Histoires vraies
L’Ogre du Bengale (5e partie)
Résumé de la 4e partie :Robert Surcouf, ayant failli se faire accrocher au commandement d’un négrier, est dégoûté par ce genre d’activité…
Un armateur lui propose le commandement du «Modeste», un petit bateau, on ne peut mieux nommé, pouvant abriter seulement trente hommes d’équipage et très médiocrement armé de quatre canons. Surcouf le rebaptise «L’Emilie» et se met en devoir d’obtenir une lettre de marque, formalité indispensable sans laquelle il ne serait qu’un simple pirate.
Mais le général Malartic, gouverneur de l’île, refuse. Les Anglais sont menaçants et il a décidé de garder tous les marins pour la défense de Port-la-Montagne. Devant l’insistance de Surcouf, le gouverneur finit par lui accorder un «permis de navigation», qui lui interdit d’attaquer, mais l’autorise à se défendre. Le futur capitaine de corsaires se retire satisfait. Il n’en demandait pas plus. Qui peut dire où finit la défense et où commence l’attaque ?
«L’Emilie» part le 4 avril 1795 «chercher des tortues aux Seychelles», ainsi qu’il est écrit sur son rôle imposé par le gouverneur. Elle arrive sur place le 15 septembre, mais n’y cherche aucune tortue : elle se met à zigzaguer dans la région, en quête d’une proie.
Trois mois se sont écoulés lorsque, fin décembre, elle rencontre le «Penguin», navire anglais chargé de bois. Le «Penguin» hisse ses couleurs et les accompagne d’un coup de semonce, comme c’est l’usage maritime courant. Surcouf feint de se croire attaqué, envoie une bordée de ses quatre pièces et l’adversaire se rend.
Peu après, c’est au tour de la «Diana», un beau trois-mâts chargé de riz. La «Diana» refuse d’abord de se rendre, Surcouf la poursuit et parvient à la prendre en abordage en pleine nuit. Trois autres bâtiments tombent à leur tour en son pouvoir. Il est maintenant à la tête d’une flottille. Il a pris place à bord d’un bateau anglais plus gros et plus maniable que «L’Emilie», qu’il a rebaptisé le «Cartier». Comme il a dû laisser des hommes sur chaque navire capturé, son équipage est squelettique : dix-sept hommes, en comptant le chirurgien et le cuisinier, et il n’a toujours que quatre canons. C’est pourtant dans ces conditions qu’il va faire sa plus belle prise.
Le 29 janvier 1796, la vigie signale un gros navire droit devant. Il s’agit du «Triton», puissant bateau de la Compagnie des Indes orientales. Surcouf fait hisser le drapeau anglais – pratique normalement interdite mais courante dans un camp comme dans l’autre – et s’approche. Une fois à portée, il se rend compte que son adversaire est plus fort qu’il ne le supposait (il est armé de vingt-six canons) et que son équipage n’est pas indien, comme il l’espérait, mais uniquement composé de marins anglais. Il est pourtant trop tard pour fuir. D’autant que le «Triton» a reconnu, dans ce navire de rencontre, un faux anglais. Il faut combattre.
La mer est assez forte. Surcouf espère qu’avec le roulis la salve de son adversaire ira soit trop haut, dans les nuages, soit trop bas, dans la mer. C’est exactement ce qui se passe : la bordée du «Triton» passe au-dessus des voiles du «Cartier», qui est sur lui quelques instants plus tard. Les dix-sept assaillants font pleuvoir sur le pont un déluge de grenades. Leurs adversaires, abasourdis, se rendent : ils sont cent cinquante !
C’est cet exploit que célébrera, en le plaçant à une date fantaisiste, une fameuse chanson de marins «Le 31 du mois d’août ». (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
12 février 2010
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