36% des élèves ont subi des châtiments à l’école
Quand l’enseignant devient violent
Par Assia Boucetta
L’école est en charge de l’éducation, de la formation et de la protection de nos enfants qui y passent la plus grande partie de leur temps. Afin de lui permettre d’accomplir sa noble mission, les textes de loi sont clairs.
Ils interdisent, comme ne cessent de le rappeler les plus hauts responsables du secteur, toute violence à l’encontre de l’élève. Or, ces déclarations sont malheureusement contredites par la réalité. Les châtiments corporels que certains continuent de justifier sortent du cadre de ce qu’on peut qualifier de «sanctions paternalistes». C’est un phénomène d’une extrême gravité qui a été mis à nu récemment par l’enquête publiée par le Centre d’information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Ciddef) : pas moins de 36% des élèves âgés entre 14 et 17 ans ont déclaré avoir subi, au moins une fois, une violence physique dans la classe ou dans la cour de l’école pendant l’année scolaire 2007-2008. Les mis en cause ne sont autres que les enseignants dans 7 cas sur 10, suivis du reste du personnel.
2.La règle, terreur des élèves
Réalité : La confrontation de l’adolescent à la violence physique à l’école, révèle des changements sociaux inquiétants.
Le manque d’activités culturelles, ludiques et sportives, qui canalisent les énergies et les passions à l’école et en dehors, la surcharge des classes et une certaine déliquescence du rapport à l’éducation et à la culture, sont des facteurs qui jouent un rôle dans l’émergence d’une violence au sein de l’école et dans les espaces publics, selon l’enquête du Ciddef.
Au cours de l’année scolaire 2007-2008, pas moins d’un tiers d’adolescents garçons, soit 36%, mais deux fois moins de filles (15%) ont subi, au moins une fois, une violence physique dans la classe ou dans la cour de la part du personnel de leur établissement.
Dans 7 cas sur 10, l’auteur désigné est l’enseignant. Souvent, ce dernier recourt à la violence pour des raisons de discipline en classe, ou d’altercations verbales avec l’élève lui-même. Le plus souvent, les classes sont surchargées allant de 35 à 45 élèves.
Ils sont généralement frappés, témoignent les victimes, pour des raisons de discipline. Ils citeront par ordre décroissant : après le bavardage en classe, viennent le fait qu’ils aient répondu à un enseignant à la suite d’une remarque de ce dernier, puis le non-accomplissement de ses devoirs de maison et, enfin, les absences non justifiées.
La règle est le principal outil utilisé dans le châtiment. «C’est ce qui a été le plus largement cité tant par les filles que par les garçons la dernière fois qu’ils ont été frappés au cours de l’année 2007-2008», affirment les enquêteurs. La gifle arrive en seconde position et concerne plus les garçons que les filles. Les coups de poing ou de pied sont rares, ils ne représentent que 10% des réponses dont les garçons restent exclusivement les plus touchés.
Les parents sont rarement informés par les élèves ayant subi ce genre de correction. Ils sont un peu plus d’un tiers des adolescents, soit 38%, à déclarer garder en secret ce qu’ils ont subi. 43% des parents informés ont préféré, cependant, ignorer ce qui a été rapporté par leurs enfants et n’ont pas jugé utile de se déplacer à l’établissement scolaire à la suite de la correction physique subie par leur enfant.
L’étude révèle aussi que seuls 18% des parents informés sont allés voir les responsables de l’établissement ou le professeur. Il est également établi que les garçons étaient plus durement «corrigés» que les filles.
3.L’avenir compromis
Les résultats scolaires des élèves victimes de violence à l’école sont généralement peu satisfaisants. Dans un rapport publié en 2008 par Amnesty International sur les effets néfastes de la violence sur les mineurs en milieu scolaire, il est évoqué la difficulté que ressentent ces derniers à se concentrer sur leurs études. «Ils ne percevront plus le travail scolaire comme une priorité», précise cette ONG.
Cette baisse de niveau sera encore plus prononcée, selon Amnesty, «si la victime est forcée d’être régulièrement en contact avec la personne qui l’a fait souffrir».
Lorsqu’un élève est insulté ou a fait l’objet d’une discrimination de la part de son enseignant, il se sent dévalorisé. Une dépréciation qui entraîne dans son sillage de lourdes conséquences. Les élèves qui ont eu à subir des agressions en milieu scolaire souffrent de nombreuses séquelles affectives et comportementales, allant de l’insomnie à la tentative de suicide, en passant par la perte d’appétit, la dépression, les angoisses, le désespoir, la dépréciation de soi, l’agressivité, l’alcoolisme et la toxicomanie, peut-on lire dans ce rapport.
La dépression reste toutefois l’une des conséquences les plus fréquentes, souligne le document qui fait remarquer que «les victimes hésiteront souvent à signaler les sévices dont elles ont fait l’objet car elles craignent de subir de nouveaux abus, d’être ridiculisées ou de ne susciter aucune réaction». Ce qui fait craindre le pire à cette ONG, dans la mesure où les auteurs de ces actes pourront se croire libres d’agir en toute impunité et perpétuer leurs pratiques violentes. La violence pratiquée, en particulier, contre les filles dans les écoles, observe, par ailleurs, Amnesty, «porte atteinte à leur vision d’elles-mêmes, compromet leurs résultats scolaires et a des effets aussi bien immédiats qu’à long terme sur leur santé physique et mentale, ainsi que sur leur indépendance socio-économique». Amnesty considère enfin que la violence exercée sur les enfants ou adolescents en milieu scolaire constitue une atteinte à leurs droits les plus élémentaires à savoir, le droit à l’éducation et le droit de vivre dans la dignité et la sécurité.
4.Le silence des parents
Dépassements ; La violence physique, le langage grossier et l’atteinte à l’intimité de l’élève sont monnaie courante dans les établissements scolaires.
Si l’atteinte à l’honneur d’une élève dans la wilaya de Blida a été dernièrement médiatisée, «combien d’autres affaires ont été étouffées ?», s’interrogent les responsables de certaines associations de parents d’élèves ayant requis l’anonymat par peur que leurs témoignages ne se retournent contre leurs enfants. La violence contre l’élève peut être physique ou psychologique.
Cette deuxième forme, quoique plus fréquente, est peu dénoncée car elle est rarement perçue comme telle par la majorité des victimes. Ignorant leurs droits, les enfants et les adolescents touchés par ce phénomène préfèrent se murer dans le silence.
Ils continuent à subir les mauvaises humeurs et les frustrations de leurs enseignants. Ces derniers, dénoncent les mêmes associations, gardent le profil bas devant les «gros bras» et les «pistonnés» pendant que les moins «épaulés» deviennent leur souffre-douleur. Entre le marteau et l’enclume, les parents ne savent plus à quel saint se vouer. Si certains préfèrent éviter de dénoncer les dépassements, d’autres ont recours aux connaissances pour un arrangement à l’amiable.
Pour protéger leur progéniture d’éventuelles représailles, les parents vont même jusqu’à supplanter les règles édictées par le ministère de l’Education. Ainsi, certains, évitent même de s’engager ou de prendre la parole lors des rencontres avec les administrations des établissements scolaires.
La bureaucratie n’est pas faite pour arranger les choses. L’élève est ballotté entre les surveillants, les enseignants et le directeur pour finir en conseil de discipline et devient candidat à l’exclusion. Impuissantes, les associations de parents d’élèves sont confrontées aux mêmes tracas, du moins dans la wilaya d’Alger, tel que nous l’ont confirmé les responsables de certaines d’entres elles. Outre l’encadrement des établissements scolaires qui ne veut pas de société civile sur son «territoire», le parcours semé d’embûches pour le renouvellement des associations finit par dissuader les plus ardus des volontaires.
La désaffection est, donc totale. Pourtant, la lutte contre la violence en milieu scolaire passe inévitablement par un dialogue parents-enseignants pour un suivi plus efficace de la scolarité des élèves.
5.Une législation rigoureuse
Dans la législation algérienne, un mineur maltraité est celui qui est victime de la part d’adultes ayant autorité sur lui, de mauvais traitements quelle que soit leur nature. Cette violence peut prendre la forme de sévices, de négligence, d’exploitation ou carrément d’abus sexuels pouvant avoir des conséquences sur le développement psychologique de l’enfant.Les lois qui répriment les violences et les mauvais traitements infligés aux mineurs sont rigoureuses et complexes. Les textes de loi ont, pour ces raisons, jugé utile de «prendre en considération des circonstances aggravantes de nature diverse comme pour la gravité de l’atteinte à l’intégrité corporelle de l’enfant ou la qualité de l’auteur et le lien qui l’unit à la victime». A noter aussi que le code pénal tient beaucoup compte des mauvais traitements pratiqués de façon habituelle sur le mineur.Il n’en demeure pas moins que les enfants et les adolescents qui ont décidé de révéler les sévices subis sont souvent confrontés aux hésitations des adultes à croire leurs histoires.Le chapitre réservé aux sanctions a proportionné la peine à la gravité des blessures ou des maladies provoquées par les mauvais traitements.
Ainsi, on peut lire que lorsque les mauvais traitements ont provoqué une incapacité de travail inférieure à 15 jours, la sanction prévue par la loi est l’emprisonnement d’un à cinq ans. En revanche, si les mauvais traitements ont provoqué une incapacité de travail supérieure à 15 jours et ou s’il y a eu préméditation ou guet-apens, l’emprisonnement est de 3 à 10 ans en plus d’une amende. Dans ce cas, le coupable est frappé de privation de certains droits civiques pour une durée de 1 à 5 ans. Et lorsque les mauvais traitements ont provoqué une mutilation, une amputation, ou privation de l’usage d’un membre, cécité, perte d’un œil ou autres infirmités permanentes, la peine est la réclusion à temps de 10 à 20 ans. Il est important de souligner, enfin, que la procédure judiciaire des mineurs ressemble étrangement au parcours du combattant. Les rétractations sont nombreuses et les allégations sont souvent difficiles à prouver devant l’absence de soutien d’une équipe spécialisée.
6.Dans la rue aussi…
Les résultats de l’enquête ont aussi porté sur la violence subie par les adolescents dans la rue. Les chiffres recueillis au cours des douze derniers mois de l’année 2008 font état d’un adolescent sur 4 à avoir été victime d’une agression physique dans les espaces publics. Il est constaté, par ailleurs, des écarts très importants entre filles et garçons qui ont été victimes d’une quelconque violence. Sur les 12 mois, les adolescents se sont fait agresser notamment pour être volés, en moyenne, 2 fois. Cette fréquence est pratiquement la même chez les filles et chez les garçons.
Les raisons évoquées par les personnes interrogées et qui seront à l’origine de cette agression physique se résument, le plus souvent, chez les garçons, à une réponse à une provocation en direction de leur propre personne ou d’un ami. Il s’agit en particulier d’humiliation verbale, d’insultes, d’implication involontaire dans une dispute pour se défendre ou défendre un ami. A elles seules, l’une au moins de ces raisons a été citée par près de 7 adolescents sur 10.
Quant aux filles agressées physiquement, la nature des raisons est différente. Le vol ou le harcèlement sont les raisons les plus fréquentes. Elles sont citées par 5 adolescentes sur 10.
A. B.
19 février 2010
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