Conte
par El-Guellil
De toutes parts, nous parviennent, tels des croassements, d’inquiétantes nouvelles. «L’ancien», comme on aimait à l’appeler, aurait, dit-on, complètement perdu la vue. La nuit a atteint les yeux du derviche avant de parvenir à son âme. Depuis des mois, déjà, installé dans ses haillons
qui se confondaient avec sa chevelure, il priait : «Puis-je, Dieu, ne pas voir de quoi sera fait demain». Les uns pensaient qu’il était devenu fou, d’autres, plus sages, l’appelaient «Edderwiche». Les uns juraient que son savoir était un don du Tout-Puissant, et qu’il n’a jamais été à l’école. D’autres affirmaient que sa folie venait de son érudition. Tous aimaient à l’écouter fustigeant notre époque. L’ancien, aujourd’hui, dénonçait un certain «ordre nouveau». Cet ordre qui vous a fait et que vous continuez d’alimenter, cet ordre qui fait que la mort devienne un fait divers en hiver et toutes saisons, cet ordre qui crée des fortunes grâce aux écritures, cet ordre aux ordres de démons sans foi ni loi, cet ordre organisé comme la camorra Cet ordre à vous, disait-il, cet ordre de banques et d’intérêts, qui avait soi-disant fait progresser le monde, est baigné de sang à son fondement, comme l’ordre barbare, l’ordre des princes et des «saigneurs», à cette différence près, ce sang coule dans des comptes, dans des chiffres. Vos comptes sont des plaies terribles. Devant eux, les entailles causées par les poignards et les haches font figure d’écorchure d’enfant. Malheureux est le monde qui vous a engendré, malheureux est le monde que vous engendrerez !».
Le derviche est aujourd’hui mort. Mais, au fait, était-il fou ou sage ? Ce n’est pas important ! Demain on saura qui avait raison !
6 mars 2010
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