Témoignages historique “Dis papa, alors c’était des boches, en Algérie”
Cette réflexion de ma fille Nathalie à l’évocation par moi-même de ce que firent en Algérie de 1954 à 1962, beaucoup et trop de soldats affectés ou non à l’armée française dite de «pacification» je l’avais retenu comme choix pour le livre que je me proposais de faire en 1974, lors d’une longue hospitalisation. Mais la maladie en a décidé autrement.
Par : Nathalie Fontenel et Abdenour Si Hadj Mohand
1955 : le 23 mai, ma mère décède d’un cancer à l’âge de 46 ans ; comme pour mon père je l’aimais comme je l’aime tout autant encore. J’avais 17 ans à quelques jours prés; je n’imaginais pas qu’elle partirait aussi brutalement.
A 14 heures elle nous embrassa avec deux de mes frères et nous conseilla d’aller nous balader parce qu’elle se sentait bien et qu’il ne servirait à rien de demeurer auprès d’elle alors que notre père veillait si bien sur elle.
17 heures 30 : nous rentrons de promenade, mes deux frères et moi,après avoir déniché des moineaux sous les tuiles d’une vieille grange abandonnée. Nous sommes toujours très heureux de retrouver nos parents et particulièrement notre mère parce que nous la savions malade.
Nous voici parvenus à l’angle de la rue qui conduisait à notre habitation si pauvre,démunie de tout confort où l’eau ne pouvait couler que grâce à une pompe et les w.c disposés tout au fond du jardin, de l’autre côté de la rue. Mais qu’est-ce que nous ne l’adorions pas cette maison si simple et familière ! Notre maison à laquelle s’y sont depuis longtemps habitués des voisins et des camarades qui passaient le plus clair de leur temps à y rentrer et sortir. A notre arrivée, nous fùment précipitamment interceptés par l’une de nos braves voisines qui nous rejoignît au seuil de l’habitation en nous demandant d’être très courageux. Nous avions immédiatement conclu à une aggravation subite de l’état de mère, mais n’avions jamais douté qu’elle pouvait être morte. La mort que nous ne connaissions que de nom, mais pas de cette horrible réalité et de tous « ces à côté ».
Et pourtant ! Notre mère ne respire plus, mais il nous semblait qu’elle n’était pas morte parce qu’elle ne doit pas mourir, parce qu’elle est notre mère tant aimée, si affectueuse, joyeuse malgré la maladie. Elle qui nous a tant appris, à chanter dans son intégralité “Le temps des cerises”, “Si l’on pouvait arrêter les aiguilles”, “l’internationale”, ou à siffler “Le chant des partisans”.
Elle nous a fait aimer ,tout comme notre père, la vie, les fleurs, la paix, les oiseaux,les ruisseaux, la famille, les amis,les camarades,les voisins,le ciel bleu.
Lorsque l’aviation nazie bombardait notre Périgord en 1942, elle nous couvait près d’elle, sous des couvertures dans un fossé ou plus régulièrement encore sous un abri, chacun de nous 7,5 garçons et 2 filles, avions droit à une parole rassurante, affectueuse malgré le fracas des bombes, j’avais alors 4 ans en 1942.
Elle fit découvrir aussi l’agréable joie des repas sur l’herbe prés de cours d’eau dans les bois parfumés de primevères et de violettes ; mon frère passait devant avec son vélo attelé d’une remorque pleine de nécessaires et de plats qu’elle cuisinait si bien.
Les quelques minutes qui précédèrent la fin de sa vie elle avait réclamé à mon père un beau foulard de soie rouge représentant le portrait de Staline. C’était en 1955. Et les différentes républiques socialistes soviétiques qu’elle affectionnait beaucoup et lesquelles je lui avais rapportées 2 ans plus tôt du fédéral international de Bucarest en 1953 et auquel j’avais participée.
Elle avait demandé à mon père de lui mettre autour du coup et c’est ainsi que je l’embrassais sans vouloir la quitter parce son corps était encore chaud de son sang et que ses yeux, bien que clos, me faisaient espérer qu’il se rouvriraient bientôt.
Elle avait participé à la vie de la présidence dans mon perigord natal et contre l’envahisseur nazi. Comme mon frère, elle était membre du parti communiste français.
L’évocation de la fin de la vie de mes chers parents et des idées qu’ils défendaient et dont ils s’affirmaient ne sont pas sans rapport avec ma prise de position personnelle-j’y tiens parce que c’était la vérité, de refuser de porter les armes contre le peuple algérien.
Mon père demeura comme nous tous, frères et sœurs très affecté par la disparition de son épouse de toujours, notre mère.
Cet été 1955 fut très chaud et le manque que nous avions ressenti pour notre mère nous parut insurmontable, souvent je me rendais prés d’elle au cimetière lui apportant des bouquets de fleurs cueillis avec tristesse dans cette même nature qu’il nous avait fait découvrir. Je dialoguais affectueusement avec elle mais le fait qu’elle n’était plus là pour me répondre, m’embrasser et me serrer dans ses bras, quand je suçais mon pousse, me faisait prendre conscience de la cruelle réalité.
Le 15 octobre 1955 : La même année, mon père qui militait toujours au sein du parti communiste français, m’appris ce soir là qu’il était gravement malade et que quoiqu’il puisse arriver je devais continuer dans les luttes et la bataille de nos mêmes idées.
deux (2) jours plus tard, il décédait d’une maladie cardiaque, Le 17 octobre 1955. J’étais déjà presque rodé des choses de la mort mais ma peine fut encore plus douloureuse.
Plus de 300 communistes, amis, voisins et membres de la famille avaient accompagné ma mère au cimetière avec d’innombrables gerbes de fleurs. il en fut pareil pour mon père, la sincérité des communistes était des plus vraies et malgré mon immense peine, j’avais alors 17 ans et demi chaque parole, chaque embrassade,chaque poignée de main me paraissait d’un réconfort moral qu’il est difficile d’évoquer.
1er septembre 1958, je suis incorporé au service Régiment de Dragons à Périgord. J’apprends par l’intermédiaire d’un capitaine réactionnaire qu’un rapport des “Renseignements Généraux” à mon sujet lui est parvenu, il me cite beaucoup de réunions auxquelles j’ai participé – réunions du PCF, mais aussi de l’appartenance passée des mes parents au parti communiste. Il me communique même le numéro de ma carte du parti laquelle était contenu dans mon porte feuille égaré quelques mois auparavant.
Début décembre 1958
Je suis désigné pour aller combattre en Algérie où mon frère s y trouve déjà. Il était de deux ans plus âgé que moi. Je fais part de mon refus à mes camarades d’escadron puis à la direction départementale du PCF de porter les rames contre le peuple algérien qui lutte pour une cause noble et juste, pour son indépendance. Le camarade Yves Peron, secrétaire Fédéral et membre du comité central du PCF m’exprime son approbation mais me mit en garde contre toutes les difficultés représentées par ma prise de position et me conseille d’y réfléchir encore durant une semaine,car ces difficultés peuvent être d’ordre tant physique que moral.
Avant que je ne poursuive ici mes présents écrits, il est utile que je fasse part d’une situation que j’ai vécue, qui m’a été pénible et qui me marque aujourd’hui encore.
Cette situation a, j’en suis sûr, motivé ma prise de position de combattre aux côtés peuples algériens.
Nous sommes en été 1942. Il fait très chaud, ma famille, composée de 9 membres, a été accueillie par des amis qui ont une grand ferme et des terres cultivées à Pegerieux, petit village distant de 5 km de Bergerac, en Périgord, ma ville natale.
Mes parents et les propriétaires de la ferme font partie de la Résistance, à plusieurs reprises nous avions eu très peur de la venue des soldats allemands pour se ravitailler au plutôt pour voler les œufs, les volailles, les conserves.
Leurs cris horribles lorsqu’ils poursuivaient les maquisards dans les champs de blé au prés de la voie ferrée jouxtant la ferme,résonnent encore dans ma tête,ma mère pour mieux nous protéger nous enfermait dans les grandes armoires solides et très hautes comme il en existait dans nos campagnes.
Et par ce matin ensoleillé et chaud de l’été 1942, mon père est en bras de chemise en compagnie de Monsieur Roy, le propriétaire des lieux, ils s’apprêtent à sulfater un coin de vignes qui ne donne pas du bon raisin, certes, mais qui est combien précieux pour l’ensemble de la famille et des camarades du maquis.
Je viens d’avoir quatre (4) ans ,il y a tout juste 1 mois et avec mes frères et sœurs et les enfants des propriétaires,nous jouions dans la cour de la ferme rattachée à une longue allée bordée de cerisiers, de pommiers et de poiriers qui conduit à une route départementale.
C’est presque l’heure du repas de midi lorsque surgissent en trombe 4 “tractions avant”, voitures bourrées de boches et de membres de la gestapo, dans la dernière de ces voitures un homme en civil demeure assis, il s’agit d’un paysan et voisin, le dénonciateur.
Aucun de nous n’a le temps de fuir ou de se cacher, immédiatement les boches et leurs alliés de la gestapo braquent leurs armes vers notre cher camarade Monsieur Roy et vers mon père, tous deux assis sur la sulfateuse déjà prête à fonctionner.
Le nom de Monsieur Roy, notre camarade est prononcé, il est brusquement bousculé et chargé dans l’un des véhicules, mon père n’est pas arrêté et il doit nous quitter dans les minutes qui suivent afin de ne pas être pris à son tour ce qui sera tenté deux (2) jours plus tard.
Avec la fille de Monsieur Roy, laquelle est aussi violoniste nous nous étions réfugiés dans les WC faits de planches mais desquels “grâce” à l’espace afférant entre chacune de ces planches, nous avons pu voir se dérouler l’horrible scène qui demeurera gravée à tout jamais dans mon cerveau.
Jamais nous ne reverrons notre camarade dont le corps n’a jamais pu être identifié mais dont certaines informations d’après-guerre indiquaient qu’il aurait été fusillé par les nazis au camp de Souge près de bordeaux.
Si j’ai tenu à évoquer ce douloureux événement qui a considérablement marqué mon enfance, c’est parce qu’il n’est pas sans rapport avec ma prise de position du 30 décembre 1958. Me voici donc revenu au 22 décembre 1958 où profitant d’une permission de huit (8) jours avant mon départ théorique pour l’Algérie, je confirme ma décision à notre camarade Yves Peron qui est à la direction du PCF à Paris de mon refus de porter les armes contre le peuple algérien ; l’ensemble de nos camarades insistent encore quant à la gravité et aux conséquences qui peuvent en découler pour moi-même, bien entendu d’une pareille décision. Je suis résolu et convaincu de ma décision qui demeure jusqu’au bout, personnelle.
Le 30 décembre 1958 : De retour à la caserne, ma permission étant arrivée à échéance, j’adresse une lettre au Général De Gaulle, alors président de la République , au sein de laquelle j’exprime mes raisons du refus de combattre le peuple algérien
Une copie de cette même lettre est déposée par mes soins dans la boîte aux lettres du colonel commandant le service Régiment de Dragons.
Quelques heures plus tard, menottes aux mains, je suis conduit dans une des cellules de la prison de la caserne pour être transféré au cours de la même nuit, dans une autre prison à Bordeaux, là j’y demeurerai plus de 2 mois durant lesquels…
Extrait de l’ouvrage
«soldats du refus de la guerre»
Algerie-1954-1962
14 février 2010
1.Extraits, Colonisation