Histoires vraies
Seul au-dessous du monde (1re partie)
En ce mois de décembre 1933, le navire scientifique «Jacob-Ruppert» approche de sa destination : des côtes désolées, parsemées d’icebergs géants. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas le cœur de l’hiver, mais le milieu
de l’été, car nous sommes dans l’hémisphère Sud et même au plus bas de celui-ci, à proximité du continent antarctique. En décembre, il y a encore une possibilité de longer les côtes ; en dehors de cette période, il est inutile d’y songer : elles sont bloquées par les glaces sur des kilomètres et des kilomètres. A bord du «Jacob-Ruppert» se trouve une importante mission scientifique, commandée par celui qui est le spécialiste incontesté de l’Antarctique, l’amiral Richard Byrd. En ce début des années 1930, l’amiral Byrd est mondialement connu. Après avoir survolé le premier le pôle Nord, en 1926, il a franchi l’Atlantique en avion, tout de suite après Lindbergh, et il a fait le serment de survoler également le pôle Sud. A cet effet, il a organisé, en 1929, une gigantesque expédition regroupant trois navires, qui ont débarqué sur le continent glacé pas moins de six cent vingt-cinq tonnes de matériel, l’équivalent de soixante wagons de chemin de fer.
Grâce à tous ces équipements, son équipe a pu construire sur les glaces une véritable cité jaillie de nulle part, avec ses baraquements hermétiques et confortables, éclairés et chauffés à l’électricité, ses hangars d’avions, ses terrains d’atterrissage ouverts à la dynamite. Et les habitants de la base, qui a pris le surnom de «Petite-Amérique», étaient reliés au reste du monde par une gigantesque antenne radio.
C’est de là que l’amiral Byrd s’est envolé, sur un bimoteur débarqué avec le reste du matériel, et a survolé le pôle Sud, le 29 novembre 1929. Et, quatre ans après cet exploit historique, il revient sur les lieux pour une nouvelle expédition. Le continent antarctique est pénétré par deux grandes baies et Byrd a émis l’idée que celles-ci étaient peut-être reliées par un passage qui traverserait les terres d’un bout à l’autre. Cette nouvelle mission a pour objectif d’en établir l’existence ou non. En outre, elle se livrera à des observations météorologiques, les premières qu’on ait jamais faites sous ces latitudes.
Pendant un mois entier, le «Jacob-Ruppert» explore les côtes enneigées et doit se rendre à l’évidence : il n’y a aucun passage s’enfonçant dans les terres. Le canal reliant les deux baies de l’Antarctique n’existe pas. Dans ces conditions, le bateau de l’expédition prend le cap de la Petite-Amérique, pour la seconde partie de la mission. C’est ainsi que, le 15 janvier 1934, il mouille dans la baie des Baleines, là où se trouve la base scientifique.
Byrd et les siens débarquent avec, encore une fois, une quantité de matériel, dont trois avions et quatre véhicules à chenilles. Peu après, l’équipe, forte d’une centaine d’hommes, arrive devant la Petite-Amérique. La base est recouverte par la neige, seules ses installations les plus hautes dépassent : les antennes, les anémomètres, les cheminées.
L’ensemble est bientôt dégagé et les arrivants découvrent une vie qui semble s’être arrêtée brusquement quatre ans plus tôt, avec le départ de la première expédition. Sur une table on trouve un morceau de rôti avec une fourchette piquée dedans. Dans le laboratoire, les instruments sont toujours là. L’un des visiteurs tourne l’interrupteur et la lumière s’allume : les batteries fonctionnent encore, après cinquante mois dans des conditions extrêmes. Un autre met un disque sur le gramophone, qui marche lui aussi.
Tout le monde se met au travail et, bientôt, la Petite-Amérique est en état de fonctionnement. Grâce aux moyens financiers considérables dont dispose l’expédition et aux tout derniers perfectionnements de la technique, c’est un ensemble extraordinaire qui est en place. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
12 février 2010
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