Histoires vraies
Le magicien de Madagascar (1re partie)
En ce mois de juin 1886, Marius Cazeneuve prend quelque repos dans l’île de la Réunion. C’est un habitué des voyages à quarante-sept ans, il a déjà fait quatre fois le tour du monde. Et, s’il dispose de l’argent nécessaire pour de pareils déplacements, ce n’est pas parce qu’il est industriel ou grand propriétaire, Marius Cazeneuve est un artiste, mais pas n’importe lequel, c’est le plus grand prestidigitateur de son temps.
Né à Toulouse en 1839, il est l’élève de Robert Houdin et il débute très tôt dans la profession, puisqu’il donne sa première représentation à seize ans. Ses dons lui valent un succès fulgurant. En 1863, il se produit devant l’empereur Napoléon III et les tours auxquels il se livre sont si extraordinaires que, longtemps après, la cour en parle encore.
Par exemple, il montre un jeu de cartes au souverain.
— Pensez à une carte, Majesté, et cherchez-la. Vous ne la trouverez pas.
Le souverain s’exécute.
— C’était le valet de trèfle. Il a effectivement disparu. Où est-il ?
— Où vous voudrez. Dites un endroit.
Napoléon III désigne le grand lustre du salon.
— Dans la chandelle du fond… Celle-là.
Un domestique prend un escabeau et va regarder l’endroit désigné : le valet de trèfle est là !
Après Napoléon III, Marius Cazeneuve se produit devant le tsar et, en 1870, devant le roi d’Italie Victor-Emmanuel. Il rentre, d’ailleurs, précipitamment en France, car la guerre vient d’éclater et il veut absolument se battre. Marius Cazeneuve n’est pas seulement un grand artiste, il est aussi patriote et courageux et il le prouve, puisque sa bravoure lui vaut d’être cité à l’ordre de l’armée.
Après les hostilités, il continue sa carrière de manière tout aussi brillante. Durant deux ans, de 1876 à 1878, il fait une tournée triomphale en Amérique. Il est considéré désormais comme le plus grand prestidigitateur du monde, certains disent même de tous les temps.
Indépendamment de ses dons d’illusionniste, il a des idées bien arrêtées. Il est résolument libre penseur. Il combat ceux qui présentent la magie comme provenant du surnaturel. Son métier, affirme-t-il, n’est fait que de procédés, de trucs, même si, bien sûr, comme tous ses confrères, il ne les dévoilera jamais. C’est à ce titre que le ministre de l’Instruction publique l’engage dans la lutte pour la laïcité en lui faisant faire une conférence antispirite à la Sorbonne.
Et, en cette année 1886, Marius Cazeneuve, qui est toujours aussi patriote, est très préoccupé par la situation de Madagascar. La grande île n’est pas très loin de la Réunion et il a une idée : aider les autorités françaises grâce à ses talents. Elle ne vient d’ailleurs pas de lui, mais de son maître Robert Houdin, qui avait joué un rôle semblable, quelques dizaines d’années auparavant, dans la conquête de l’Algérie.
Il écrit au résident général, M. Le Myre de Vilers : «On dit que la reine Ranavalo est passionnée de magie. Laissez-moi venir à Madagascar pour lui montrer quelques tours qu’elle n’oubliera jamais. Je pense pouvoir agir sur son esprit et la disposer favorablement envers la France.»
La situation à Madagascar est effectivement préoccupante. Nous sommes en pleine période de colonisation et, comme dans beaucoup d’autres endroits du monde, les Français et les Anglais s’affrontent pour la conquête du pays. Les Français sont de loin partis les premiers, puisque leur présence remonte au XVIIe siècle. C’est Richelieu qui a fondé le premier comptoir, Port-Dauphin, dans le sud de l’île. Mais les Anglais se sont manifestés à leur tour, par la présence de missionnaires protestants de plus en plus nombreux. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
19 février 2010
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