de ne pas faire mais de régulation indirecte en corrigeant «les effets indésirables du marché».
Si on devait résumer la nouvelle stratégie industrielle en un minimum de mots, on retiendrait trois grandes idées :
a) Le rôle prééminent de l’Etat dans l’investissement et dans la régulation est confirmé ;
b) la plus grande partie des plateformes et des entreprises industrielles publiques existantes sont récupérées et leur capital sera ouvert à des partenaires étrangers dont il est attendu un apport en technologie et en management ;
c) un pilotage de la politique industrielle par un comité gouvernemental de veille sera organisé.
Le rôle et la place de l’entreprise privée nationale sont reconnus sans être définis avec précision et le soutien de l’Etat qui leur est indispensable dans cette phase de relance de l’ambition industrielle de l’Algérie n’est pas souligné.
Ces orientations de la nouvelle stratégie industrielle appellent de notre part les observations suivantes :
1 – Au plan théorique et en matière de politique industrielle, il y a aujourd’hui deux thèses principales en débat sur le rôle de l’Etat dans ce domaine :
a) La première thèse insiste sur le rôle de l’Etat qui doit, surtout dans les pays du Sud, définir par une politique volontariste les nouvelles spécialisations, mobiliser les ressources pour l’investissement et compter d’abord et avant tout sur ses propres forces, l’investissement direct étranger étant, au mieux, un complément à l’effort national et dont il ne faut attendre aucun miracle. Selon ce point de vue, l’Etat doit reprendre l’investissement industriel, consolider les instituts de formation de cadres compétents, développer la recherche-innovation ;
b) la seconde thèse débattue est celle qui défend l’idée d’une nouvelle politique industrielle en phase avec les contraintes qu’impose qu’impose la mondialisation. Cette nouvelle politique industrielle (nous préférons parler, quant à nous, de stratégie industrielle), suppose un nouveau rôle de l’Etat. Aujourd’hui, ce sont bien les firmes internationales qui imposent leurs stratégies et pas seulement dans l’industrie. Elles sont, elles-mêmes, obligées d’intégrer dans leur démarche, les nouvelles caractéristiques du contexte mondial dont on peut citer :
— l’accélération du libre-échange ;
— le développement des réseaux d’information et de communication ;
— la baisse des coûts de transport ;
— la hausse des coûts de la recherche-innovation.
Les nouvelles données obligent les firmes internationales à rechercher des économies d’échelle, à réduire leurs coûts, à développer des facteurs de compétitivité. Elles externalisent leurs activités dans les pays qui ont les capacités de les accueillir. Elles ne cherchent plus à contrôler la gestion des partenaires étrangers par des prises de participation majoritaires. A la place, elles s’installent ou bien elles passent des contrats avec les entreprises locales lorsque celles-ci sont performantes. Les firmes internationales deviennent des firmes réseaux. Et participer activement «par le haut» au processus de mondialisation de l’économie, c’est intégrer ces firmes-réseaux, c’est s’intégrer dans les chaînes de valeurs internationales en réalisant des segments du processus de production piloté par ces firmes internationales. Dès lors, pour les pays du Sud, cette mondialisation impose des restructurations industrielles, des restructurations offensives. Pour ne pas être laissés au bord de la route, il faut renoncer à certaines activités et en développer de nouvelles, plus performantes, plus novatrices, plus intégrées aux firmes-réseaux. Les politiques industrielles et technologiques de type colbertiste avec rôle déterminant de l’Etat qui constituaient la pratique habituelle des gouvernements ne sont plus à l’ordre du jour. De même, l’avantage compétitif ne repose plus sur l’avantage comparatif obligatoirement et la politique industrielle nationale devient pour une grande part, une politique de l’attractivité qui doit répondre à la question de savoir comment faire pour attirer les firmes internationales sur le territoire national soit en tant que producteur, soit en tant que donneur d’ordres. Bien évidemment, cela ne signifie pas de s’intéresser des entreprises nationales, mais, au contraire, insérer celles-ci dans des démarches de partenariat de production, de service, de recherche-innovation avec les entreprises étrangères. La spécialisation des économies émergentes ne se fait plus «ex-ante» (à l’avance) en fonction de leur dotation en facteurs (capital, travail et ressources naturelles) mais en fonction des choix de localisation que font les firmes internationales. Les Sud-Coréens et les Japonais décident de s’installer en Algérie et notre pays devient spécialisé en électronique alors qu’au départ l’Algérie n’a, là, aucun avantage comparatif. Les politiques «d’industries industrialisantes» et d’import-substitution sont abandonnées pour les modèles «d’export-promotion». Les politiques industrielles adoptées récemment par le Maroc ou la Tunisie s’inscrivent dans cette nouvelle démarche. Penser une stratégie industrielle ne peut plus se faire en autarcie, c’est-à-dire en ignorant ce qui se passe dans le monde, en ignorant comment l’industrie mondiale est en train de se reconfigurer, non plus par le fait des Etats seuls mais aussi et de plus en plus par celui des firmes internationales et des fonds d’investissement.
A. B.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/03/17/article.php?sid=97221&cid=8
17 mars 2010
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