« Place d’armes » Maisons à moitié effondrées ou entièrement à terre, des décombres, des constructions menaçant ruine dont certaines encore habitées, ou plutôt squattées, préfèrent rectifier les habitants du quartier.
Telle est l’image qu’offre la Place d’Armes, ce vieux quartier d’Annaba réputé d’ailleurs dangereux surtout à la tombée de la nuit où les âmes bienveillantes vous déconseilleraient de vous aventurer. Jeunes drogués et délinquants s’y réfugieraient élisant domicile dans les maisons en ruine et les carcasses d’immeubles. Est-ce à dire que la Place d’Armes se réduirait à cela ‘ Assurément non. Plus le visiteur continue à se frayer un chemin entre de petits restaurants où l’on peut, paraît-il, déguster, entre autres, le bouzouki sur feu de braise, le meilleur de la ville, et les tables de marchands de fruits et légumes ou de modestes commerces, plus le quartier se livre à lui dans toute sa splendeur insoupçonnable. Mais pour cela, il faut pouvoir forcer les hautes murailles des maisons à l’apparence extérieure banale, éviter de se perdre dans les ruelles sinueuses et montantes et ne pas hésiter à explorer chaque coin et recoin car la moindre parcelle, pavée ou creusée, de la Médina est chargée d’histoire. Une fois les murailles forcées, ce sont alors de pures merveilles architecturales qui font leur apparition. Les couleurs vives de la mosaïque, les piliers en marbre sur lesquels sont construites les chambres à l’étage, les charpentes en cèdre de l’Edough, la fontaine au milieu de la courette dont souvent ne subsistent, hélas, que l’emplacement, l’anneau en fer à l’extérieur de la maison où il est aisé d’imaginer un cheval fourbu attaché par son maître harassé par une longue chevauchée ou encore la dalle carrelée et surélevée à l’entrée de la maison où était reçu un invité surprise qui ne devait rester que quelques minutes, mais que les règles de l’hospitalité ne pouvaient permettre de recevoir sur le pas de la porte.
les marches marbrées conduisant à l’étage’ Qu’elles soient de style arabo-mauresque, andalou ou turc, selon l’époque de leur construction, ces bâtisses, tellement chargées de souvenirs de vies successives et différentes, d’empreintes civilisationnelles que l’on croirait que les murs peuvent parler et raconter leur histoire datant des Zirides. Les enfants de la médina el haditha comme elle s’appelait jadis, ne sont pas tous partis. Ceux qui ont préféré rester «car ne pouvant imaginer vivre ailleurs» comme ils disent, évoquent avec nostalgie et tendresse leur enfance dans ce quartier qui n’est plus ce qu’il était. Une enfance pétrie de valeurs et peuplée de souvenirs mêlés de superstition et d’imagination enfantine, donne des récits extraordinaires sur Fras Bab M’kaber, cette femme légendaire moitié humaine moitié cheval qui pouvait surgir la nuit dans un halo de lumière et un tintement de bijoux pour effrayer les enfants désobéissants qui, évidemment, ne la voyaient jamais, mais croyaient fermement à son existence jusqu’à voir la lumière qui l’entoure et entendre le galop de son cheval. Les souvenirs déferlent et s’arrêtent avec insistance sur Hammam El-Kaïd, cette princesse ziride qui a voulu ainsi contribuer au lancement de la Médina El-haditha.
Le hammam, construit en même temps que la mosquée de Sidi Abou Merouane, qui a été le point de départ, il y a dix siècles, de l’argile parfumée que le comble du raffinement a fait qu’elle soit utilisée comme matériau de construction dans El-Beit skhouna, ajoutait à la magie du rituel observé alors par les femmes. Séances de poésie, musique et littérature’ Les bains que prenaient les femmes étaient autant d’occasions de rencontres, d’échanges et même d’alliances. lorsque des demandes conclues tournaient mal, Dar Zeribi était là pour essayer de raccommoder les fissures. Avant la solution extrême de séparation, les couples étaient, en effet, isolés dans cette maison de réconciliation loin de tout environnement familial, et ce, pendant des semaines ou même des mois, selon la gravité du différend. Si tout espoir d’une réconciliation est vain, c’est alors la procédure de divorce qui est entamée. Dar Zeribi, qui jouait ce rôle de réconciliateur bien avant l’avènement des Turcs, est aujourd’hui une maison habitée par une famille. Pour en revenir au hammam d’El-Kaïd, il a continué, des siècles durant, même si le rituel n’est plus ce qu’il était, à peupler de souvenirs d’enfance de générations entières natives de la Place d’Armes.
Aujourd’hui encore, les vieux et moins vieux, qui leur vie durant, n’ont pu aller dans un autre bain que celui-là, regrettent sa fermeture depuis quelques années en raison d’un problème d’héritage. Mais si la Zaouia de Sidi Abdelkader, vieille d’au moins 4 siècles, a été gravement endommagée en 1988 lors de la démolition de maisons mitoyennes, la mosquée de Sidi Abou Merouane, qui fut la première université sunnite dans le monde arabo-islamique, continue, elle, à accueillir les fidèles et à veiller sur la ville.
Que la baraka du saint continue longtemps à protéger la ville du cèdre. Elle en a besoin’
F. H.
27 février 2010
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