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Émile Zola UNE PAGE D’AMOUR (1878)-Chapitre III

16 février 2010

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Chapitre III

Chaque mardi, Hélène avait à dîner monsieur Rambaud et l’abbé Jouve. C’étaient eux qui, dans les premiers temps de son veuvage, avaient forcé sa porte et mis leurs couverts, avec un sans-gêne amical, pour la tirer au moins une fois par semaine de la solitude où elle vivait. Puis, ces dîners du mardi étaient devenus une véritable institution. Les convives s’y retrouvaient, comme à un devoir, juste à sept heures sonnant, avec la même joie tranquille. – 32 – Ce mardi-là, Hélène, assise près d’une fenêtre, travaillait à un ouvrage de couture, profitant des dernières lueurs du crépuscule, en attendant ses invités. Elle vivait là ses journées, dans une paix très douce. Sur ces hauteurs, les bruits se mouraient. Elle aimait cette vaste chambre si calme, avec son luxe bourgeois, son palissandre et son velours bleu. Lorsque ses amis l’avaient installée, sans qu’elle s’occupât de rien, elle avait un peu souffert, les premières semaines, de ce gros luxe où monsieur Rambaud venait d’épuiser son idéal d’art et de confort, à la vive admiration de l’abbé, qui s’était récusé ; mais elle finissait par être très heureuse dans ce milieu, en le sentant solide et simple comme son coeur. Les rideaux lourds, les meubles sombres et cossus, ajoutaient à sa tranquillité. La seule récréation qu’elle prît pendant ses longues heures de travail, était de donner un regard au vaste horizon, au grand Paris qui déroulait devant elle la mer houleuse de ses toitures. Son coin de solitude ouvrait sur cette immensité. – Maman, je ne vois plus clair, dit Jeanne, assise près d’elle sur une chaise basse. Et elle laissa tomber son ouvrage, regardant Paris que de grandes ombres noyaient. D’ordinaire, elle était peu bruyante. Il fallait que sa mère se fâchât pour la décider à sortir ; sur l’ordre formel du docteur Bodin, elle l’emmenait pendant deux heures chaque jour au bois de Boulogne ; et c’était là leur unique promenade, elles n’étaient pas descendues trois fois dans Paris en dix-huit mois. Nulle part l’enfant ne semblait plus gaie que dans la grande chambre bleue. Hélène avait dû renoncer à lui faire apprendre la musique. Un orgue jouant dans le silence du quartier la laissait tremblante, les yeux humides. Elle aidait sa mère à coudre des layettes pour les pauvres de l’abbé Jouve. La nuit était complètement venue, lorsque Rosalie entra avec une lampe. Elle paraissait toute retournée, dans son coup de feu de cuisinière. Le dîner du mardi était le seul événement de la semaine qui mettait en l’air la maison. – 33 – – Ces messieurs ne viennent donc pas ce soir, Madame ? demanda-t-elle. Hélène regarda la pendule. – Il est sept heures moins un quart, ils vont arriver. Rosalie était un cadeau de l’abbé Jouve. Il l’avait prise à la gare d’Orléans, le jour où elle débarquait, de façon qu’elle ne connaissait pas un pavé de Paris. C’était un ancien condisciple de séminaire, le curé d’un village beauceron, qui la lui avait envoyée. Elle était courte, grasse, la figure ronde sous son étroit bonnet, les cheveux noirs et durs, avec un nez écrasé et une bouche rouge. Et elle triomphait dans les petits plats, car elle avait grandi au presbytère, avec sa marraine, la servante du curé. – Ah ! voilà monsieur Rambaud ! dit-elle en allant ouvrir, avant qu’on eût sonné. Monsieur Rambaud, grand, carré, montra sa large figure de notaire de province. Ses quarante-cinq ans étaient déjà tout gris. Mais ses gros yeux bleus gardaient l’air étonné, naïf et doux d’un enfant. – Et voilà monsieur l’abbé, tout notre monde y est ! reprit Rosalie, en ouvrant de nouveau la porte. Pendant que monsieur Rambaud, après avoir serré la main d’Hélène, s’asseyait sans parler, souriant en homme qui est chez lui, Jeanne s’était jetée au cou de l’abbé. – Bonjour, bon ami ! dit-elle. J’ai été bien malade. – Bien malade, ma chérie ! – 34 – Les deux hommes s’inquiétèrent, l’abbé surtout, un petit homme sec, avec une grosse tête, sans grâce, habillé à la diable, et dont les yeux à demi fermés s’agrandirent et s’emplirent d’une belle lumière de tendresse. Jeanne, lui laissant une de ses mains, avait donné l’autre à monsieur Rambaud. Tous deux la tenaient et la couvaient de leurs regards anxieux. Il fallut qu’Hélène racontât la crise. L’abbé faillit se fâcher, parce qu’elle ne l’avait pas prévenu. Et ils la questionnaient : au moins c’était bien fini, l’enfant n’avait plus rien eu ? La mère souriait. – Vous l’aimez plus que moi, vous finirez par m’effrayer, ditelle. Non, elle n’a plus rien ressenti, quelques douleurs dans les membres seulement, avec des pesanteurs de tête… Mais nous allons combattre tout ça énergiquement. – Madame est servie, vint annoncer la bonne. La salle à manger était meublée en acajou, une table, un buffet et huit chaises. Rosalie alla tirer les rideaux de reps rouge. Une suspension très simple, une lampe de porcelaine blanche dans un cercle de cuivre, éclairait le couvert, les assiettes symétriques et le potage qui fumait. Chaque mardi, le dîner ramenait les mêmes conversations. Mais, ce jour-là, on causa naturellement du docteur Deberle. L’abbé Jouve en fit un grand éloge, bien que le docteur ne fût guère dévot. Il le citait comme un homme d’un caractère droit, d’un coeur charitable, très bon père et très bon mari, donnant enfin les meilleurs exemples. Quant à madame Deberle, elle était excellente, malgré les allures un peu vives, qu’elle devait à sa singulière éducation parisienne. En un mot, un ménage charmant. Hélène parut heureuse ; elle avait jugé le ménage ainsi, et ce que lui disait l’abbé l’engageait à continuer des relations, qui l’effrayaient un peu d’abord. – Vous vous enfermez trop, déclara le prêtre. – Sans doute, appuya monsieur Rambaud. – 35 – Hélène les regardait avec son calme sourire, comme pour leur dire qu’ils lui suffisaient et qu’elle redoutait toute amitié nouvelle. Mais dix heures sonnèrent, l’abbé et son frère prirent leurs chapeaux. Jeanne venait de s’endormir sur un fauteuil, dans la chambre. Ils se penchèrent un instant, hochèrent la tête d’un air satisfait en voyant la paix de son sommeil. Puis, ils partirent sur la pointe des pieds ; et, dans l’antichambre, baissant la voix : – A mardi. – J’oubliais, murmura l’abbé qui remonta deux marches. La mère Fétu est malade. Vous devriez aller la voir. – J’irai demain, répondit Hélène. L’abbé l’envoyait volontiers chez ses pauvres. Ils avaient ensemble toutes sortes de conversations à voix basse, des affaires à eux, sur lesquelles ils s’entendaient à demi-mot, et dont ils ne parlaient jamais devant le monde. Le lendemain, Hélène sortit seule ; elle évitait d’emmener Jeanne, depuis que l’enfant était restée deux jours frissonnante, au retour d’une visite de charité chez un vieillard paralytique. Dehors, elle suivit la rue Vineuse, prit la rue Raynouard et s’engagea dans le passage des Eaux, un étrange escalier étranglé entre les murs des jardins voisins, une ruelle escarpée qui descend sur le quai, des hauteurs de Passy. Au bas de cette pente, dans une maison délabrée, la mère Fétu habitait une mansarde, éclairée par une lucarne ronde, et qu’un misérable lit, une table boiteuse et une chaise dépaillée emplissaient. – Ah ! ma bonne dame, ma bonne dame…. se mit-elle à geindre, lorsqu’elle vit entrer Hélène. La mère Fétu était couchée. Toute ronde malgré sa misère, comme enflée et la face bouffie, elle ramenait de ses mains gourdes le lambeau de drap qui la couvrait. Elle avait de petits – 36 – yeux fins, une voix pleurarde, une humilité bruyante qu’elle traduisait par un flot de paroles. – Ah ! ma bonne dame, je vous remercie !… Oh ! là, là ! que je souffre ! C’est comme si des chiens me mangeaient le côté… Oh ! bien sûr, j’ai une bête dans le ventre. Tenez, c’est là, vous voyez. La peau n’est pas entamée, le mal est dedans… Oh ! là, là ! ça ne cesse pas depuis deux jours. S’il est possible, bon Dieu ! de tant souffrir… Ah ! ma bonne dame, merci ! Vous n’oubliez pas le pauvre monde. Ça vous sera compté, oui, ça vous sera compté… Hélène s’était assise. Puis, apercevant un pot de tisane fumant sur la table, elle emplit une tasse qui était à côté, et la tendit à la malade. Près du pot, il y avait un paquet de sucre, deux oranges, d’autres douceurs. – On est venu vous voir ? demanda-t-elle. – Oui, oui, une petite dame. Mais ça ne sait pas… Ce n’est pas de tout ça qu’il me faudrait. Ah ! si j’avais un peu de viande ! La voisine mettrait le pot au feu… Là, là ! ça me pince plus fort. Vrai, on dirait un chien… Ah ! si j’avais un peu de bouillon… Et, malgré les souffrances qui la tordaient, elle suivait de ses yeux fins Hélène, occupée à fouiller dans sa poche. Quand elle lui vit poser sur la table une pièce de dix francs, elle se lamenta davantage, avec des efforts pour s’asseoir. Tout en se débattant, elle allongea le bras, la pièce disparut, pendant qu’elle répétait : – Mon Dieu ! c’est encore une crise. Non, je ne puis plus durer comme ça… Dieu vous le rendra, ma bonne dame. Je lui dirai qu’il vous le rende… Tenez, ce sont des élancements qui me traversent tout le corps… Monsieur l’abbé m’avait bien promis que vous viendriez. Il n’y a que vous pour savoir faire. Je vais acheter un peu de viande… Voilà que ça me descend dans les cuisses. Aidez-moi, je ne peux plus, je ne peux plus… – 37 – Elle voulait se retourner. Hélène retira ses gants, la saisit le plus doucement possible. et la recoucha. Comme elle était encore penchée, la porte s’ouvrit, et elle fut si surprise de voir entrer le docteur Deberle, qu’une rougeur monta à ses joues. Lui aussi avait donc des visites dont il ne parlait pas ! – C’est monsieur le médecin, bégayait la vieille. Vous êtes tous bien bons, que le Ciel vous bénisse tous ! Le docteur avait salué discrètement Hélène. La mère Fétu, depuis qu’il était entré, ne geignait plus si fort. Elle gardait seulement une petite plainte sifflante et continue d’enfant qui souffre. Elle avait bien vu que la bonne dame et le docteur se connaissaient, et elle ne les quittait plus du regard, allant de l’un à l’autre, avec un sourd travail dans les mille rides de son visage. Le docteur lui posa quelques questions, percuta le côté droit. Puis, se tournant vers Hélène qui venait de se rasseoir, il murmura : – Ce sont des coliques hépatiques. Elle sera sur pied dans quelques jours. Et, déchirant une page de son carnet sur laquelle il avait écrit quelques lignes, il dit à la mère Fétu : – Tenez, vous ferez porter cela chez le pharmacien de la rue de Passy, et vous prendrez toutes les deux heures une cuillerée de la potion qu’on vous donnera. Alors, de nouveau, elle éclata en bénédictions. Hélène restait assise. Le docteur parut s’attarder, la regardant, lorsque leurs yeux se rencontraient. Puis, il salua et se retira le premier, par discrétion. Il n’avait pas descendu un étage, que la mère Fétu reprenait ses gémissements. – Ah ! quel brave médecin !… Pourvu que son remède me fasse quelque chose ! J’aurais dû écraser de la chandelle avec des pissenlits, ça ôte l’eau qui est dans le corps… Ah ! vous pouvez dire que vous connaissez là un brave médecin ! Vous le – 38 – connaissez peut-être bien depuis longtemps ?… Mon Dieu ! que j’ai soif ! J’ai le feu dans le sang… Il est marié, n’est-ce pas ? Il mérite bien d’avoir une bonne femme et de beaux enfants… Enfin, ça fait plaisir de voir que les braves gens se connaissent. Hélène s’était levée pour lui donner à boire. – Eh bien ! au revoir, mère Fétu, dit-elle. A demain. – C’est cela… Que vous êtes bonne !… Si j’avais seulement un peu de linge ! Voyez ma chemise, elle est en deux. Je suis couchée sur un fumier… Ça ne fait rien, le bon Dieu vous rendra tout ça. Le lendemain, lorsque Hélène arriva, le docteur Deberle était chez la mère Fétu. Assis sur la chaise, il rédigeait une ordonnance, pendant que la vieille femme parlait avec sa volubilité larmoyante. – Maintenant, monsieur, c’est comme un plomb… Pour sûr, j’ai du plomb dans le côté. Ça pèse cent livres, je ne peux pas me retourner. Mais quand elle aperçut Hélène, elle ne s’arrêta plus. – Ah ! c’est la bonne dame… Je le disais bien à ce cher monsieur elle viendra, le ciel tomberait qu’elle viendrait tout de même… Une vraie sainte, un ange du paradis, et belle, si belle qu’on se mettrait à genoux dans les rues pour la voir passer… Ma bonne dame, ça ne va pas mieux. A cette heure, j’ai un plomb là… Oui, je lui ai raconté tout ce que vous faisiez pour moi. L’empereur ne fait pas davantage… Ah ! il faudrait être bien méchant pour ne pas vous aimer, bien méchant… Pendant qu’elle lâchait ces phrases en roulant la tête sur le traversin, ses petits yeux à demi clos, le docteur souriait à Hélène, qui restait très gênée. – 39 – – Mère Fétu, murmura-t-elle, je vous apportais un peu de linge… – Merci, merci, Dieu vous le rendra… C’est comme ce cher monsieur, il fait plus de bien au pauvre monde que tous les gens dont c’est le métier. Vous ne savez pas qu’il m’a soignée pendant quatre mois ; et des médicaments, et du bouillon, et du vin. On n’en trouve pas beaucoup des riches comme ça, si honnêtes avec un chacun. Encore un ange du bon Dieu… Oh ! là, là ! c’est une vraie maison que j’ai dans le ventre… A son tour, le docteur parut embarrassé. Il se leva, voulut donner sa chaise à Hélène. Mais celle-ci, bien qu’elle fût venue avec le projet de passer là un quart d’heure, refusa en disant : – Merci, monsieur, je suis très pressée. Cependant, la mère Fétu, tout en continuant à rouler la tête, venait d’allonger le bras, et le paquet de linge avait disparu au fond du lit. Puis, elle continua : – Ah ! on peut bien dire que vous faites la paire… Je dis ça, sans vouloir vous offenser, parce que c’est vrai… Qui a vu l’un a vu l’autre. Les braves gens se comprennent… Mon Dieu ! donnez-moi la main, que je me retourne !… Oui, oui, ils se comprennent… – Au revoir, mère Fétu, dit Hélène, qui laissa la place au docteur. Je ne crois pas que je passerai demain. Pourtant, elle monta encore le jour suivant. La vieille femme sommeillait. Dès qu’elle s’éveilla et qu’elle la reconnut, tout en noir, sur la chaise, elle cria : – 40 – – Il est venu… Vrai, je ne sais pas ce qu’il m’a fait prendre, je suis raide comme un bâton… Ah ! nous avons causé de vous. Il m’a demandé toutes sortes de choses, et si vous étiez triste d’ordinaire, et si vous aviez toujours la même figure… C’est un homme si bon ! Elle avait ralenti la voix, elle semblait attendre sur le visage d’Hélène l’effet de ses paroles, de cet air câlin et anxieux des pauvres qui veulent faire plaisir au monde. Sans doute, elle pensa voir, au front de la bonne dame, un pli de mécontentement, car sa grosse figure bouffie, tendue et allumée, s’éteignit tout d’un coup. Elle reprit en bégayant : – Je dors toujours. Je suis peut-être bien empoisonnée… Il y a une femme, rue de l’Annonciation, qu’un pharmacien a tuée en lui donnant une drogue pour une autre. Hélène, ce jour-là, s’attarda près d’une demi-heure chez la mère Fétu, l’écoutant parler de la Normandie, où elle était née, et où l’on buvait de si bon lait. Après un silence : – Est-ce que vous connaissez le docteur depuis longtemps ? demanda-t-elle négligemment. La vieille femme, allongée sur le dos, leva à demi les paupières et les referma. – Ah ! oui, par exemple ! répondit-elle à voix presque basse. Son père m’a soignée avant 48, et il l’accompagnait. – On m’a dit que le père était un saint homme. – Oui, oui… Un peu braque… Le fils, voyez-vous, vaut encore mieux. Quand il vous touche, on croirait des mains de velours. Il y eut un nouveau silence. – 41 – – Je vous conseille de faire tout ce qu’il vous dira, reprit Hélène. Il est très savant, il a sauvé ma fille. – Bien sûr ! s’écria la mère Fétu qui s’animait. On peut avoir confiance, il a ressuscité un petit garçon qu’on allait emporter… Oh ! vous ne m’empêcherez pas de le dire, il n’y en a pas deux comme lui. J’ai la main chanceuse, je tombe sur la crème des honnêtes gens… Aussi, je remercie le bon Dieu tous les soirs. Je ne vous oublie ni l’un ni l’autre, allez ! Vous êtes ensemble dans mes prières… Que le bon Dieu vous protège et vous accorde tout ce que vous pouvez souhaiter ! Qu’il vous comble de ses trésors ! Qu’il vous garde une place dans son paradis ! Elle s’était soulevée, et, les mains jointes, elle semblait implorer le Ciel avec une ferveur extraordinaire. Hélène la laissa longtemps aller ainsi, et même elle souriait. L’humilité bavarde de la vieille femme finissait par la bercer et l’assoupir d’une façon très douce. Lorsqu’elle partit, elle lui promit un bonnet et une robe, pour le jour où elle se lèverait. Toute la semaine, Hélène s’occupa de la mère Fétu. La visite qu’elle lui faisait chaque après-midi entrait dans ses habitudes. Elle s’était surtout prise d’une singulière amitié pour le passage des Eaux. Cette ruelle escarpée lui plaisait par sa fraîcheur et son silence, par son pavé toujours propre, que lavait, les jours de pluie, un torrent coulant des hauteurs. Quand elle arrivait, elle avait, d’en haut, une étrange sensation, en regardant s’enfoncer la pente raide du passage, le plus souvent désert, connu à peine de quelques habitants des rues voisines. Puis, elle se hasardait, elle entrait par une voûte, sous la maison qui borde la rue Raynouard ; et elle descendait à petits pas les sept étages de larges marches, le long desquelles passe le lit d’un ruisseau caillouté, occupant la moitié de l’étroit couloir. Les murs des – 42 – jardins, à droite et à gauche, se renflaient, mangés d’une lèpre grise ; des arbres allongeaient leurs branches, des feuillages pleuvaient, un lierre jetait la draperie de son épais manteau ; et toutes ces verdures, qui ne laissaient voir que des coins bleus de ciel, faisaient un jour verdâtre très doux et très discret. Au milieu de la descente, elle s’arrêtait pour souffler, s’intéressant au réverbère qui pendait là, écoutant des rires, dans les jardins, derrière des portes qu’elle n’avait jamais vues ouvertes. Parfois, une vieille montait, en s’aidant de la rampe de fer, noire et luisante, scellée à la muraille de droite ; une dame s’appuyait sur son ombrelle comme sur une canne ; une bande de gamins dégringolaient en tapant leurs souliers. Mais presque toujours elle restait seule, et c’était un grand charme que cet escalier recueilli et ombragé, pareil à un chemin creux dans les forêts. En bas, elle levait les yeux. La vue de cette pente si raide, où elle venait de se risquer, lui donnait une légère peur. Chez la mère Fétu, elle entrait avec la fraîcheur et la paix du passage des Eaux dans ses vêtements. Ce trou de misère et de douleur ne la blessait plus. Elle y agissait comme chez elle, ouvrant la lucarne ronde, pour renouveler l’air, déplaçant la table, lorsqu’elle la gênait. La nudité de ce grenier, les murs blanchis à la chaux, les meubles éclopés, la ramenaient à une simplicité d’existence qu’elle avait parfois rêvée, étant jeune fille. Mais ce qui la charmait surtout, c’était l’émotion attendrie dans laquelle elle vivait là : son rôle de garde-malade, les continuelles lamentations de la vieille femme, tout ce qu’elle voyait et sentait autour d’elle la laissait frissonnante d’une pitié immense. Elle avait fini par attendre avec une visible impatience la visite du docteur Deberle. Elle le questionnait sur l’état de la mère Fétu ; puis, ils causaient un instant d’autre chose, debout l’un près de l’autre, se regardant bien en face. Une intimité s’établissait entre eux. Ils s’étonnaient en découvrant qu’ils avaient des goûts semblables. Ils se comprenaient souvent sans ouvrir les lèvres, le coeur tout d’un coup noyé de la même charité débordante. Et rien n’était plus doux, pour Hélène, que cette sympathie, qui se nouait en dehors des cas ordinaires, et à laquelle elle cédait sans résistance, tout amollie de pitié. Elle avait eu peur du docteur – 43 – d’abord ; dans son salon, elle aurait gardé la froideur méfiante de sa nature. Mais là, ils se trouvaient loin du monde, partageant l’unique chaise, presque heureux de ces pauvres et laides choses qui les rapprochaient, en les attendrissant. Au bout de la semaine, ils se connaissaient comme s’ils avaient vécu des années côte à côte. Le taudis de la mère Fétu s’emplissait de lumière, dans cette communion de leur bonté. Cependant, la vieille femme se remettait bien lentement. Le docteur était surpris et l’accusait de se dorloter, lorsqu’elle lui racontait que maintenant elle avait un plomb dans les jambes. Elle geignait toujours, elle restait sur le dos, à rouler la tête ; et elle fermait les yeux, comme pour les laisser libres. Même, un jour, elle parut s’endormir ; mais, sous ses paupières, un coin de ses petits yeux noirs les guettait. Enfin, elle dut se lever. Le lendemain, Hélène lui apporta la robe et le bonnet qu’elle lui avait promis. Quand le docteur fut là, la vieille s’écria tout d’un coup : – Mon Dieu ! et la voisine qui m’a dit de voir à son pot-aufeu ! Elle sortit, elle tira la porte derrière elle, les laissant tous deux seuls. Ils continuèrent d’abord leur conversation, sans s’apercevoir qu’ils étaient enfermés. Le docteur pressait Hélène de descendre parfois passer l’après-midi dans son jardin, rue Vineuse. – Ma femme, dit-il, doit vous rendre votre visite, et elle vous renouvellera mon invitation… Cela ferait beaucoup de bien à votre fille. – Mais je ne refuse pas, je ne demande pas qu’on vienne me chercher en grande cérémonie, dit-elle en riant. Seulement, j’ai peur d’être indiscrète… Enfin, nous verrons. Ils causèrent encore. Puis, le docteur s’étonna. – 44 – – Où diable est-elle allée ? Il y a un quart d’heure qu’elle est sortie pour ce pot-au-feu. Hélène vit alors que la porte était fermée. Cela ne la blessa pas tout de suite. Elle parlait de madame Deberle, dont elle faisait un vif éloge à son mari. Mais, comme le docteur tournait continuellement la tête du côté de la porte, elle finit par se sentir gênée. – C’est bien singulier qu’elle ne revienne pas, murmura-t-elle à son tour. Leur conversation tomba. Hélène, ne sachant que faire, ouvrit la lucarne ; et quand elle se retourna, ils évitèrent de se regarder. Des rires d’enfant entraient par la lucarne, qui taillait une lune bleue, très haut, dans le ciel. Ils étaient bien seuls, cachés à tous les regards, n’ayant que cette trouée ronde qui les voyait. Les enfants se turent, au loin ; un silence frissonnant régna. Personne ne serait venu les chercher dans ce grenier perdu. Leur embarras grandissait. Hélène alors, mécontente d’elle, regarda fixement le docteur. – Je suis accablé de visites, dit-il aussitôt. Puisqu’elle ne reparaît pas, je me sauve. Et il s’en alla. Hélène s’était assise. La mère Fétu rentra immédiatement, avec un flot de paroles. – Ah ! je ne puis pas me traîner, j’ai eu une faiblesse… Il est donc parti, le cher monsieur ? Bien sûr, il n’y a pas de commodités ici. Vous êtes tous les deux des anges du ciel, de passer votre temps avec une malheureuse comme moi. Mais le bon Dieu vous rendra tout ça… C’est descendu dans les pieds, aujourd’hui. J’ai dû m’asseoir sur une marche. Et je ne savais plus, parce que vous ne faisiez pas de bruit… Enfin, je voudrais des chaises. Si j’avais seulement un fauteuil ! Mon matelas est bien mauvais. J’ai honte quand vous venez… Toute la maison est – 45 – à vous, et je me jetterais dans le feu, s’il le fallait. Le bon Dieu le sait, je le lui dis assez souvent… O mon Dieu ! faites que le bon monsieur et la bonne dame soient satisfaits dans tous leurs désirs. Au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, ainsi soit-il ! Hélène l’écoutait, et elle éprouvait une singulière gêne. Le visage bouffi de la mère Fétu l’inquiétait. Jamais non plus elle n’avait ressenti un pareil malaise dans l’étroite pièce. Elle en voyait la pauvreté sordide, elle souffrait du manque d’air, de toutes les déchéances de la misère enfermées là. Elle se hâta de s’éloigner, blessée par les bénédictions dont la mère Fétu la poursuivait. Une autre tristesse l’attendait dans le passage des Eaux. Au milieu de ce passage, à droite en descendant, se trouve dans le mur une sorte d’excavation, quelque puits abandonné, fermé par une grille. Depuis deux jours, en passant, elle entendait, au fond de ce trou, les miaulements d’un chat. Comme elle montait, les miaulements recommencèrent, mais si lamentables, qu’ils exhalaient une agonie. La pensée que la pauvre bête, jetée dans l’ancien puits, y mourait longuement de faim, brisa tout d’un coup le coeur d’Hélène. Elle pressa le pas, avec la pensée qu’elle n’oserait de longtemps se risquer le long de l’escalier, de peur d’y entendre ce miaulement de mort. Justement, on était au mardi. Le soir, à sept heures, comme Hélène achevait une petite brassière, les deux coups de sonnette habituels retentirent, et Rosalie ouvrit la porte, en disant : – C’est monsieur l’abbé qui arrive le premier, aujourd’hui… Ah ! voici monsieur Rambaud. Le dîner fut très gai, Jeanne allait mieux encore, et les deux frères, qui la gâtaient, obtinrent qu’elle mangerait un peu de salade, qu’elle adorait, malgré la défense formelle du docteur Bodin. Puis, lorsqu’on passa dans la chambre, l’enfant, encouragée, se pendit au cou de sa mère en murmurant : – 46 – – Je t’en prie, petite mère, mène-moi demain avec toi chez la vieille femme. Mais le prêtre et monsieur Rambaud furent les premiers à la gronder. On ne pouvait pas la mener chez les malheureux, puisqu’elle ne savait pas s’y conduire. La dernière fois, elle avait eu deux évanouissements, et durant trois jours, même pendant son sommeil, ses yeux gonflés ruisselaient. – Non, non, répéta-t-elle, je ne pleurerai pas, je le promets. Alors, sa mère l’embrassa, en disant : – C’est inutile, ma chérie, la vieille femme se porte bien… Je ne sortirai plus, je resterai toute la journée avec toi. Chapitre IV La semaine suivante, lorsque madame Deberle rendit à madame Grandjean sa visite, elle se montra d’une amabilité pleine de caresses. Et, sur le seuil, comme elle se retirait : – Vous savez ce que vous m’avez promis… Le premier jour de beau temps, vous descendez au jardin et vous amenez Jeanne. C’est une ordonnance du docteur. Hélène souriait. – Oui, oui, la chose est entendue. Comptez sur nous. Trois jours plus tard, par un clair après-midi de février, elle descendit en effet avec sa fille. La concierge leur ouvrit la porte de communication. Au fond du jardin, dans une sorte de serre transformée en pavillon japonais, elles trouvèrent madame Deberle, ayant auprès d’elle sa soeur Pauline, toutes deux les – 47 – mains abandonnées, avec des ouvrages de broderie sur une petite table, qu’elles avaient posés là et oubliés. – Ah ! que c’est donc aimable à vous ! dit Juliette. Tenez, mettez-vous ici… Pauline, pousse cette table… Vous voyez, il fait encore un peu frais, lorsqu’on reste assis, et de ce pavillon nous surveillerons très bien les enfants… Allons, jouez, mes enfants. Surtout, prenez garde de tomber. La large baie du pavillon était ouverte, et de chaque côté on avait tiré dans leur châssis des glaces mobiles ; de sorte que le jardin se développait de plain-pied, comme au seuil d’une tente. C’était un jardin bourgeois, avec une pelouse centrale, flanquée de deux corbeilles. Une simple grille le fermait sur la rue Vineuse ; seulement, un tel rideau de verdure avait grandi là, que de la rue aucun regard ne pouvait pénétrer ; des lierres, des clématites, des chèvrefeuilles se collaient et s’enroulaient à la grille, et, derrière ce premier mur de feuillage, s’en haussait un second, fait de lilas et de faux ébéniers. Même l’hiver, les feuilles persistantes des lierres et l’entrelacement des branches suffisaient à barrer la vue. Mais le grand charme était, au fond, quelques arbres de haute futaie, des ormes superbes qui masquaient la muraille noire d’une maison à cinq étages. Ils mettaient, dans cet étranglement des constructions voisines, l’illusion d’un coin de parc et semblaient agrandir démesurément ce jardinet parisien, que l’on balayait comme un salon. Entre deux ormes pendait une balançoire, dont l’humidité avait verdi la planchette. Hélène regardait, se penchait pour mieux voir. – Oh ! c’est un trou, dit négligemment madame Deberle. Mais, à Paris, les arbres sont si rares… On est bien heureux d’en avoir une demi-douzaine à soi. – Non, non, vous êtes très bien, murmurait Hélène. C’est charmant. – 48 – Ce jour-là, dans le ciel pâle, le soleil mettait une poussière de lumière blonde. C’était, entre les branches sans feuilles, une pluie lente de rayons. Les arbres rougissaient, on voyait les fins bourgeons violâtres attendrir le ton gris de l’écorce. Et sur la pelouse, le long des allées, les herbes et les graviers avaient des pointes de clarté, qu’une brume légère, au ras du sol, noyait et fondait. Il n’y avait pas une fleur, la gaieté seule du soleil sur la terre nue annonçait le printemps. – Maintenant, c’est encore un peu triste, reprit madame Deberle. Vous verrez en juin, on est dans un vrai nid. Les arbres empêchent les gens d’à côté d’espionner, et nous sommes alors complètement chez nous… Mais elle s’interrompit pour crier : – Lucien, veux-tu bien ne pas toucher à la fontaine ! Le petit garçon, qui faisait les honneurs du jardin à Jeanne, venait de la conduire devant une fontaine, sous le perron, et là, il avait tourné le robinet, présentant le bout de ses bottines pour les mouiller. C’était un jeu qu’il adorait. Jeanne, très grave, le regardait se tremper les pieds. – Attends, dit Pauline qui se leva, je vais le faire tenir tranquille. Juliette la retint. – Non, non, tu es plus écervelée que lui. L’autre jour, on aurait cru que vous aviez pris un bain tous les deux… C’est singulier qu’une grande fille ne puisse pas rester deux minutes assise… – 49 – Et, se tournant : – Entends-tu, Lucien, ferme le robinet tout de suite ! L’enfant, effrayé, voulut obéir. Mais il tourna la clef davantage, l’eau coula avec une raideur et un bruit qui achevèrent de lui faire perdre la tête. Il recula, éclaboussé jusqu’aux épaules. – Ferme le robinet tout de suite ! répétait sa mère, dont un flot de sang empourprait les joues. Alors, Jeanne, muette jusque-là, s’approcha de la fontaine avec toutes sortes de précautions, pendant que Lucien éclatait en sanglots, en face de cette eau enragée dont il avait peur et qu’il ne savait plus comment arrêter. Elle mit sa jupe entre ses jambes, allongea ses poignets nus pour ne pas mouiller ses manches, et ferma le robinet, sans recevoir une seule éclaboussure. Brusquement, le déluge cessa. Lucien, étonné, frappé de respect, rentra ses larmes et leva ses gros yeux sur la demoiselle. – Vraiment, cet enfant me met hors de moi, reprit madame Deberle, qui redevenait toute blanche et s’allongeait comme brisée de fatigue. Hélène crut devoir intervenir. – Jeanne, dit-elle, prends-lui la main, jouez à vous promener. Jeanne prit la main de Lucien, et, gravement, ils s’en allèrent par les allées, à petits pas. Elle était beaucoup plus grande que lui, il avait le bras en l’air ; mais ce jeu majestueux, qui consistait à tourner en cérémonie autour de la pelouse, semblait les absorber l’un et l’autre et donner une grande importance à leurs personnes. Jeanne, comme une vraie dame, avait les regards flottants et – 50 – perdus. Lucien ne pouvait s’empêcher, par moments, de risquer un coup d’oeil sur sa compagne. Ils ne se disaient pas un mot. – Ils sont drôles, murmura madame Deberle, souriante et calmée. Il faut dire que votre Jeanne est une bien charmante enfant… Elle est d’une obéissance, d’une sagesse… – Oui, quand elle est chez les autres, répondit Hélène. Elle a des heures terribles. Mais comme elle m’adore, elle tâche d’être sage pour ne pas me faire de la peine. Ces dames causèrent des enfants. Les filles étaient plus précoces que les garçons. Pourtant, il ne fallait pas se fier à l’air bêta de Lucien. Avant un an, lorsqu’il se serait un peu débrouillé, ce serait un gaillard. Et, sans transition apparente, on en vint à parler d’une femme qui habitait un petit pavillon en face, et chez laquelle il se passait vraiment des choses… Madame Deberle s’arrêta pour dire à sa soeur : – Pauline, va donc une minute dans le jardin. La jeune fille sortit tranquillement et resta sous les arbres. Elle était habituée à ce qu’on la mît dehors, chaque fois que dans la conversation se présentait quelque chose de trop gros dont on ne pouvait parler devant elle. – Hier, j’étais à la fenêtre, reprit Juliette, et j’ai parfaitement vu cette femme… Elle ne tire pas même les rideaux… C’est d’une indécence ! Des enfants pourraient voir ça. Elle parlait tout bas, l’air scandalisé, avec un mince sourire dans le coin des lèvres pourtant. Puis, haussant la voix, elle cria : – Pauline ! tu peux revenir. – 51 – Sous les arbres, Pauline regardait en l’air, d’un air indifférent, en attendant que sa soeur eût fini. Elle entra dans le pavillon, et reprit sa chaise, pendant que Juliette continuait, en s’adressant à Hélène : – Vous n’avez jamais rien aperçu, vous, madame ? – Non, répondit celle-ci, mes fenêtres ne donnent pas sur le pavillon. Bien qu’il y eût une lacune pour la jeune fille dans la conversation, elle écoutait, avec son blanc visage de vierge, comme si elle avait compris. Ah bien ! dit-elle en regardant encore en l’air par la porte, il y a joliment des nids dans les arbres ! Cependant, madame Deberle avait repris sa broderie comme maintien. Elle faisait deux points toutes les minutes. Hélène, qui ne pouvait rester inoccupée, demanda la permission d’apporter de l’ouvrage, une autre fois. Et, prise d’un léger ennui, elle se tourna, elle examina le pavillon japonais. Les murs et le plafond étaient tendus d’étoffes brochées d’or, avec des vols de grues qui s’envolaient, des papillons et des fleurs éclatantes, des paysages où des barques bleues nageaient sur des fleuves jaunes. Il y avait des sièges et des jardinières de bois de fer, sur le sol des nattes fines, et, encombrant des meubles de laque, tout un monde de bibelots, petits bronzes, petites potiches, jouets étranges bariolés de couleurs vives. Au fond, un grand magot en porcelaine de Saxe, les jambes pliées, le ventre nu et débordant, éclatait d’une gaieté énorme en branlant furieusement la tête, à la moindre poussée. – Hein ? est-il assez laid ? s’écria Pauline qui avait suivi les regards d’Hélène. Dis donc, soeur, tu sais que c’est de la camelote, tout ce que tu as acheté ? Le beau Malignon appelle ta japonerie « le bazar à treize sous »… A propos, je l’ai rencontré, le beau – 52 – Malignon. Il était avec une dame, oh ! une dame, la petite Florence, des Variétés. – Où donc ? que je le taquine ! demanda vivement Juliette. – Sur le boulevard… Est-ce qu’il ne doit pas venir aujourd’hui ? Mais elle ne reçut pas de réponse. Ces dames s’inquiétaient des enfants, qui avaient disparu. Où pouvaient-ils être ? Et comme elles les appelaient, deux voix aiguës s’élevèrent. – Nous sommes là ! Ils étaient là, en effet, au milieu de la pelouse, assis dans l’herbe, à demi cachés par un fusain. – Qu’est-ce que vous faites donc ? – Nous sommes arrivés à l’auberge cria Lucien. Nous nous reposons dans notre chambre. Un instant, elles les regardèrent, très égayées. Jeanne se prêtait au jeu, complaisamment. Elle coupait de l’herbe autour d’elle, sans doute pour préparer le déjeuner. La malle des voyageurs était figurée par un bout de planche, qu’ils avaient ramassé au fond d’un massif. Maintenant, ils causaient. Jeanne se passionnait, répétant avec conviction qu’ils étaient en Suisse et qu’ils allaient partir pour visiter les glaciers, ce qui semblait stupéfier Lucien. – Tiens ! le voilà ! dit tout d’un coup Pauline. Madame Deberle se tourna et aperçut Malignon qui descendait le perron. Elle lui laissa à peine le temps de saluer et de s’asseoir. – 53 – – Eh bien ! vous êtes gentil, vous ! d’aller dire partout que je n’ai que de la camelote chez moi ! – Ah ! oui, répondit-il tranquillement, ce petit salon… Certainement, c’est de la camelote. Vous n’avez pas un objet qui vaille la peine d’être regardé. Elle était très piquée. – Comment, le magot ? – Mais non, mais non, tout cela est bourgeois… Il faut du goût. Vous n’avez pas voulu me charger de l’arrangement… Alors elle l’interrompit, très rouge, vraiment en colère. – Votre goût, parlons-en ! Il est joli, votre goût !… On vous a rencontré avec une dame… – Quelle dame ? demanda-t-il, surpris par la rudesse de l’attaque. Un beau choix, je vous en fais mon compliment. Une fille que tout Paris… Mais elle se tut, en apercevant Pauline. Elle l’avait oubliée. – Pauline, dit-elle, va donc une minute dans le jardin. – Ah ! non, c’est fatigant à la fin ! déclara la jeune fille qui se révoltait. On me dérange toujours. – Va dans le jardin, répéta Juliette avec plus de sévérité. – 54 – La jeune fille s’en alla en rechignant. Puis, elle se tourna, pour ajouter : – Dépêchez-vous, au moins. Dès qu’elle ne fut plus là, madame Deberle tomba de nouveau sur Malignon. Comment un garçon distingué comme lui pouvaitil se montrer en public avec cette Florence ? Elle avait au moins quarante ans, elle était laide à faire peur, tout l’orchestre la tutoyait aux premières représentations. – Avez-vous fini ? cria Pauline, qui se promenait sous les arbres d’un air boudeur. Je m’ennuie, moi. Mais Malignon se défendait. Il ne connaissait pas cette Florence ; jamais il ne lui avait adressé la parole. On avait pu le voir avec une dame, il accompagnait quelquefois la femme d’un de ses amis. D’ailleurs, quelle était la personne qui l’avait vu ? Il fallait des preuves, des témoins. – Pauline, demanda brusquement madame Deberle, en haussant la voix, n’est-ce pas que tu l’as rencontré avec Florence ? Oui, oui, répondit la jeune fille, sur le boulevard, en face de chez Bignon. Alors, madame Deberle, triomphante, devant le sourire embarrassé de Malignon, cria : – Tu peux revenir, Pauline. C’est fini. Malignon avait une loge pour le lendemain, aux Folies Dramatiques. Il l’offrit galamment, sans paraître tenir rancune à madame Deberle ; d’ailleurs, ils se querellaient toujours. Pauline voulut savoir si elle pouvait aller voir la pièce qu’on jouait ; et comme Malignon riait, en branlant la tête, elle dit que c’était bien – 55 – stupide, que les auteurs auraient dû écrire des pièces pour les jeunes filles. On ne lui permettait que La Dame blanche et le théâtre classique. Cependant, ces dames ne surveillaient plus les enfants. Tout d’un coup, Lucien poussa des cris terribles. – Que lui as-tu fait, Jeanne ? demanda Hélène. – Je ne lui ai rien fait, maman, répondit la petite fille. C’est lui qui s’est jeté par terre. La vérité était que les enfants venaient de partir pour les fameux glaciers. Comme Jeanne prétendait qu’on arrivait sur les montagnes, ils levaient tous les deux les pieds très haut, afin d’enjamber les rochers. Mais Lucien, essoufflé par cet exercice, avait fait un faux pas et s’était étalé au beau milieu d’une platebande. Une fois par terre, très vexé, pris d’une rage de marmot, il avait éclaté en larmes. – Relève-le, cria de nouveau Hélène. – Il ne veut pas, maman. Il se roule. Et Jeanne se reculait, comme blessée et irritée de voir le petit garçon si mal élevé. Il ne savait pas jouer, il allait certainement la salir. Elle avait une moue de duchesse qui se compromet. Alors, madame Deberle, que les cris de Lucien impatientaient, pria sa soeur de le ramasser et de le faire taire. Pauline ne demandait pas mieux. Elle courut, se jeta par terre à côté de l’enfant, se roula un instant avec lui. Mais il se débattait, il ne voulait pas qu’on le prît. Elle se releva pourtant, en le tenant sous les bras ; et, pour le calmer. – Tais-toi, braillard ! dit-elle. Nous allons nous balancer. – 56 – Lucien se tut brusquement, Jeanne perdit son air grave, et une joie ardente illumina son visage. Tous trois coururent vers la balançoire. Mais ce fut Pauline qui s’assit sur la planchette. – Poussez-moi, dit-elle aux enfants. Ils la poussèrent de toute la force de leurs petites mains. Seulement, elle était lourde, ils la remuaient à peine. – Poussez donc ! répétait-elle. Oh ! les grosses bêtes, ils ne savent pas. Dans le pavillon, madame Deberle venait d’avoir un léger frisson. Elle trouvait qu’il ne faisait pas chaud, malgré ce beau soleil. Et elle avait prié Malignon de lui passer un burnous de cachemire blanc, accroché à une espagnolette. Malignon s’était levé pour lui poser le burnous sur les épaules. Tous deux causaient familièrement de choses qui intéressaient fort peu Hélène. Aussi cette dernière, inquiète, craignant que Pauline, sans le vouloir, ne renversât les enfants, alla-t-elle dans le jardin, laissant Juliette et le jeune homme discuter une mode de chapeau qui les passionnait. Dès que Jeanne vit sa mère, elle s’approcha d’elle, d’un air câlin, avec une supplication dans toute sa personne. – Oh ! maman, murmura-t-elle ; oh ! maman… – Non, non, répondit Hélène, qui comprit très bien. Tu sais qu’on te l’a défendu. Jeanne adorait se balancer. Il lui semblait qu’elle devenait un oiseau, disait-elle. Ce vent qui lui soufflait au visage, cette brusque envolée, ce va-et-vient continu, rythmé comme un coup d’aile, lui causait l’émotion délicieuse d’un départ pour les nuages. Elle croyait s’en aller là-haut. Seulement, cela finissait toujours mal. Une fois, on l’avait trouvée cramponnée aux cordes – 57 – de la balançoire, évanouie, les yeux grands ouverts, pleins de l’effarement du vide. Une autre fois, elle était tombée, raidie comme une hirondelle frappée d’un grain de plomb. – Oh ! maman, continuait-elle, rien qu’un peu, un tout petit peu. Sa mère, pour avoir la paix, l’assit enfin sur la planchette. L’enfant rayonnait, avec une expression dévote, un léger tremblement de jouissance qui agitait ses poignets nus. Et, comme Hélène la balançait très doucement : – Plus fort, plus fort, murmurait-elle. Mais Hélène ne l’écoutait pas. Elle ne quittait point la corde. Et elle s’animait elle-même, les joues roses, toute vibrante des poussées qu’elle imprimait à la planchette. Sa gravité habituelle se fondait dans une sorte de camaraderie avec sa fille. – C’est assez, déclara-t-elle, en enlevant Jeanne entre ses bras. – Alors, balance-toi, je t’en prie, balance-toi, dit l’enfant, qui était restée pendue à son cou. Elle avait la passion de voir sa mère s’envoler, comme elle le disait, prenant plus de joie encore à la regarder qu’à se balancer elle-même. Mais celle-ci lui demanda en riant qui la pousserait ; quand elle jouait, elle, c’était sérieux : elle montait par-dessus les arbres. Juste à ce moment, monsieur Rambaud parut, conduit par la concierge. Il avait rencontré madame Deberle chez Hélène, et il avait cru pouvoir se présenter, en ne trouvant pas cette dernière à son appartement. Madame Deberle se montra très aimable, touchée par la bonhomie du digne homme. Puis, elle s’enfonça de nouveau dans un entretien très vif avec Malignon. – 58 – – Bon ami va te pousser ! bon ami va te pousser ! criait Jeanne en sautant autour de sa mère. – Veux-tu te taire ! Nous ne sommes pas chez nous, dit Hélène, qui affecta un air de sévérité. – Mon Dieu ! murmura monsieur Rambaud, si cela vous amuse, je suis à votre disposition. Quand on est à la campagne… Hélène se laissait tenter. Lorsqu’elle était jeune fille, elle se balançait pendant des heures, et le souvenir de ces lointaines parties l’emplissait d’un sourd désir. Pauline, qui s’était assise avec Lucien au bord de la pelouse, intervint de son air libre de grande fille émancipée. – Oui, oui, monsieur va vous pousser… Après il me poussera. N’est-ce pas, monsieur, vous me pousserez ? Cela décida Hélène. La jeunesse qui était en elle, sous la correction froide de sa grande beauté, éclatait avec une ingénuité charmante. Elle se montrait simple et gaie comme une pensionnaire. Surtout, elle n’avait point de pruderie. En riant, elle dit qu’elle ne voulait pas montrer ses jambes, et elle demanda une ficelle, avec laquelle elle noua ses jupes au-dessus de ses chevilles. Puis, montée debout sur la planchette, les bras élargis et se tenant aux cordes, elle cria joyeusement : – Allez, monsieur Rambaud… Doucement d’abord ! Monsieur Rambaud avait accroché son chapeau à une branche. Sa large et bonne figure s’éclairait d’un sourire paternel. Il s’assura de la solidité des cordes, regarda les arbres, se décida à donner une légère poussée. Hélène venait, pour la première fois, de quitter le deuil. Elle portait une robe grise, garnie de noeuds mauves. Et, toute droite, elle partait lentement, rasant la terre, comme bercée. – 59 – – Allez ! Allez ! dit-elle. Alors, monsieur Rambaud, les bras en avant, saisissant la planchette au passage, lui imprima un mouvement plus vif. Hélène montait ; à chaque vol, elle gagnait de l’espace. Mais le rythme gardait une gravité. On la voyait, correcte encore, un peu sérieuse, avec des yeux très clairs dans son beau visage muet ; ses narines seules se gonflaient, comme pour boire le vent. Pas un pli de ses jupes n’avait bougé. Une natte de son chignon se dénouait. – Allez ! Allez ! Une brusque secousse l’enleva. Elle montait dans le soleil, toujours plus haut. Une brise se dégageait d’elle et soufflait dans le jardin ; et elle passait si vite, qu’on ne la distinguait plus avec netteté. Maintenant, elle devait sourire, son visage était rose, ses yeux filaient comme des étoiles. La natte dénouée battait sur son cou. Malgré la ficelle qui les nouait, ses jupes flottaient et découvraient la blancheur de ses chevilles. Et on la sentait à l’aise, la poitrine libre, vivant dans l’air comme dans une patrie. – Allez ! Allez ! Monsieur Rambaud, en nage, la face rouge, déploya toute sa force. Il y eut un cri. Hélène montait encore. – Oh ! maman ! Oh ! maman ! répétait Jeanne en extase. Elle s’était assise sur la pelouse, elle regardait sa mère, ses petites mains serrées sur sa poitrine, comme si elle eût elle-même bu tout cet air qui soufflait. Elle manquait d’haleine, elle suivait instinctivement d’une cadence des épaules les longues oscillations de la balançoire. Et elle criait : – Plus fort ! Plus fort ! – 60 – Sa mère montait toujours. En haut, ses pieds touchaient les branches des arbres. – Plus fort ! Plus fort ! Oh ! maman, plus fort ! Mais Hélène était en plein ciel. Les arbres pliaient et craquaient comme sous des coups de vent. On ne voyait plus que le tourbillon de ses jupes qui claquaient avec un bruit de tempête. Quand elle descendait, les bras élargis, la gorge en avant, elle baissait un peu la tête, elle planait une seconde ; puis, un élan l’emportait, et elle retombait, la tête abandonnée en arrière, fuyante et pâmée, les paupières closes. C’était sa jouissance, ces montées et ces descentes, qui lui donnaient un vertige. En haut, elle entrait dans le soleil, dans ce blond soleil de février, pleuvant comme une poussière d’or. Ses cheveux châtains, aux reflets d’ambre, s’allumaient ; et l’on aurait dit, qu’elle flambait tout entière, tandis que ses noeuds de soie mauve, pareils à des fleurs de feu, luisaient sur sa robe blanchissante. Autour d’elle, le printemps naissait, les bourgeons violâtres mettaient leur ton fin de laque, sur le bleu du ciel. Alors, Jeanne joignit les mains. Sa mère lui apparaissait comme une sainte, avec un nimbe d’or, envolée pour le paradis. Et elle balbutiait encore : « Oh ! maman, oh ! maman… » d’une voix brisée. Cependant madame Deberle et Malignon, intéressés, s’étaient avancés sous les arbres. Malignon trouvait cette dame très courageuse. Madame Deberle dit d’un air effrayé : – Le coeur me tournerait, c’est certain. Hélène entendit, car elle jeta ces mots, du milieu des branches : – 61 – – Oh ! moi, j’ai le coeur solide !… Allez, allez donc, monsieur Rambaud. Et, en effet, sa voix restait calme. Elle semblait ne pas se soucier des deux hommes qui étaient là. Ils ne comptaient pas sans doute. Sa natte s’était échevelée ; la ficelle devait se relâcher, et ses jupons avaient des bruits de drapeau. Elle montait. Mais, tout d’un coup, elle cria : – Assez, monsieur Rambaud, assez ! Le docteur Deberle venait de paraître sur le perron. Il s’approcha, embrassa tendrement sa femme, souleva Lucien et le baisa au front. Puis, il regarda Hélène en souriant. – Assez, assez ! continuait à dire celle-ci. – Pourquoi donc ? demanda-t-il. Je vous dérange ? Elle ne répondit pas. Elle était devenue grave. La balançoire, lancée à toute volée, ne s’arrêtait point ; elle gardait de longues oscillations régulières qui enlevaient encore Hélène très haut. Et le docteur, surpris et charmé, l’admirait, tant elle était superbe, grande et forte, avec sa pureté de statue antique, ainsi balancée mollement, dans le soleil printanier. Mais elle paraissait irritée ; et, brusquement, elle sauta. – Attendez ! Attendez ! criait tout le monde. Hélène avait poussé une plainte sourde. Elle était tombée sur le gravier d’une allée, et elle ne put se relever. – Mon Dieu ! quelle imprudence ! dit le docteur, la face très pâle. – 62 – Tous s’empressaient autour d’elle. Jeanne pleurait si fort, que monsieur Rambaud, défaillant lui-même, dut la prendre dans ses bras. Cependant, le docteur interrogeait vivement Hélène. – C’est la jambe droite qui a porté, n’est-ce pas ?… Vous ne pouvez vous mettre debout ? Et, comme elle restait étourdie, sans répondre, il demanda encore : – Vous souffrez ? – Une douleur sourde, là, au genou, dit-elle péniblement. Alors, il envoya sa femme chercher sa pharmacie et des bandages. Il répétait : – Il faut voir, il faut voir… Ce n’est rien sans doute. Puis, il s’agenouilla sur le gravier. Hélène le laissait faire. Mais, lorsqu’il avança les mains, elle se souleva d’un effort, elle serra ses jupes autour de ses pieds. – Non, non, murmura-t-elle. – Pourtant, dit-il, il faut bien voir… Elle avait un léger tremblement, et, d’une voix plus basse, elle reprit : – Je ne veux pas… Ce n’est rien. Il la regarda, étonné d’abord. Une teinte rose était montée à son cou. Pendant un instant, leurs yeux se rencontrèrent et semblèrent lire au fond de leurs âmes. Alors, troublé lui-même, il – 63 – se releva avec lenteur et resta près d’elle, sans lui demander davantage à la visiter. Hélène avait appelé monsieur Rambaud d’un signe. Elle lui dit à l’oreille. – Allez chercher le docteur Bodin, racontez-lui ce qui m’arrive. Dix minutes plus tard, quand le docteur Bodin arriva, elle se mit debout avec un courage surhumain, et s’appuyant sur lui et sur monsieur Rambaud, elle remonta chez elle. Jeanne la suivait, toute secouée de larmes. – Je vous attends, avait dit le docteur Deberle à son confrère. Venez nous rassurer. Dans le jardin, on causa vivement. Malignon s’écriait que les femmes avaient de drôles de têtes. Pourquoi diable cette dame s’était-elle amusée à sauter ? Pauline, très contrariée de l’aventure qui la privait d’un plaisir, trouvait imprudent de se faire balancer si fort. Le médecin ne parlait pas, semblait soucieux. – Rien de grave, dit le docteur Bodin en redescendant, une simple foulure… Seulement, elle restera sur sa chaise longue au moins pendant quinze jours. Monsieur Deberle tapa alors amicalement sur l’épaule de Malignon. Il voulut que sa femme rentrât, parce que décidément il faisait trop frais. Et, prenant Lucien, il l’emporta lui-même, en le couvrant de baisers. – 64 -

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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