Rachid Mimouni
« Rachid Mimouni, le célèbre écrivain algérien, lauréat de plusieurs prix littéraires. L’auteur de « L’honneur de la tribu » a marqué la littérature algérienne depuis les années quatre-vingt par ses nombreux ouvrages qui avait la mérite, que doit remplir toute œuvre littéraire digne de ce nom, de nous déranger, de nous sortir de notre confort, de nous entraîner dans des sentiers non battus et, bien sûr, de nous donner le plaisir, même grinçant, même brutal, de lire, de le lire. »
Rachid Mimouni est né le 20 novembre 1945 à Boudouaou (alma), à 30 kilomètres à l’est d’Alger, d’une famille de paysans pauvres. Il fréquente l’école primaire du village avant de continuer ses études secondaires à Rouiba. Il poursuit ses études supérieures à Alger (licence en sciences en 1968).
Assistant de recherche à l’Institut National pour la Productivité et le Développement Industriel, il obtient une bourse d’un an à l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Montréal au Canada où il termine sa post-graduation avant de revenir enseigner dans le même établissement à partir de 1976. Il enseigne également, à partir des années 90, à l’Ecole Supérieur du Commerce.
Membre du Conseil National de la Culture, Président de la Fondation Kateb Yacine, Président de l’Avance sur recettes. Il a également occupé le poste de vice-président d’Amnesty International.
Le 12 février 1995, Rachid Mimouni nous quittait. Sa mort surprit même ses proches. Rachid Mimouni a été admis en janvier 1995 à l’hôpital Cochin, à Paris.
Il fallut toute la persuasion de sa famille pour le décider à se soigner. Son état de santé n’était guère brillant à son arrivée à Paris. Pour prévenir toute menace intégriste, son hospitalisation fut tenue secrète.
Grâce à des soins intensifs, on le croyait tirer d’affaire. Un soir de février, il attendit que la poignée d’amis venue lui rendre visite quittât la chambre et alors que rien ne le laissait prévoir, il sombra dans un coma irréversible.
Rachid Mimouni mourut loin des siens, loin de l’Algérie. Pour ses amis qui ignoraient jusqu’à sa maladie, le choc fut terrible. Leur tristesse céda très vite la place à la colère.
« Il est mort de cette façon — en fugitif — dont meurent aujourd’hui quelques-uns des meilleurs Algériens… », écrivait un de ses amis dans la presse.
Le chanteur Matoub Lounès exprima quant à lui sa stupeur et s’interrogeait sur cette « tragique fatalité qui colle aux talons de 1’Algérie. »
Rachid Mimouni est mort de maladie. Il n’a pas été exécuté par les intégristes. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir été menacé. Sans protection aucune dans son pays, il constituait une proie idéale pour les tueurs.
Dès 1992, sa condamnation à mort était placardée dans la mosquée à quelques centaines de mètres à peine de chez lui. Malgré l’insistance de son entourage, il se refusa à changer de domicile. Il gardera les mêmes habitudes.
L’écrivain Tahar Djaout, son ami de longue date, tomba à son tour sous les balles des intégristes. Rachid Mimouni ressentit durement cette mort. Il lui dédiera son dernier livre, « La Malédiction », en ses termes : « A la mémoire de mon ami, l’écrivain Tahar Djaout, assassiné par un marchand de bonbons sur l’ordre d’un ancien tôlier ».
Le danger se faisait chaque jour plus proche. L’insécurité régnait partout. Nul n’était à l’abri. Rachid refusa de céder à l’affolement. Imperturbable, il poursuivra son travail.
C’est dans ce contexte que survint aussi la mort de son père, emporté par la maladie. Rachid était très attaché à son « vieux paysan de père ». Sa mort l’ébranla au plus profond de lui-même.
Dans « Une Paix à vivre », il décrit ainsi le paysan fier d’accompagner son fils à l’Ecole Normale. Au premier regard, on reconnaissait le paysan endimanché descendu dans la ville. Pour s’en convaincre il n’était que de voir l’énorme turban qui lui grossissait la tête ou le beau burnous blanc qui gardait encore les plis de son rangement. L’Algérie était à feu et à sang. Les menaces se faisaient chaque jour plus précises, plus imminentes. Le danger guettait maintenant ses enfants. Rachid se sentit coupable d’exposer ainsi la vie des siens. Il lui fallait partir et rapidement. La décision n’était pas facile à prendre. Rachid craignait l’exil par-dessus tout.
Il pressentait quelque part que l’exil signifierait pour lui un non retour définitif. Il répétait souvent « Si je quitte l’Algérie, je perds mes sources de vie, je ne pourrai plus écrire ».
Il se résigna. Il quittera l’Algérie le 27 décembre 1993 au petit matin avec sa femme et ses enfants. Il n’y reviendra que pour y être enterré à côté de son père.
Ecrivain s’il en fut, Rachid Mimouni se lança très tôt dans l’écriture. A peine ses études en chimie et en économie terminées, sa seule préoccupation était d’écrire et surtout de se faire publier. Ce qui n’était pas une mince affaire en Algérie dans les années 1970.
Rien ne le découragera. Ni la censure qui n’a pas le courage de s’avouer et qui « estropie, édulcore le plus bénin des textes, une hérésie utilitariste qui veut privilégier l’ouvrage scientifique et technique en repoussant d’un revers méprisant ce qu’on commence à qualifier de littérature. »
Ni un régime arrogant et ne reculant devant rien pour faire taire les opposants. – Kateb Yacine fut très vite interdit de parole publique -.
Ni une pratique éditoriale et les magouilles qui, écrit Rachid Mimouni « laissent dormir les manuscrits des années durant en vue de faire réimprimer des livres dont les stocks d’invendus encombrent les rayons des dépôts. »
Son premier roman, « Le Printemps n’en sera que plus beau » ne fut publié qu’après des années d’attentes et de tracasseries bureaucratiques non sans avoir été amputé de plusieurs passages jugés subversifs. Rachid ne se découragera pas pour autant. Son obstination à écrire, à se faire éditer à tout prix n’avait d’égal que son courage.
Face à un Pouvoir qui ne supporte aucune remise en cause, Rachid Mimouni, sans aucun appui, sans moyens, isolé du monde extérieur, fera front, seul. « Si hier, avec courage et talent, nos aînés se sont levés pour dénoncer l’oppression coloniale, leurs épigones ne doivent pas se tromper d’époque », écrit-il.
11 février 2010
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