AMIN ZAOUI AU CAFÉ LITTÉRAIRE DE BÉJAÏA
«Il faut sortir du dialogue idéologique»
15 Février 2010 – Page : 21
«L’écriture est une sorte de souffrance qui ressemble à une résistance, et la littérature repose sur des mensonges qui mènent vers la vérité», explique l’auteur de La Chambre de la vierge impure.
Penseur libre, auteur cru, dérangeant et provocateur, longtemps censuré, Amin Zaoui, loin des rouages de l’ordre établi, s’est donné à coeur joie aux questions-réponses des habitués et invités du Café littéraire de Béjaïa, samedi dernier, au Théâtre régional Malek-Bouguermouh.
Nommé conservateur de la Bibliothèque nationale d’Alger en 2002, Zaoui fut limogé de son poste en 2008, à la veille de la tenue du Salon du livre, une manifestation qui devrait réunir, l’intelligence, la connaissance, l’universalisme.
Comme à quelque chose malheur est bon, le romancier algérien s’est vite réconcilié avec son vrai monde, celui du contact direct, loin des protocoles et autres exigences du poste de responsabilité.
Invité du Café littéraire de Béjaïa, Amin Zaoui a su manier le verbe et les mots pour accrocher le nombreux public venu écouter ce charmeur provocateur.
Longtemps censuré depuis la parution des ses premiers romans Le Hennissement du corps ou encore Le Huitième ciel, qui ont été brûlés par la horde intégriste et retirés des librairies, notamment à Damas, l’auteur est revenu longuement en déclinant son inspiration devant ses admirateurs sur la folie des extrémistes, la pesanteur des tabous, l’hypocrisie des traditionalistes, la soumission des femmes, et autres masculinisation de la société algérienne…
En l’espace d’un après-midi littéraire, chic et sympathique, Amin Zaoui a tout simplement trouvé son harmonie en déclarant, d’emblée, au sujet de son bilinguisme: «C’est ma main qui décide d’aller de droite à gauche ou de gauche à droite.»
Ceci avant de revendiquer la cohabitation utile des deux communautés arabophone et francophone qui est une réalité de la société algérienne. Un débat en somme qui n’a pas empêché l’auteur de Culture de sang de toucher à la question de l’identité, non pas nationale mais plutôt maghrébine pour marquer sa distance des Moyen-Orientaux.
«L’identité est désormais une problématique d’actualité. Depuis le match contre l’Égypte, au Caire et celui à Khartoum, la réaction des Algériens, du plus petit au plus âgé, ainsi que les positions des peuples tunisien et marocain, l’espace maghrébin mérite une autre réflexion, car la réflexion des Maghrébins, depuis Ibn Rochd et Ibn Khaldoun, est rationnelle», déclara Amin Zaoui, avant d’expliquer: «Il faut sortir du dialogue idéologique et politique pour entrer dans le culturel et le dialogue des civilisations.»
En outre, l’auteur du Festin de mensonges, qui explique le choix du titre par le fait que la littérature est un ensemble de mensonges qui mènent vers la vérité, n’a pas été tendre avec le système éducatif algérien et le niveau de son université.
«L’université algérienne produit des analphabètes diplômés. Par manque de galeries d’art, d’espaces de citoyenneté, d’espaces artistiques et autres…notre université est en panne comme est notre système éducatif. C’est par le système éducatif qu’on trace notre projet de société qui doit former le citoyen avant tout autre chose.»
Sur l’autre volet relatif à son tempérament de provocateur, Amin Zaoui se dit s’inscrire dans le sillage de la provocation productive.
L’auteur de La Chambre de la vierge impure, dans son dernier roman paru en 2009, s’est mis dans la peau d’un penseur philosophe, expliquant: «La provocation réfléchie dans la littérature provoque et dénonce l’ordre établi, qui est, en fait, un désordre irrationnel. Cela dans le but d’installer un désordre naturel dans la rationalité.»
Il fera le lien entre la littérature engagée traduite par la résistance et le monde politique «l’écriture est une souffrance qui ressemble à quelque chose comme la résistance», explique-t-il avant de conclure dans le même ordre d’idées en faisant l’éloge du courage féminin.
«Le courage et la résistance sont féminin chez nous, seul le politique est masculin malheureusement, car la masculinisation de notre société et notre mode de vie sont pour beaucoup de choses dans les malheurs qui nous ont traversés et que nous continuons de subir.»
Boualem CHOUALI
15 février 2010
Non classé