Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Touchez pas à nos chèvres volantes !
Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com
La «complotite» serait une maladie génétique qui remonte à la nuit des temps, elle serait même apparue en même temps que grandpère Adam et grand-mère Eve. Le mal serait même antérieur, et serait né avec Azazel, le diable et prince consort lorsqu’il complota contre Dieu lui-même, son Créateur. Qu’importe ! Ce sont les Arabes qui ont redécouvert cette maladie, l’ont étudiée sous toutes ses manifestations et ont oublié paradoxalement de s’en prémunir ou de s’en guérir.
Il y a des remèdes qui ne font pas disparaître la nostalgie du mal perdu, alors autant s’y attacher et en faire une valeur sûre, nationale de préférence. Le plus grand service que vous rend la «complotite» est de vous faire voir tous les complots qui se trament contre vous. Ce n’est pas une forme d’hallucination qui se décline uniquement de droite à gauche, mais une vision de l’invisible, privilège des peuples qui croient justement à l’invisible. A ne pas confondre avec le don de voyance qui a empêché les Arabes de voir 1948, 1967, 1973, et la suite. Le principal avantage qu’il y a à détecter les complots de vos proches, c’est qu’il vous permet de déclencher, à votre tour, un complot anticomplot. Dans notre culture du complot, il est licite, voire très instamment recommandé, de comploter pour déjouer une conjuration adverse. La guerre est affaire de ruse et de traitrise, mais il vaut mieux, pour l’Histoire, apparaître en état de légitime défense. La légitime défense, voilà la formule magique qui explique et justifie tous les complots que vous vous sentez en droit d’ourdir (merci au correcteur de respecter cette formulation). Ainsi, lorsque l’entraîneur (sans entrain de l’équipe nationale, j’ai nommé Saâdane, se rend à Tlemcen, ce n’est pas pour une retraite mystique au mausolée de Sidi-Boumediène mais pour y déjouer un complot. Ces choses-là, ça ne s’invente pas, je m’empresse de le préciser au cas où des regards soupçonneux se dirigeraient vers moi. Ce titre barrait la Une du quotidien Al-Nahar-Aldjadid ce samedi : «Saâdane se rend à Tlemcen pour y déjouer le complot de Raouraoua.» J’ai toujours cru que Tlemcen était la Ur du complot originel, celui qui a permis au «groupe d’Oujda» de se métamorphoser en «groupe de Tlemcen», et de nous mener là où nous sommes. A moins que le Cheikh in Cheikh Saâdane ait découvert un marabout plus fort que le saint patron de la cité, je ne vois pas comment on peut aller à Tlemcen pour déjouer un complot qui se trame à Alger. Nous voilà donc en plein «complot algéro-algérien» alors que nous venons à peine de nous remettre d’une série de «complots égyptiens» qui nous ont laissés pantois. Pourquoi diable notre ami Raouraoua irait-il comploter contre le «meilleur entraîneur du monde», si ce n’est pour le changer ? J’aurais compris que le président de la fédération «complote», pour maintenir Saâdane jusqu’à la prévisible pantalonnade de 2014, rien que pour me contrarier. J’aurais trouvé même normal qu’il lui renouvelle sa confiance, mais qu’il «complote» pour lui nommer un adjoint, voilà qui me dépasse. Nous serions donc confrontés, comme à l’été 1962, à l’affrontement de deux groupes antagoniques, celui de Hadj Raouraoua et celui de Cheikh Saâdane. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre, selon ma grille de lecture, des explications données par le journal de Mohamed Meguedem, alias Anis Rahmani. Il s’avère, en effet, que Raouraoua, pressé de toutes parts, aurait envisagé de désigner un entraîneur adjoint pour épauler Saâdane. Or, ce dernier, suspicieux comme tout bon Arabe nourri à la «complotite », a sa propre définition du verbe «épauler». Pour lui, «épauler» veut dire donner un coup d’épaule, en traître, à quelqu’un pour le bouter hors du champ de jeu. Boumediène a ainsi «épaulé» Ben Bella en 1965, tout comme Chadli Bendjedid a été «épaulé» à son tour en 1992. On sait qui a «épaulé» ce dernier, mais le mystère reste encore entier, en ce qui concerne Boudiaf. Zeroual, voyant venir le coup d’épaule fatal, a choisi de devancer l’appel du cimetière des éléphants. Quant au dernier «épaulé» de la série, celui de février, on sera tous devenus amnésiques avant d’avoir appris quoi que ce soit de tangible. Instruit par l’exemple, Saâdane sait que ce sont le plus souvent les seconds qui remplacent, au pied levé, les entraîneurs en poste. C’est pour cela qu’il a décidé d’aller à Tlemcen, non pas pour y exorciser un possible débarquement, mais pour se choisir son propre adjoint. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, a dû se dire Saâdane avant de désigner indirectement celui qui lui a juré loyauté et obéissance. Tout cela n’est pas très rationnel, donc arabe et tiré des hannetons, mais c’est comme ça. En tout état de cause, il ne faudrait pas que cet épisode désopilant se répercute sur les joueurs de la sélection qui pourraient croire que tout n’est que conspiration. Il ne faudrait pas que le premier éclopé venu se mette à penser qu’à défaut d’avoir une bonne frappe de balle, il suffit de frapper à la bonne porte pour s’ouvrir la voie royale de la sélection. Puisque nous sommes revenus, à notre insu, à cette maudite discipline qui brouille les amis et les nations, parlons des derniers complots égyptiens qui nous concernent. Il s’agit d’abord du poste de secrétaire général de la Ligue arabe, où les Égyptiens veulent rempiler pour un troisième mandat. Je sais, la Ligue arabe, c’est un machin qui ne sert à rien, son secrétaire général ne fait pas grand-chose pour justifier son salaire, mais ce n’est pas une raison. Non contents d’avoir cette ligue à domicile, ainsi que la CAF d’ailleurs, ils veulent aussi les diriger directement. Pourtant, nous avons suffisamment de cadres politiques qui ne savent rien faire et qui peuvent faire marcher la Ligue arabe, sans la brusquer. Ils ont des références convaincantes puisque ça va faire des années qu’ils font tourner l’Algérie au ralenti. Et puis, ils ne vont pas tout accaparer, c’est déjà bien assez de leur avoir fait un cadeau comme la ville du Caire. S’ils ne se contentaient que de ça, jamais repus ces genslà ! Vous allez voir qu’ils font finir par nous prendre les symboles les plus chers à nos cœurs, comme les slogans publicitaires de Djezzy. Il faudrait veiller justement à ce que ces messages, témoignage du génie national, ne soient pas rapatriés en Égypte, en même temps que la société Orascom. Tenez ! La semaine dernière, je suis tombé sur un des nombreux articles critiquant les Arabes dans la presse du Proche-Orient. L’auteur, un Égyptien, a osé imputer aux Arabes la sentence dont nous sommes les plus fiers, et qui résume à merveille notre caractère indomptable. Parlant des Arabes en général face aux évènements actuels en Palestine, il a évoqué le complexe de la «chèvre volante». C’est la situation où deux amis polémiquent autour de l’identité d’une forme qu’ils aperçoivent au loin, au sommet d’une colline. L’un voit une chèvre et l’autre un oiseau de proie, et lorsque la créature prend son envol, celui qui voyait une chèvre s’entête : «C’est une chèvre même si elle vole (Maâza oua law taret).» Or, mes chers et distingués compatriotes, aucun homme sensé, digne de ce nom, à l’exception de Othmane Saâdi, n’irait chercher l’origine de cette sentence du côté du Caire ou de Sanaâ. La chèvre volante, c’est notre patrimoine inextinguible, et inaliénable, c’est un authentique produit du terroir. C’est le lait de nos chèvres qui volent lorsqu’il faut voler qui nous rend plus intelligents, en dehors de quelques exceptions notables déjà citées. Alors, nous interdisons à quiconque d’y toucher, même si c’est dans un but louable comme la réalisation des droits palestiniens !
A. H.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/03/15/article.php?sid=97102&cid=8
16 mars 2010
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