Au coin de la cheminée
Blanche-Colombe (1re partie)
Il était une fois un roi qui avait un garçon, déjà grand, dont il espérait faire un jour l’héritier du royaume. Mais sa femme mourut et il se remaria. La nouvelle reine avait un ardent désir d’avoir, elle aussi, un enfant. Elle attendit longtemps en vain et elle finit par concevoir une violente jalousie à l’égard de son beau-fils, qu’elle travailla désormais à perdre auprès du roi par tous les moyens.
Le prince, grand chasseur devant Dieu, sortait tous les jours, suivi de la nombreuse suite de ses veneurs et de ses lévriers. Il avait même un jour ramené un lionceau qu’il avait fait dresser par son serviteur pré-féré, un Noir d’une force herculéenne, qui veillait jalousement sur son maître.
— Ton fils, disait la reine, ne pense qu’à ses chevaux et à ses chiens, il te laisse toute la charge du royaume et attend seulement le jour où il pourra te succéder. Il nous déteste.
— Il nous aime, répondit le roi.
— Tu vis loin de lui, mais moi, à qui rien n’est plus cher que ton bonheur, je veille et je le fais surveiller.
Tous les jours il nous maudit, il excite contre nous un parti de factieux, à qui ta bonté laisse la vie.
Elle fit tant et si bien que le roi finit par être convaincu de la perfidie de son fils et un jour, sur un vain prétexte, il lui intima l’ordre de quitter le palais.
— Que je ne te revoie plus dans mon royaume, lui dit-il ; va où bon te semblera.
Le prince se rendit sur la tombe de sa mère pour y pleurer abondamment puis, prenant le premier che-min venu, il s’éloigna. Il allait droit devant lui sans but, car il ne connaissait rien en dehors du royaume de son père, et sans ressources, car la reine avait donné l’ordre de ne rien lui laisser emporter.
Il fit route toute la journée puis, le soir, arriva dans un endroit désert, où pas même un oiseau ne volait. Il eut beau scruter l’horizon de tous les côtés : nulle trace de vie nulle part. Pourtant, à la nuit tombante, il crut percevoir loin, très loin devant lui, une faible lueur. Il décida de s’en approcher.
A mesure qu’il avançait, la lumière se faisait plus vive. Au bout de plusieurs heures, le prince arriva devant une maison haute, si haute que le faîte s’en perdait dans le ciel. Il frappa et, comme personne ne répondait, il poussa la porte, qui céda d’elle-même. Il appela trois fois, demandant si quelqu’un habitait la demeure, mais seul l’écho de sa voix se répercutait parmi les hautes salles aux murs nus.
Puis, voyant des marches devant lui, il s’y engagea. Il monta longtemps, mais l’escalier était interminable. A mesure qu’il grimpait, il sentait ses forces l’abandonner. Au septième étage il ne pouvait plus se hisser sur les hautes marches et il tomba évanoui.
Il ne sut jamais combien de temps il resta ainsi endormi. Quand il se réveilla, il était dans une chambre luxueusement meublée. Sur le rebord de la fenêtre, qui donnait sur un ciel plein d’étoiles, se tenait une colombe, qui bientôt prit son vol et vint se poser au milieu de la pièce.
A peine à terre, elle prit la forme d’une jeune fille à la beauté merveilleuse, qui vint droit à lui, et brutalement lui demanda :
— Qui es-tu ?
Le prince, revenu de sa surprise, se mit à lui conter son histoire et comment il était parvenu jusqu’à elle.
— Va ! tu as la chance que je t’aie trouvé endormi quand je suis entrée, dit la jeune fille, car, si je t’avais vu éveillé, je t’aurais réduit en poussière, j’aurais soufflé sur tes cendres et elles seraient retombées dans ton pays. Et maintenant tu vas me dire ce que tu cherches ici. (à suivre…)
Contes berbères de Kabylie Mouloud Mammeri
12 février 2010
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