Culture : LES ALGÉRIENNES DANS L’ÉCRITURE
Entre tabous et autocensures
L’écriture féminine est une délivrance qui s’encombre pourtant de lignes de démarcation. Le pseudonyme permet de transgresser tous les «houdoud».
Est-ce que la femme qui écrit, qui s’est approprié l’espace public s’est réellement libérée par la plume ? Est-ce qu’en usant de cet outil qui est l’écriture, elle s’est affranchie non pas des doutes, mais des limites visibles et invisibles dressés autour d’elle depuis des siècles ? Peut-elle donc écrire sur tout, absolument tout, sans tabou sans honte, sans préjugés, à l’égal, dans l’écriture, de l’homme ou des écrivaines d’autres pays. Doublée d’une culture complexe, arabo-berbéro-musulmane, elle baigne dans un milieu de non-dits, de limitations et d’interdits même si sa culture et son environnement socioculturel sont autant d’éléments constructeurs qui lui ont permis d’aller de l’avant, vers l’affirmation, apportant aux autres une voix engageante. L’écriture est-elle venue la libérer de certaines entraves ? Est-elle réellement libérée comme sujet écrivant. La question est posée, car face à la page blanche dans la solitude de l’écriture, peut-elle écrire noir sur blanc tout ce qui puisse l’inspirer, des mots qui peuvent choquer, écrire les fantasmes, le sexe sans avoir peur du regard des autres, du jugement des autres. Ecrire ses expériences sans être taxée d’exhibitionniste. Certaines réponses puisées dans des écrits de femmes éclairent sur ce sujet. Certes, l’écrivaine algérienne a fait beaucoup de chemin dans l’affirmation de son identité et dans sa construction, mais parfois des contradictions sont à relever. La plupart des écrivaines ont eu recours à un pseudonyme, la peur de l’engagement, du nom familial, celui du mari ou du père, la peur d’être reconnue, de ne pouvoir écrire librement, une lutte contre l’autocensure, et un masque qui permet de dire des vérités. Zohra Imalayen a opté pour Assia Djebar s’inquiétant des réactions de son père en découvrant qu’elle a écrit un livre. Un père pourtant qui lui a ouvert les portes du savoir. Aïcha Chabi connue sous le pseudonyme d’Aïcha Lemsine disait qu’elle voulait protéger sa vie privée et ne pas s’exposer aux «jugements» de la sphère dans laquelle elle évoluait. Même Leila Sebbar est prise de doute en se rendant compte que la plupart des écrivaines algériennes usent de pseudonymes et s’était demandée si elle ne faisait pas du tort à son père en écrivant sous son nom. L’écriture dévoile donc, surtout quand l’auteur dit «je» et s’expose. En 1975, la Tunisienne Jalila Hafsia avait subi la foudre des journalistes à la sortie de son roman Cendres à l’aube qui l’ont accusée de faire dans l’exhibitionnisme. Maïssa Bey dont le vrai nom est Samira Benameur, s’exprimant sur le sujet, avait dit : «Je sais que dans notre société, on peut vous brandir à tout moment ce spectre de la «hourma», on peut rappeler à l’ordre un auteur, ce qui fait qu’il y a une censure, plutôt une autocensure dès le départ…» Le pseudonyme permet de transgresser tous les «houdoud». La romancière Fériel Assima aurait-elle pu écrire son roman Roulhem ou le sexe des anges sans un nom d’emprunt, un roman d’une écriture si violente qu’elle est comparée à Boudjedra et la génération des enfants terribles de la littérature algérienne. Certaines écrivaines comme Malika Mokkedem et Leïla Marouane ont pu se libérer de cette autocensure, du fait qu’elles vivent dans un pays étranger, un pays occidental où le poids de la société (algérienne sous-entend) est si loin. Mes Hommes de Malika Mokkedem lui a permis de se libérer des entraves en usant d’un «je» sans équivoque. On peut aussi citer le cas de Nina Bouraoui ou Yasmina Bouraoui qui dans La Voyeuse interdite qui relatait les tourments d’une adolescente musulmane avait dit : «Le fait d’avoir utilisé le «je» m’a joué un mauvais tour.» Ainsi, le «je» narratif est rarement employé, parfois l’auteure use de précautions et se cache derrière une voix (celle de la narratrice) et s’en sert comme d’une voix de substitut, telle Ahlem Mostaganemi qui a prêté sa voix à celle d’un homme pour lui faire dire de tout ce qu’elle désire. «Moi j’écris en arabe, dans une langue sacrée….» et «le lecteur arabe devient juge. Vous n’avez pas uniquement un problème avec la censure». En conclusion, écrire dans une certaine limite des «houdoud», écrire sur certaines choses (le sexe, le libertinage ou l’érotisme) est-il permis ?
Nassira Belloula
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/03/07/article.php?sid=96679&cid=16
7 mars 2010
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