Histoires vraies
L’Ogre du Bengale (7e partie)
Résumé de la 6e partie : Surcouf prend le commandement d’un beau navire la «Clarisse» pour faire d’autres conquêtes et s’enrichir, afin de pouvoir épouser Marie-Catherine de Maisonneuve…
Mais, en octobre 1799, c’est enfin une grosse prise : «L’Auspicious», quatre mille balles de riz et quinze cents de sucre. Il est armé de vingt canons et ne se rend qu’après un combat acharné. Son capitaine ne peut cacher son dépit. Il apostrophe Surcouf :
— Vous, les Français, vous vous battez pour l’argent. Nous, les Anglais, nous nous battons pour l’honneur.
Ce à quoi le corsaire réplique :
— Que voulez-vous ? Chacun se bat pour ce qui lui manque !
Un peu plus tard, au large du Bengale, c’est une rencontre moins agréable qui l’attend. Le hasard met sur son chemin la «Sibylle», le plus puissant navire de guerre anglais : quatre-vingts canons, quatre cent cinquante hommes d’équipage. Mais il parvient à lui échapper et il rentre en février 1800 à Port-Louis où il est fêté en héros. Dans l’île de France, on comprend que les conquêtes de «L’Émilie» n’avaient pas été un hasard heureux. Surcouf est reconnu pour ce qu’il est : un corsaire d’exception, appelé à égaler les exploits de Jean Bart et de son ancêtre Dugay-Trouin, à les surpasser peut-être… Aussi, en mai 1800, repart-il avec un navire plus puissant encore. Les armateurs, qui l’ont mis à sa disposition, l’ont appelé la «Confiance», ce qui reflète bien leur état d’esprit. Ils sont certains que Surcouf va accomplir des exploits plus grands encore et ils ne se trompent pas.
C’est à cette époque que le capitaine corsaire engage comme aide de camp Louis Garneray, qui est à la fois peintre et écrivain. Il le charge de consigner par écrit et par des croquis ses futures aventures. C’est Garneray qui fait la première description du grand marin, alors âgé de vingt-six ans :
«A première vue, son abord est assez grossier et il manque absolument de distinction. Mais dès qu’il parle, sa physionomie change du tout au tout, ses yeux s’animent d’une lueur extraordinaire et l’on sent ce qu’il y a de bonté, de générosité, d’énergie et de volonté dans cet homme remarquable. On comprend l’empire absolu qu’il exerce sur ses équipages.
«Surcouf est d’une taille un peu au-dessus de la moyenne, remarquablement charpenté, les épaules larges, les bras noueux, d’un embonpoint fortement accentué, mais d’une agilité surprenante et d’une force herculéenne. Ses yeux sont fauves, petits et brillants, son regard plein d’assurance, son visage hâlé et couvert de taches de rousseur ; son nez est court et aplati, ses lèvres sont minces et perpétuellement agitées par une sorte de tic nerveux…»
La première sortie de la «Confiance» commence mal. Elle tombe nez à nez avec la terrible «Sibylle». Surcouf hisse le drapeau anglais, mais cette ruse éculée ne prend plus. La frégate pique droit vers lui. Le corsaire va alors faire preuve de toute sa rouerie.
Il fait mettre à son équipage des uniformes anglais pris à l’ennemi. L’interprète revêt celui du capitaine, lui-même se tenant à ses côtés, déguisé en simple matelot. Muni du porte-voix, l’interprète traduit les paroles que Surcouf lui chuchote :
— Commandant, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer : vous allez être promu au grade supérieur ! D’autre part, j’ai des colis dont on m’a chargé pour vous à Madras. Je mets une embarcation à l’eau pour vous les faire porter.
Surcouf réunit alors l’équipage du canot, un enseigne de vaisseau et quelques marins, et leur donne cet ordre déroutant :
— Quand vous serez à mi-chemin, vous ferez couler l’embarcation. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
12 février 2010
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