Histoires vraies
Toute la fortune de l’Angleterre (8e partie et fin)
Résumé de la 7e partie : «Le Bonaventure» apporte le reste du trésor du Royaume-Uni qui sera acheminé, par train spécial, à destination de l’endroit où il sera entreposé…
Enfin c’est l’arrivée dans la grande ville du Québec. Le gratte-ciel de la compagnie d’assurances Sun Life est, bien sûr, au cœur du quartier des affaires, c’est-à-dire dans la partie la plus peuplée, la plus grouillante de monde. Cinq mille personnes travaillent dans le building. A l’ouverture et à la fermeture des bureaux, c’est une véritable marée humaine qui y entre et qui en sort. Et c’est là qu’un beau jour de juillet, Alexander Craig débarque, avec ses caisses contenant une bonne partie des avoirs de l’Angleterre ! Il a alors une intuition de génie : puisqu’il est impossible d’être discret, il décide de tout faire, au contraire, au grand jour.
C’est donc au vu de tout le monde que s’effectue le transport des quelque 13 000 caisses dans la cave de la Sun Life, situées à quatorze mètres sous terre. Bien sûr, les gens sont intrigués par tout ce remue-ménage, d’autant que les manutentionnaires sont protégés par des policiers armés de mitraillettes. Le bruit court qu’il s’agit d’archives secrètes et tout le monde s’en contente. Car il ne viendrait à personne l’idée qu’une telle fortune soit entreposée dans l’endroit le plus fréquenté du pays.
A partir de là, Alexander se demande ce que vont décider les autorités à son sujet. Va-t-il pouvoir rentrer à Londres ? Eh bien non, on lui ordonne de rester, car ce n’est pas fini, il va en arriver encore. Et, effective ment, durant les mois et les années qui suivent, les caisses arrivent régulièrement, traversant l’Atlantique malgré les redoutables sous-marins allemands. Il est à noter, d’ailleurs, qu’il n’y aura pas la moindre perte pendant toute l’opération. A Montréal, l’or et les actions s’accumulent. Alexander Craig a renoncé à compter : trop, c’est trop ! Mais il doit prendre les mesures nécessaires : il n’y a plus de place, il faut agrandir les caves. Alors, encore une fois, ce sera au grand jour. Les travaux ont lieu au vu de tout le monde. Il fait même défoncer le trottoir pour le passage des tonnes de béton et des rails de chemin de fer destinés à l’armer.
Le transfert au Canada des avoirs de l’Angleterre a été l’un des exploits les plus remarquables de la Seconde Guerre mondiale et l’un de ses secrets les mieux gardés. Celui à qui tout le mérite en revient a dû attendre la fin des hostilités pour rentrer chez lui, abandonnant le trésor sur lequel il avait si bien veillé et dont on ne lui a pas dit ni quand ni comment il serait rapporté au pays.
Alexander Craig a retrouvé son petit trois-pièces londonien, début mai 1945, juste avant l’armistice. A son arrivée, sa logeuse a dû lui apprendre la triste nouvelle : Archibald, le chat siamois, était mort de vieillesse. Il faisait beau ce jour-là, aussi beau que cette matinée de juin où il avait été enrôlé pour son extraordinaire mission, et il n’y a qu’au poisson rouge qu’Alexander a pu poser la traditionnelle question :
— Belle journée, n’est-ce pas, Théobald ?
Et Théobald, comme à son habitude, n’a rien répondu.
D’après Pierre Bellemare
12 février 2010
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