Au coin de la cheminée
Zalgoum (8e partie et fin)
Résumé de la 7e partie : Zalgoum se présente chez son frère, déguisée en mendiante. Elle se propose de lui extraire l’épine qui était dans son genou depuis qu’elle lui avait jeté un sort…
L’épine, fichée dans la rotule, ne faisait plus, avec les chairs, qu’une seule masse durcie et violette. Zalgoum y porta les doigts de la main qu’un sabre avait jadis tranchée ras et tira. Aussitôt l’énorme épine glissa et parut au bout du bras de la jeune fille comme un coin.
Le frère aussitôt, se sentant soulagé, cessa de geindre et commença même à mouvoir le genou. La belle-sœur sanglotait de joie, tant elle était convaincue qu’une pauvre mendiante ne pouvait réussir là où tant d’autres avaient échoué avant elle, Zalgoum pendant ce temps s’approchait doucement de la porte.
Elle allait y disparaître, quand le malade, revenu de son étonnement, se ressouvint de la malédiction de sa sœur : nulle autre main ne pourrait le guérir, «que cette main que ton sabre vient d’arracher à mon bras».
Il se mit aussitôt à crier :
— C’est elle ! C’est Zalgoum, ma sœur ! Attrapez-la ! II essaya de se lever pour se lancer derrière elle, mais sa blessure était encore trop fraîche et il retomba sur sa peau de mouton. Zalgoum franchit la porte en courant ; elle se précipita vers la maison où elle avait laissé ses enfants, les reprit et aussitôt s’élança à travers les rues pour fuir avec eux. Entre-temps sa belle-sœur avait ameuté tous les habitants qui se mirent à poursuivre la jeune femme.
Mais Zalgoum, tout en courant, puisait les pièces d’or dans son couffin et les lançait à la volée derrière elle. Les villageois essayaient de les attraper au vol ou bien se les disputaient, une fois qu’elles étaient tombées à terre.
Cela retardait considérablement leur poursuite. Ceux qui, malgré cela, se rapprochaient jusqu’à presque la toucher, Zalgoum leur jetait dans les yeux de pleines poignées de son, qu’elle prélevait dans l’autre couffin, et ainsi les aveuglait. A la fin, fatigués ou repus d’or, ils cessèrent tous de la poursuivre, mais Zalgoum n’en continua pas moins à courir aussi vite que le pouvaient les jambes de ses enfants.
Ils arrivèrent enfin au palais, où le prince les attendait dans l’inquiétude, car il savait qu’il avait tiré Zalgoum d’une grotte. Aussi fut-il soulagé de les voir revenir sains et saufs. Il leur demanda ce qu’ils avaient fait et Zalgoum reprit son histoire depuis le jour lointain où, se baignant à la fontaine, elle avait laissé tomber un de ses cheveux d’or.
— Après tant d’années, conclut-elle, j’ai eu pitié de mon frère, car je savais qu’il souffrait et que seule ma main pouvait le guérir.
Ils continuèrent à mener une vie heureuse avec leurs enfants. Quant à son frère et à sa belle-sœur, Zalgoum ne les revit plus et n’entendit plus jamais parler d’eux.
Machaho !
Contes berbères de Kabylie Mouloud Mammeri
19 février 2010
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