Au coin de la cheminée
Zalgoum (1re partie)
Un homme et une femme avaient deux enfants : une fille, Zalgoum, belle comme le jour avec ses longs cheveux d’or, et un fils qui leur donnait bien des soucis, car ils voulaient le voir marié et lui s’y refusait obstinément et passait son temps à chasser et à faire de longues randonnées dans la forêt.
Zalgoum l’y suivait quelquefois, mais c’était pour s’y baigner dans la fontaine d’eau claire, où son frère menait boire son cheval. Un jour que justement elle y était allée, elle y laissa tomber un de ses cheveux d’or. Le soir, quand son frère, revenant de la chasse, voulut abreuver son cheval, l’animal refusa obstiné-ment d’avancer vers le bassin, où il avait pourtant coutume de boire. Le cavalier descendit voir ce qui empêchait sa monture d’approcher et, ne trouvant rien, prit une petite branche de chêne rugueuse et la promena dans l’eau. Quand il la retira, un long cheveu souple et blond y pendait. La lumière jouait dans les gouttelettes qui y étaient accrochées. Le jeune homme l’admira longuement, puis le recueillit avec soin et le ramena à la maison.
— Mon père et toi, dit-il à sa mère en arrivant, me poussez depuis longtemps à me marier.
— C’est que nous sommes vieux tous les deux et nous voudrions, avant de mourir, vous voir mariés, Zalgoum et toi.
Le jeune homme alors lui montra le cheveu :
— Eh bien, dit-il, si tu trouves la femme à qui ce fil d’or appartient, je promets de l’épouser.
La mère, transportée de joie à cette nouvelle qu’elle n’attendait plus, se hâta d’aller le redire à son mari. Puis elle prit le cheveu et, de porte en porte, s’en alla. faire le tour des maisons du village. Elle essaya le cheveu à toutes les filles qu’elle y trouva, mais… à son grand désespoir, il n’alla à aucune ! Il était trop long, ou trop fin, ou trop clair. Le père, qui attendait le retour de sa femme impatiemment, fut déçu d’apprendre qu’elle n’avait pas trouvé la fille à qui le cheveu fatidique appartenait :
— Tu es sûre de n’avoir oublié personne ? lui demanda-t-il.
— Personne…, dit-elle, sauf Zalgoum, naturellement.
Il réfléchit :
— Et si tu l’essayais à Zalgoum ?
— A quoi bon ?
— Au moins nous saurions qu’il est inutile de chercher plus longtemps. La mère fit venir Zalgoum, elle lui essaya le cheveu et… merveille ! il lui allait exactement : c’était la même couleur, la même longueur, la même finesse. Les parents étaient atterrés, car leur fils n’allait naturellement pas épouser Zalgoum et qui sait s’il accepterait encore de se choisir une fiancée ?
Le jeune homme bientôt rentra de la chasse et, dès qu’il fut descendu de cheval :
— Alors ? demanda-t-il.
La mère avait une peur affreuse de voir son fils renoncer à tout jamais à prendre femme. Aussi prit-elle d’infinies précautions pour lui avouer que le cheveu n’allait qu’à sa sœur.
J’ai visité toutes les filles du village, lui dit-elle, il y en a de très belles et dont les cheveux ressemblent .à celui-ci à s’y méprendre.
— Ils lui ressemblent, mais.., ils ne sont pas les mêmes.
Il allait continuer, quand son regard rencontra celui de sa mère, bouleversée :
— Tu as l’air affolée, dit-il.
— Aucune, souffla la mère, n’a les mêmes cheveux exactement, sauf (à suivre…)
Contes berbères de Kabylie Mouloud Mammeri
12 février 2010
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