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La grande harba (XXX)

18 février 2010

Contributions

La grande harba (XXX) dans Contributions logo3

Chronique du jour : CHRONIQUE D’UN TERRIEN
La grande harba (XXX)
Par Maâmar FARAH
farahmaamar@yahoo.fr

Direction : Baïnem… Ce mot magique réveilla en moi des souvenirs que j’avais longtemps enfouis au fin fond de ma mémoire et qui explosèrent soudainement sous le ciel indécis de la Pointe-Pescade.

Où étaient les petits bistrots de ma jeunesse quand dans une espèce de rite, nous venions du centre-ville vers ces rivages gorgés de soleil et de bonne humeur pour vivre intensément quelques moments de bonheur ?

Personne n’avait de bagnole mais ces taxis vert et jaune, qui illuminaient les artères de la cité de leur couleur d’espérance, nous larguaient à toute heure vers toutes les destinations. Pour quelques sous… Je m’oubliais dans cette descente qui longeait la fabrique de ciment et je revoyais les petites maisons aux tuiles saupoudrées de gris et, derrière elles, le spectacle infini de la mer étalant ses charmes sans pudeur… J’entendis presque Dahmane El Harrachi chanter ses deux colombes au regard perdu dans les profondeurs bleues. Je ne savais pas pourquoi, mais tout à l’heure, en quittant Bologhine et en longeant la corniche, il m’avait semblé que ces deux colombes avaient habité Padovani. Il y avait, là-bas, une maison aux allures de palais, faite sur mesure pour elles. Des larmes s’échappèrent du plus profond de mon être. Où êtes-vous, camarades de jeunesse, compagnons de nos errances vers ces rivages lumineux. Il n’y avait pas d’autoroutes et on ne mettait pas plus d’une demi-heure entre la Grande-Poste et Baïnem… Mon Dieu, où est ma ville altière et sereine, ouverte sur la grande bleue, bercée par les poèmes de Momo ? Où est la joie de vivre ? Où sont les fanfares et les défilés du 1er Novembre ? Où sont les promesses ? Le buveur de Jack Daniel’s me rendit la pareille. Il pleurait comme j’ai pleuré à Saint-Eugène. Meriem me rendit la pareille. Elle pleurait comme j’ai pleuré pour sa fille. Comme j’ai pleuré pour le peuple algérien qui avait retrouvé la parole mais qui fuyait comme un brigand, à travers forêts et chemins secondaires… Pleurons parce qu’il ne nous reste que les larmes. Il restera aussi ce que nul ne pourra nous enlever : notre amour extravagant pour ces terres. Etaient-ils vraiment heureux ceux qui avaient acheté les palaces américains avec l’argent du peuple ? Ils se ruaient sur les biens matériels comme les gosses de Oued S’mar tombent sur les détritus des Chinois, là bas dans une décharge publique supprimée jadis mais qui avait repoussé devant l’accroissement notable de la population. Les voleurs, les corrompus, les détrousseurs de biens publics, aimaient-ils cette terre comme nous l’aimions ? Il me semblait parfois qu’ils n’étaient là que pour accumuler les richesses et, une fois qu’ils ne seront plus en poste, ils quitteraient nos terres… Mais pourquoi donc, continuais-je à dire «nos» terres ? J’étais un étranger comme le pied-noir. Mon pays était la Sardélie. Mais, hélas, je n’éprouvais pour cette île qu’un sentiment de royale indifférence. Ces rivages qui ont accueilli mon peuple ne seront jamais «nos» terres. Nous y avons planté nos tentes pour une parenthèse qui sera fermée le jour où les rapaces s’en iront. Voilà Baïnem… C’est une grande ville. Jadis, ce n’était qu’une halte romantique sur le chemin des plages, une escale pour s’en mettre du Dahmane plein les oreilles avant d’aller voir si Sidi Fredj avait toujours les charmes chantés par Guerrouabi. Mais Baïnem, c’était aussi l’immense forêt qui roulait des épaules là-haut. On y allait par le Puits des Zouaves en passant par l’envoûtante auberge de Bouzid… J’avais envie de faire un détour par le «tir aux pigeons», mais mes compagnons n’auraient rien compris à l’importance que j’attacherais immanquablement aux chimères, ces murs droits mais vides, écrasés par le poids des ans et battus par la houle des souvenirs. Peutêtre y retrouverai-je l’Inspecteur Tahar dans sa tenue de tous les jours, fièrement debout derrière le comptoir de son établissement, nous racontant blague sur blague sous la musique de ce vieux Tunisien qui ne quittait jamais sa douce compagne, une mandoline ravagée par l’âge… Bousculade des sensations dans le tourbillon sans fin du temps qui passe… Nuits blanches aux ailes de lumière déployées sur les rivages fouettés par les vents de l’hiver. La mer hurlait et nous chantions pour lui faire oublier sa colère. Petits matins de départs. La DS noire quittait l’artère de caillasse dans un crissement sans fin. Les potes d’El Harrach étaient partis. Il faisait jour. Poches vides et retour par bus… On avait presque honte de côtoyer ceux qui se levaient tôt pour aller au boulot… Là-bas, dans une crique pareille aux autres, une maison blanche ouverte sur le large. C’était Issyakhem et son sourire moqueur… Issyakhem dessinait nos billets de banque et il était souvent fauché, en compagnie d’un autre grand fauché, Kateb Yacine ! Nous les rencontrions parfois dans des cafés sans étoile, rue Abane- Ramdane ou près de Cavaignac. C’était l’Algérie où l’on côtoyait, sans le savoir, des génies. Ils couraient les rues là où, aujourd’hui, ne courent que des Chinois affairés, des trabendistes venus de très loin… Et la route qui se poursuivait vers l’immense carrière de soleil, là où se fabriquait la lumière authentique, loin des minables ateliers de la contrefaçon. Là où mourait l’obscurité, sans tapage, ni pleurs. Presque en s’offrant à l’éclat du jour, comme s’offrirait une amoureuse à son amant… C’était quelque chose d’indéfinissable, quelque chose qui tombait du ciel comme une cascade éblouissante éveillant et le corps et l’esprit ; elle réveillait aussi le génie de la mer qui se mettait alors à composer ses plus beaux tableaux. Ecailles de lumières sur son corps frileux, pullulement d’étincelles dansantes, excitées par le vent du large… Extraordinaire sensation de bonheur et moment d’extase à nul autre pareil… Revoilà la Madrague et ses nonchalantes barques somnolant sous la brise de midi, à l’heure où les sardines grillaient dans les cuisines… Meriem ouvrit grands ses yeux. Elle n’avait jamais vu un thon aussi grand. A qui appartenait-il ? A l’Algérie ? Aux Chinois ? Aux Turcs. Je me souvenais d’un temps où les Turcs ne faisaient pas la loi dans le secteur de la pêche. C’était l’époque où un parti – unique – avait plus de moralité et de rigueur que ces formations de pacotille produisant des milliardaires à la chaîne… Tu mangeras du thon, Meriem. J’avais presque gardé mes devises intactes. Un grand restaurant nous ouvrit ses portes. Le soleil s’y était invité avant nous. Nappes blanches bordées de rayons insolents. Meriem riait et cela faisait plaisir au buveur de Jack Daniel’s. Lui, voulait des crevettes royales en sauce provençale. On lui servit des horreurs au soja où nageaient quelques chevrettes et le thon de Meriem avait le goût du savon ! Ma soupe de pêcheur sentait le Camembert fait… Pour retrouver les bonnes recettes au poisson, il fallait retourner en Sardélie… Sidi Fredj n’était pas loin. Promenade tranquille sur la jetée. Les yeux de Meriem se perdaient dans les tours gigantesques qui narguaient les nuages de l’autre côté de la baie. Ils en avaient fait leur grandiose réalisation ! Des gratte-ciels à Alger, une immense haie de béton et de verre, moche comme tout, s’étalant sur plusieurs kilomètres. «C’est le nouveau Shangaï», avait dit M. Son Atrach, maire de la localité… Jadis, en longeant la côte par bateau, on pouvait voir, tout au long du rivage, la verdure cavaler comme une fille berbère vêtue des couleurs chatoyantes de Kabylie ou des Aurès, le visage illuminé par un large sourire… Maintenant, ils avaient ligoté la verdure, avant de la lâcher sans retenue dans quelques parcs où elle s’ennuyait à regarder tourner les grandes roues et les ménages sans génie. Parfois, ils la tuaient carrément et la faisaient remplacer par un tartan de sixième génération… Et les petits chinois nés ici pensaient que ce bout de plastique était du vrai gazon… Meriem, je ne sais plus si tu vivras longtemps pour voir les pourris quitter ces rivages et le peuple revenir ici… Peut-être que ta fille vivra ce grand moment. Elle verra la nature reprendre ses droits et les fleurs repousser dans des champs de l’Algérie éternelle… Viens, maintenant, continuons notre route, vers Ténès. Nous finirons par les trouver ces Algériens accusés de HSI (Harga en sens inverse) qui ne veulent plus rester loin de leur pays. Pourquoi suis-je parti, Meriem ? Mon cœur s’arrête de battre dès que je mets un pied en dehors de la géographie algérienne… S’ils devaient m’emprisonner parce que je suis Sardèle, j’accepterai avec plaisir puisque je continuerai à humer tes odeurs, mon Algérie, à marcher sur ton sol, à me saouler de ton soleil… Je resterai ici, Meriem, je voterai pour toi, ou pour ta fille…
A suivre M. F.

PS : Ouf, heureusement qu’il n’y a jamais eu de «grande harba». C’est une simple fiction. Je suis bien en Algérie. Chez moi, en Berbérie. Je sens le sel de la mer et je vois la Méditerranée de mon balcon.
Derrière moi, la neige fond aux cimes de la montagne majestueuse. Merci, mon pays, de me donner tant de bonheur… Un salut fraternel à tous ceux qui, de loin, ont les yeux et le cœur tournés vers leur pays.
Prions et agissons pour que tout s’arrange ici afin qu’ils puissent revenir et retrouver leur véritable rang, dans le respect et la dignité ! Nous nous battons chaque jour…

Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/02/18/article.php?sid=95935&cid=8

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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