Chronique du jour : A FONDS PERDUS
La gifle islandaise
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com
C’est du grand froid polaire qu’est venue la première réaction honorable à la crise financière. L’Islande a dit «non» à un traitement inéquitable de ses dettes. Ce petit Etat insulaire de 103 000 km2 de glace pour 320 000 habitants affiche comme caractéristique connue de se classer au deuxième rang des pays les plus développés au monde, selon l’indice de développement humain IDH), derrière la Norvège.
Avant la crise, un système d’économie mixte y fonctionnait, avec pour principales activités, les services, la finance, la pêche et les industries. Le samedi 6 mars 2010 restera inscrit au fer rouge comme marque indélébile dans l’histoire du néolibéralisme. Ce jour-là, les Islandais – un petit peuple de pêcheurs réputés peu râleurs — se sont prononcés sur la loi Icesave du nom d’une banque en ligne locale), qui prévoyait la nationalisation de dettes privées et l’imposition de mesures économiques antisociales afin de trouver les fonds nécessaires au remboursement de ces dettes. Quelque 230 000 Islandais étaient ainsi appelés à se prononcer sur l’accord financier Icesave organisant le remboursement par Reykjavik de 3,9 milliards d’euros avancés par Londres et La Haye pour indemniser leurs citoyens lésés par la faillite de la banque en octobre 2008. Une option naturellement prônée par le Fonds monétaire international et l’Union européenne à laquelle ce pays s’apprête à adhérer. L’UE a même soutenu que de la gestion de cette affaire dépendait l’issue de l’examen de la candidature posée l’an dernier par l’Islande à l’Union. Une menace implicitement confirmée par des propos de la Commission européenne affirmant que son opinion sur la question tiendrait compte de «toutes les considérations pertinentes pour l’évaluation» de la capacité de l’Islande à remplir «tous» les critères d’adhésion, «y compris les critères économiques ». La loi Icesave, qui avait été votée par le Parlement islandais dans la nuit du 30 au 31 décembre 2009, visait à entériner la nationalisation des dettes privées et à mettre en œuvre un train de mesures d’austérité (gel des salaires, diminution des dépenses publiques…) pour permettre au pays de s’acquitter des dettes contractées auprès des Etats britanniques et hollandais. La même loi aurait entraîné un surcroît de dette équivalant à 40 % du PIB, soit 18 000 dollars par habitant (si l’on tient compte du versement des intérêts). Face à la vive protestation engendrée en Islande par l’adoption du texte de loi, avec notamment une pétition déposée par 60 000 personnes, le président Olafur Ragnar Grimsson a choisi de ne pas le signer. Cas de figure dans lequel la Constitution de l’Islande prévoit un référendum. «Il est apparu de plus en plus clairement que la population devait être persuadée que c’est bien elle qui détermine le cours de l’avenir», a soutenu le président Grimsson, dont la fonction est en grande partie honorifique en temps normal. «J’ai décidé, sur la base de l’article 26 de la Constitution, de soumettre la nouvelle loi à la nation», a déclaré le président, dont la signature est nécessaire pour que les lois islandaises entrent en vigueur. C’est la deuxième fois depuis l’indépendance de l’Islande en 1944 qu’un président refuse de signer une loi présentée par le gouvernement et dûment adoptée. «Maintenant, la nation a le pouvoir et la responsabilité (sur cette question). J’espère que nous parviendrons ainsi à un accord viable», a ajouté M. Grimsson dans un discours télévisé à la nation. Un peuple et une nation se sont ainsi donné le pouvoir et la responsabilité de dire non à la poursuite des logiques spéculatives anciennes dans le traitement de la crise financière. Les signataires de la pétition réclamant que la loi soit soumise à référendum sont une minorité agissante qui représente toute de même près d’un quart de l’électorat. A cours de la campagne, les partisans du «oui» ont mis l’accent sur la légitimité du remboursement des épargnants britanniques et néerlandais qui ont perdu cette somme avec la faillite des banques locales en 2008, ainsi que sur le respect des engagements antérieurement pris par l’Etat. Le gouvernement islandais de coalition entre sociauxdémocrates et Verts était, lui aussi, favorable au remboursement de ces épargnants lésés (évalués à quelque 300 000). Mais les Islandais, dans leur écrasante majorité, ne l’entendaient pas ainsi. Ils ont rejeté à 93,2 % l’accord financier Icesave. Le «oui» n’a réuni que 2 699 suffrages, soit 1,8 % des voix, tandis que le «non» a obtenu 134 397 votes, pour une participation finale de 62,7 % avec 144 231 votants. Ce «non» massif est une réaction à une double injustice ou à ce qui est perçu comme tel : la nationalisation d’une dette privée et le besoin de se sacrifier pour financer le sauvetage d’une banque privée. Jusque-là, nombre d’esprits critiques étaient frappés par l’impuissance des sociétés humaines et des pouvoirs en place à prendre les bonnes décisions pour faire face et enrayer le déferlement des crises. Pour leur part, les autorités avaient été impuissantes à encadrer, à réguler ou à réglementer le monde économico-financier depuis l’éclatement de la crise. Elles se sont contentées d’injecter de la monnaie de singe dans des rouages pourris, à gesticuler et à menacer les traders et autres spéculateurs en bourse de sanctions qu’elles n’ont jamais mises à exécution. A l’instar des autres pays, l’Islande a été contrainte de nationaliser les trois principales banques du pays, fraîchement privatisées – depuis 2003 seulement — pour éviter qu’elles ne passent en pertes et profits. Il s’agit de Kaupthing, Glitnir, ainsi que Landsbanki, dont dépend Icesave. L’Islande vient d’apporter une réponse courageuse à la crise avec sa résolution à faire payer les conséquences de la crise aux vrais responsables que sont les banques et les fonds spéculatifs. Les institutions locales, aussi bien intentionnées soient-elles, n’ont pas eu le courage d’aller jusqu’au bout de cette logique. Sur proposition de la coalition de centre gauche au pouvoir depuis les dernières élections qui ont suivi l’avènement de la crise, le Parlement a adopté en août 2009 une résolution pour conditionner le remboursement de cette dette aux «capacités de paiement» du pays. Le «non» du référendum est assimilé à une sorte de ralliement à la revendication altermondialiste réclamant l’annulation des dettes du Tiers- Monde Des altermondialistes qui ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin et embrayent avec de nouvelles propositions d’actions : «Nationalisation sans indemnisation du secteur bancaire, interdiction de nationaliser les dettes privées, moratoire immédiat sur le remboursement de la dette, mise en place d’un audit intégral de la dette islandaise en vue de répudier toutes les dettes odieuses ou marquées d’irrégularités, impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes afin de développer des emplois publics socialement utiles et respectueux de la nature…» Cela serait conforme à la Déclaration sur le droit au développement, adoptée par l’ONU en 1986, qui stipule dans son article 2 : «Les Etats ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent.»
A. B.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/03/16/article.php?sid=97154&cid=8
16 mars 2010
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