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Complainte pour la matraque qui frappe toute seu

14 mars 2010

Contributions

Complainte pour la matraque qui frappe toute seu dans Contributions logo3

Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Complainte pour la matraque qui frappe toute seule
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr

Je te jure, m’sieur, que ce n’est pas moi !

C’est elle, la matraque. Elle a fait ça toute seule. Je n’ai rien à voir là-dedans, moi, Dieu m’est témoin ! Je ne sais ce qu’elle a bouffé, cette enragée de vache ! J’ignore de quel bois elle est faite ! Ou de quel cuir ! On dirait seulement qu’elle a été dressée pour m’échapper, me glisser des mains dès qu’elle flaire du gréviste, de ses yeux ou de ses oreilles, et alors quand elle le trouve, le gréviste, en chair et en os, je ne te dis pas ! On a dû lui greffer un GPS ! Dès qu’elle y est arrivée, le coup part. Tout seul.
Ipso facto, comme ils disent. Moi, le porte-matraque qui porte aussi la casquette, je reste épaté, éberlué. Sidéré. Tu te rends compte ? La matraque, elle m’échappe des mains… pour faire ses coups ! Personne ne veut me croire. Mais c’est vrai. Tous les coups qu’elle assène, c’est elle, toute seule. Je n’y suis pour rien. Elle n’en fait qu’à sa tête. A celle des grévistes, plutôt. Tiens, l’autre jour, elle m’a encore joué un tour. Les praticiens de santé publique – quel nom compliqué pour désigner les douctour ! – ont marché sur la Présidence. Nous, les portematraques qui portons aussi des casquettes, nous n’avions reçu aucune consigne quant à l’attitude à encourager chez la matraque. Achema, oualou, nada ! On discute avec les grévistes ou on laisse plutôt bavarder la matraque, qui ronge continuellement son frein, prompte à chaque seconde à en découdre ? L’attente était interminable, anxieuse, dans nos rangs désarmés tandis qu’en face, les docteurs et les doctoresses avançaient sur nous, la seringue entre les dents, menaçants, terrifiants, un peu comme la cohorte de Gengis Khan ou les troupes d’Attila, si tu vois ce que je veux dire. Bref, ils nous fichaient les jetons ! Accrochée à ma ceinture, je sens la matraque qui commence à serrer les mâchoires. La voilà qui s’agite comme un soldat de salle de garde au signal d’alerte du guetteur. Elle étire ses muscles, teste sa souplesse. Je redoutais que, comme souvent, elle ne se décroche toute seule de sa sangle, s’ajuste dans ma paume, s’arrange le col, se donne un petit coup de peigne des fois que les caméras soient là… Et puis, asticotée, affûtée, fin prête, la matraque entraîne ma pauvre main dans la course folle qui finit invariablement sur l’occiput, l’épaule, le bras, ou quelque autre partie du gréviste. Pendant que la matraque de son côté, et moi du mien nous nous perdons dans nos réflexions abyssales sur la vanité du monde, les consignes arrivent enfin. Le talkie walkie grésille dans les deux langues nationales de l’Algérie, le surchef répond dans une autre, qui, elle, est forcément un cheval de Troie. Il discute avec des interlocuteurs dont la voix semble provenir de la grotte de Cervantès, hachurée, coupée comme des têtes par le joujou de M. Guillotin. Formé aux langages des ondes plutôt qu’à celui des odes, le surchef clame, dans le vent qui se lève en même temps que nous, que les sur-surchefs qui sont dans les bureaux, nous enjoignent de privilégier le dialogue. Autrement dit, contenez la matraque, domptez-là, ne la laissez pas aller plus vite que la musique !… Dommage ! D’expérience, je peux affirmer qu’il est non seulement plus facile pour le praticien mais aussi plus efficace pour l’ordre public et républicain de la laisser s’exprimer, elle, plutôt que les adeptes des discussions byzantines. Mais les chefs en ont décidé autrement, je ne peux qu’appliquer, moi, porte-matraque…Je me penche à son oreille et lui souffle en plein dans le lobe : «Ecoute-moi bien, tu vas la fermer, n’est-ce pas ! Tu te tiens à carreau, OK ?» Les grévistes avancent vers nous, pauvres hères soumis au bon vouloir des circonstances. Nous sommes à présents si proches d’eux qu’on a l’impression que le corps à corps sera inévitable. La matraque, de nouveau, se trémousse. Je l’entends grogner comme un cerbère dont on approche la niche. C’est qu’elle est ultrasensible, la matraque ! Elle sent les vibrations grévistes se répandre dans l’atmosphère, et elle ne se retient plus. C’est animal, camarade ! De près, les grévistes sont plutôt gentils. Ils ne perdent certes pas leur tête à claques de filles et fils à papa élevés au camembert Tassili, mais enfin, en se resserrant, la focale les dénude de cet air dangereux de soldats de conquête. L’ordre donc est de rester zen. Laissez les Indiens se concerter pour désigner une délégation qu’un hyperchef de la Présidence va recevoir illico. Ce serait moche pour la démocratie naissante qu’un délégué entre chez l’hyper le visage couvert de bleus occasionnés par une matraque incontinente… Ça la ficherait plutôt mal. C’est pourquoi je conjure la matraque de ne pas me mettre dans la mouise. Va savoir ce dont elle est capable. Depuis 1962, on n’a pas cessé de lui dire qu’elle est le rempart contre les ennemis de l’indépendance nationale, de la démocratie, de l’ordre, de la sécurité, des valeureux martyrs… Matraque-rempart. On n’a pas cessé de lui seriner qu’elle est la garante de la Constitution, de l’unité nationale, du prestige de l’Algérie dans le monde, de la qualité du débat intellectuel… Si ça pèse lourd sur ses épaules, ça n’empêche pas que ça lui fait enfler les chevilles. Alors que, de temps à autre, elle s’en aille toute seule baguenauder sur la chair meurtrie des grévistes, des opposants, des récalcitrants, des pas-qui-pensent comme elle, on ne va tout de même pas lui en tenir rigueur ! Une gréviste s’approche pour passer à travers le sas que nous formons. Ma matraque, qui a de la bouteille, se décroche, se jette dans ma main, entraîne mon bras dans un coup si terrible que moi-même j’en ai eu mal. La pauvre gréviste est étalée sur le goudron, inanimée. Je porte l’objet du délit au chef en m’excusant de n’avoir pas su retenir ma matraque. Il en lit le numéro de châssis et tranche : c’est une ancienne moudjahida… Elle a fait Octobre 1988, le Printemps noir, et quantité d’émeutes. Elle a même été décorée. De plus, philosophe le surchef, elle vient de faire un héros, ta matraque. Mon maçon chinois, qui s’appelle Confucius, si j’ai bien compris, dit toujours qu’il est préférable de se faire tuer à coups de bâton que de mourir de peur.
A. M.

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/03/14/article.php?sid=97047&cid=8

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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