Ainsi va la vie
La fille de l’étrangère (17e partie)
Par K. Yerbi
Résumé de la 16e partie : Comme il hésitait à annoncer son mariage à sa famille, c’est sa mère qui le fait. Cette nouvelle crée la surprise…
Nadir ne sait que répondre à la cousine. Sa mère intervient.
— voyons, Djazia, puisqu’il dit que c’est une Algérienne !
— et moi, je le répète, c’est une étrangère.
Elle s’adresse à Nadir.
— mon fils, tu dois renoncer à cette fille !
— mais, ma tante…
— ce serait manquer de respect à la mémoire de ton père !
Zoulikha s’irrite.
— que vas-tu chercher là, Djazia !
— c’est la vérité !
— allons, allons, Nadir sait ce qu’il fait !
— justement, il n’est pas conscient !
— tu exagères !
— il devrait épouser une femme de son pays !
Zoulikha s’emporte.
— ce n’est pas à toi de décider !
Djazia veut répondre, mais elle comprend qu’elle est allée loin. Elle s’arrête. Kaci veut décrisper la situation.
— félicitons Nadir. C’est pour quand, la fête ?
— dans un mois mon oncle !
Saliha et Ghania, les épouses des deux oncles, s’écrient.
— mais, c’est pour bientôt !
Nadia et Yacina, les sœurs de Nadir, jubilent.
— nous allons nous atteler aux préparatifs !
Elles s’adressent aux deux tantes.
— nous comptons sur vous pour nous aider !
— bien sûr…
— nous commencerons à rouler le couscous dans quelques jours !
Elle regarde la cousine Djazia.
— toi, aussi, Djazia.
Elle ne répond pas tout de suite, mais sa fille la pousse du coude.
— bien sûr, dit-elle.
Kaci plaisante.
— et nous, les hommes, que devrons-nous faire ?
— vous nous laisserez travailler !
— ah bon, dit Kaci, c’est vous qui déciderez de tout !
Nadir se déride.
— vous, mes oncles, vous financerez !
Zoulikha sourit.
— C’est la tradition, Kaci.
— Eh bien, nous respecterons la tradition ! (à suivre…)
K. Y.
19 février 2010 à 18 06 11 02112
Histoires vraies
Le magicien de Madagascar (3e partie)
Résumé de la 2e partie : Avant d’arriver à Tananarive, Marius Cazeneuve fait une représentation à Tamatave où ses numéros impressionnent les spectateurs…Suite…
Vous arrivez trop tard. Je m’en vais ! Le Premier ministre me traite d’une manière inconvenante. C’est la France qui est outragée à travers moi.
— Mais cette représentation que je dois faire devant la reine et son mari ?
— Inutile d’y penser. Elle serait certainement d’accord, mais pas lui. Et c’est lui qui décide.
— J’ai pourtant des recommandations pour Rainilaiarivony…
— D’où les tenez-vous ?
— D’amis à lui de Tamatave qui ont assisté à mes tours.
Le résident général hausse les épaules.
— Alors, essayez, on verra bien…
Et Marius Cazeneuve essaye. Il va trouver le mari de la reine et Premier ministre Rainilaiarivony. Celui-ci est un personnage grand et sec, à l’allure rigide et à la mine austère. Mais quand il voit arriver l’illusionniste, son attitude change aussitôt.
— Je suis heureux de vous rencontrer, monsieur Cazeneuve. On dit des choses extraordinaires à votre sujet !
— C’est trop d’honneur, monsieur le Premier ministre. J’avais pensé, si vous étiez d’accord, donner une représentation devant la reine et vous-même.
— Avec plaisir ! Est-ce que vous nous ferez le numéro de la tête coupée ?
— Non, je ferai beaucoup mieux que cela.
— Mieux ? Et quoi donc ?
— Vous verrez, monsieur le Premier ministre, vous verrez.
11 octobre 1886. Le grand moment est arrivé. Marius Cazeneuve va faire son spectacle de prestidigitation devant la reine Ranavalo, son mari Rainilaiarivony et toute leur cour. Le Myre de Vilers est à la place d’honneur, rempli d’admiration devant le résultat obtenu par l’illusionniste, alors que cela faisait des semaines qu’on lui refusait la porte du palais.
Marius Cazeneuve fait son apparition, l’air martial, malgré sa petite taille. Il s’incline profondément devant la reine Ranavalo. Celle-ci lui sourit aimablement depuis son trône. C’est vrai qu’elle est charmante ! Elle a un visage très fin, de grands yeux sombres, un corps gracieux et son teint métissé la rend encore plus attirante. Marius Cazeneuve s’incline aussi devant Rainilaiarivony, et c’est avec lui qu’il va commencer son numéro.
Il lui met dans les mains une ardoise vierge et lui demande de l’essuyer avec son mouchoir. Le mari de la reine s’exécute : il ne se produit rien.
— Essayez encore !
Nouvelle tentative et, brusquement, apparaît une phrase en malgache : «Votre pays sera sauvé si vous acceptez comme alliés les représentants de la France.» Rainilaiarivony fait une vilaine grimace.
— C’est de la sorcellerie ! Chez nous, les sorciers sont mis à mort.
Marius ne s’émeut pas. Il répond avec un sourire :
— Non, c’est de la science française.
Et le numéro continue, toujours avec le Premier ministre pour victime. Le magicien lui tend un jeu de trente-deux cartes et lui demande de les compter : il y en a trois cents ! Il le reprend et le prie de compter à nouveau : il n’y en a plus que douze ! Il lui demande ensuite son mouchoir, avec lequel il avait essuyé l’ardoise, et le fait disparaître dans sa main.
— Maintenant, où voulez-vous le retrouver ? (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
19 février 2010 à 18 06 21 02212
Une ville, une histoire
Si l’Algérie m’était contée (18e partie)
Par K. Noubi
Région n Dans cette épisode, nous présentons Tlemcen et sa région
Tlemcen, qui se dresse au pied du plateau de Lalla Setti, au milieu d’une campagne verdoyante, est connu pour sa beauté. Les Romains, qui y avaient construit une cité, n’ont pas eu tort de l’appeler Pomaria, un nom qui signifie les vergers. La cité romaine a, sans doute, succédé à une agglomération berbère, car pour que les nouveaux occupants attribuent ce nom à la ville, c’est parce qu’ils y ont trouvé, en arrivant, des jardins et des vergers prospères.
Une légende locale fait remonter Tlemcen à l’époque des Pharaons d’Egypte et des auteurs musulmans, qui lui ont fait écho, y ont fait résider des prophètes bibliques. Ainsi, selon Abû al-Hassan al-Mayurki, le prophète Salomon s’y est arrêté et y a habité pendant un mois. Quand on sait que Salomon a vécu au Xe siècle avant J.-C., on fait de Tlemcen l’une des plus vieilles villes du monde !
On ne sait pas si Tlemcen pré-romaine a fait partie du royaume numide des Massaessyles qui, à l’époque de Syphax, s’étendait sur tout l’Ouest algérien et débordait largement sur l’Est. La capitale de Syphax était Siga, mais le royaume comptait de nombreuses villes et villages. L’historien grec Strabon rapporte que le pays était si fertile, qu’on pouvait, sans se donner trop d’efforts, en tirer deux récoltes par an. La ville romaine a d’abord été un camp militaire, puis elle s’est transformée en ville, avec l’arrivée de colons. La captation des eaux des sources d’El-Ourit, par un canal creusé dans la roche calcaire, vont permettre le développement de l’oléiculture. Pomaria devient, sous Gordien le Jeune, une ville importante, avec un corps de cavalerie placé sous l’autorité d’un préfet. Durant la période chrétienne, la ville devient le siège d’un diocèse et son évêque, Victor, a participé au Concile de Carthage, en 411. Pomaria semble avoir été touchée par les troubles donatistes puisque la ville a compté, au Ve siècle, deux évêques : un évêque catholique et un évêque donatiste. On connaît le nom d’un autre évêque de Pomaria, Longinus, qui a assisté au colloque des évêques de Carthage, convoqué en 484 par le roi des Vandales, Hunéric. On dispose de peu d’informations sur les périodes vandale et byzantine qui ont dû être, comme partout ailleurs, en Afrique, des périodes de troubles.
Au VIIe siècle, les Arabes arrivent au Maghreb, et après s’être emparés de l’est et du centre du Maghreb, poussent vers l’Ouest, atteignant, selon l’historien al Qayraouani, la région de Tlemcen vers 42 de l’hégire (675 de J.-C.).
Une légende rapporte que la ville a été conquise sans violence : le commandant de l’armée musulmane, qui ne serait que Abd Allah Ibn Dja’afar, le neveu de ‘Uqba Ibn Nafa’, le fondateur de Kairouan et le conquérant de l’Algérie, s’éprend de la fille du roi de la ville. Le roi lui ayant accordé sa main, il lève le siège qu’il a posé depuis plusieurs mois et y entre sans livrer bataille. Cette légende donnait déjà à Pomaria le nom par lequel elle allait être connue au cours du Moyen Age, Agadir, un nom berbère qui signifie mur, muraille.
Après avoir été le siège d’un royaume schismatique, fondé par le Kharédjite Abû Qurra, Agadir tombe entre les mains des Idrissides, dynastie arabe qui venait d’être fondée au Maroc. De cette période subsiste la tour de la mosquée construite par Idris Ier en 789 de J.-C. et que l’on considère comme l’une des premières mosquées construites en Algérie.
Le nom d’Idriss Ier est inscrit sur la chaire (minbar) de la mosquée. (à suivre…)
K. N.
19 février 2010 à 18 06 23 02232
Ainsi va la vie
La fille de l’étrangère (18e partie)
Par K. Yerbi
Résumé de la 17e partie n La cousine Djazia n’admet pas que Nadir épouse une émigrée parce qu’elle a toujours espéré qu’il épouserait sa fille !
Elles ont quitté la table avant le dessert. Djazia s’est plainte de douleurs à la tête et s’est retirée, sa fille l’a immédiatement suivie.
— je vais lui donner de l’aspirine.
Une fois les deux femmes parties, Kaci ne peut s’empêcher de faire un commentaire.
— qu’ont-elles ces deux-là ?
Zoubir répond.
— vous n’avez pas compris ? Elles avaient des visées sur Nadir…
Nadir rougit.
Saliha prend la parole.
— je te l’ai dit, Zoulikha…
— mais Nadir n’a jamais eu de vues sur Souad !
— elle espérait…
— elle ne doit pas lui en vouloir s’il n’a pas choisi sa fille !
Nadir intervient.
— et si on changeait de discussion ?
— tu as raison, dit Saliha, parlons de la fête !
Tandis que la discussion bat son plein à table, Djazia et sa fille se sont enfermées dans la chambre qu’elles occupent.
— c’est trop fort ! s’écrie Djazia.
— je savais que quelque chose se préparait… tu n’as pas vu comment Nadia et Yacina nous regardaient ? elles devaient être au courant !
— bien sûr que sa mère et ses sœurs étaient au courant !
— les autres aussi !
— non, je ne pense pas, ils ont été surpris par la nouvelle !
Djazia s’emporte.
— il nous a trompées !
Souad pleure.
— il a surtout trompé son père… Il a failli à son serment… N’est-ce pas toi qui m’as toujours dit que son père voulait qu’il m’épouse ?
— oui… il a dit que vous formeriez un beau couple !
— il voulait donc que je l’épouse !
— c’est une certitude !
— alors, tu peux le lui rappeler…
Djazia secoue la tête.
— je ne peux pas le lui dire !
— alors tu veux qu’il épouse cette étrangère ?
— bien sûr que non ! Mais il y a d’autres moyens d’intervention…
— que comptes-tu faire ?
— ça, c’est mon affaire ! en tout cas, tu peux compter sur moi, je ferai tout pour qu’il t’épouse… tout, tu entends ? (à suivre…)
K. Y.
19 février 2010 à 18 06 25 02252
Au coin de la cheminée
La Fiancée du Soleil (2e partie)
Résumé de la 1re partie n Après que la sorcière lui eut parlé de la Fiancée du Soleil, le prince part à sa recherche…
Si vous le relâchez, dit-il, je vous le paierai son poids d’or.
Le chef des gardes était très étonné qu’on voulût lui payer son poids d’or un bandit de grand chemin. Mais il ne pouvait pas le laisser partir sans en avoir d’abord référé au roi. Il envoya un de ses hommes, qui revint bientôt et dit :
— Le roi consent à relâcher le prisonnier, mais pour quatre fois son poids d’or.
Le prince, ayant accepté cette condition, versa la somme demandée et le prisonnier se joignit à la caravane.
— Comment t’appelles-tu ? lui demanda-t-il.
— Ali Demmo ; tout le monde dans le pays connaît mon nom.
On lui fit d’abord raconter son histoire. Elle fut longue, puis l’homme se tourna vers le prince :
— Quand vous m’avez rencontré, je n’étais pas seulement au bout de mes aventures, j’étais aussi au bout de ma vie. Mais vous m’avez sauvé. Aussi suis-je maintenant à votre service. Tout ce qu’il vous plaira d’exiger de moi, je vous l’apporterai.
— Même si c’était la fiancée du soleil ?
— Même elle
— C’est elle que je cherche.
— Eh bien, je vais la chercher avec vous. La caravane repartit. En avant allait le prince sur son cheval. Derrière lui, Ali Demmo poussait les chameaux chargés d’or et d’argent. Ils entrèrent bientôt dans le pays des Noirs, marchèrent des jours et des jours dans le désert et, un soir enfin, virent se profiler au loin une haute montagne, qui dominait toute la plaine alentour. Les passants qu’ils rencontrèrent leur apprirent que c’était Hautmont, que là résidait le roi du pays des Noirs, qui cependant était blanc lui-même. Du reste, le roi sortait peu de son palais, car la beauté de son épouse, Fiancée du Soleil, faisait qu’elle était très convoitée et il en était très jaloux : une garde vigilante veillait jour et nuit, à toutes les portes du palais. Le soir, avant de dormir, le roi et la reine s’attachaient par le pied au même anneau d’argent, ils roulaient une seule ceinture de brocart autour de leurs deux tailles, passaient le même foulard de soie autour de leurs deux cous, afin que, si quelqu’un venait lui enlever son épouse pendant son sommeil, le roi aussitôt s’éveillât.
La nuit de leur arrivée, alors que le prince fatigué dormait dans la maison qu’ils avaient louée, Ali Demmo sortit doucement pour ne pas l’éveiller. Il parcourut la ville, arriva devant le palais, se fit indiquer la pièce où le roi et la reine avaient coutume de passer la nuit. Il fit la même chose le jour suivant mais, ayant pris soin de se munir d’une échelle de soie, il monta jusqu’à la chambre haute qu’on lui avait indiquée et, par la croisée, regarda : il vit les deux pieds du roi et de la reine engagés dans le même anneau, leurs tailles passées dans la même ceinture, leurs cous enroulés dans le même foulard. (à suivre…)
Contes berbères de Kabylie Mouloud Mammeri
19 février 2010 à 18 06 26 02262
Histoires vraies
Le magicien de Madagascar (4e partie)
Résumé de la 3e partie n A Tananarive le magicien Cazeneuve commence sa représentation en choisissant l’époux de la reine et Premier ministre pour se prêter à ses numéros.
Rainilaiarivony se concentre. Il est visible qu’il s’agit de tout autre chose que d’une simple séance de prestidigitation. C’est un affrontement qui a lieu entre les deux hommes, partisans de deux camps opposés. D’ailleurs, l’assistance, qui comprend plusieurs personnalités anglaises et françaises, ne s’y trompe pas. La tension est nettement perceptible. Le Premier ministre désigne brusquement l’une des deux sentinelles en faction devant la porte.
— Je veux qu’il soit dans le canon de son fusil.
On fait venir le soldat : le mouchoir est bien dans le canon. Rainilaiarivony ne veut pas s’avouer vaincu.
— Et si j’avais dit un autre endroit ?
— Pas de problème. Recommençons…
Le mari de la reine fait venir six œufs. Il en désigne un.
— Celui-ci !
— Cassez-le vous-même Le mouchoir est dedans.
Encore une fois, l’incroyable s’accomplit. La représentation se poursuit sous les yeux de la reine Ranavalo de plus en plus admirative et de son Premier ministre d’époux de plus en plus renfrogné. Les numéros se succèdent, Marius Cazeneuve ne manquant pas d’y glisser des messages en faveur de la France. Par exemple, il fait accrocher un cornet à piston au grand lustre de la salle. Il s’incline devant la souveraine
— Si Votre Majesté le demande, il va se mettre à jouer.
Ranavalo se prête au jeu et l’instrument entonne La Marseillaise. Son mari intervient, l’air rageur, faisant taire les applaudissements de l’assistance :
— Et si je lui demande de jouer le God Save the Queen, il le fera ?
— Essayez, vous verrez bien.
L’ordre est donné, mais au lieu de l’hymne anglais, c’est J’ai du bon tabac qui retentit au milieu des rires.
L’illusionniste a gardé, comme il se doit, le plus exceptionnel pour la fin. Il s’agit d’un numéro que lui a enseigné son maître Robert Houdin et qu’ils sont restés les deux seuls à avoir réalisé. C’est d’ailleurs ce tour que Robert Houdin a employé pour aider les autorités françaises lors de la conquête de l’Algérie. Marius Cazeneuve annonce d’une voix théâtrale :
— Maintenant, je vais me faire fusiller.
C’est avec un visible plaisir que Rainilaiarivony demande à quatre hommes de sa garde de s’approcher et de mettre en joue le magicien. Marius Cazeneuve l’interroge :
— Qu’est-ce qu’ils ont comme arme ?
— Des fusils Remington.
— Parfait ! Je ne crains pas les armes anglaises.
Il donne lui-même l’ordre de feu. La fumée remplit le salon et, lorsqu’elle se dissipe, il vient montrer à la reine les quatre balles dans sa main droite. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare