par Kamel Daoud
C’est le thème de la nucléarisation. Pas celui de la bombe mais de la sociologie. C’est-à-dire comment le peuple se fragmente en morceaux, de plus en plus petits, au fil des décennies. Un exemple frappant, celui de l’antenne parabolique,
expliqué par un collègue: les Algériens sont passés de la parabole collective durant les années 90, à une antenne parabolique par famille durant les années 2000, puis à l’antenne parabolique par chambre durant les années suivantes. Le but étant d’arriver à une antenne par individu dans les prochaines années. Ou une antenne par doigt. Le but étant d’atteindre une autosuffisance individuelle imaginaire et imaginative par individu. A chacun sa télé, ses préférences, ses chaînes et ses fuites assises. Le but du but étant que chacun ait son propre périmètre de rêveries propres indivisibles. C’est quoi la parabole de cette parabole? C’est la fin de la masse et la naissance de la particule. Avant l’Indépendance, les Algériens étaient un peuple en étant peu nombreux. Après 62, les Algériens étaient un peuple, de moins en moins, mais de plus en plus nombreux. Pour les contrôler, on les a donc divisés en cinq entités: le comité central, l’UGTA, les Services, la Présidence et les forces vives. Ensuite, par la force de l’histoire nationale et à cause de ses faiblesses, on les a divisés en islamistes, nationalistes, éradicateurs, réconciliateurs, syndicats autonomes, terroristes, infiltrés, infiltrants et gens qui passent. La division du peuple par lui-même a presque été infinie, un moment.
Chaque Algérien était l’Algérie à lui tout seul. C’est-à-dire, à la fois, son martyr, son libérateur, son président, son peuple, son propriétaire, sa seule explication admise et le seul qui avait raison. Sur le plan technique des commodités, à cause de l’échec des plans des développements, il valait mieux avoir son étage d’immeuble propre, sa bâche d’eau, son groupe électrogène, sa voiture, son colonel, en gendre ou en cousin, son lien de parenté, dans la CNAS et son propre lien de parenté avec n’importe quelle administration. La division du petit en plus petit est encore en cours: si le peuple a si férocement fêté son union autour d’un ballon, c’est que tout le reste le divise. Y a-t-il une limite mathématique au morcellement d’un peuple? Une frontière du plus petit dénominateur commun? On ne sait pas. On cherche. C’est cette base infinitésimale qui servira, peut-être, à la reconstruction, par le bas. L’autre question est «l’Union sacrée d’un peuple à lui-même, est-elle vraiment utile?». Là aussi, il faut en douter. Le mythe du peuple uni comme un seul homme, qui a chassé la France avec une seule arme, et qui nous a été servi jusqu’à la nausée, a fini par provoquer le meurtre de l’individu, la naissance de la particule sociale et l’envie furieuse de partir pour se distinguer et naître vraiment et pas en vrac. Ne pouvant qu’être un peuple uni dehors, les Algériens sont chacun pour soi quand ils le peuvent. A défaut de l’individu sain, nous avons l’antenne parabolique par chambre. Le chroniqueur l’avait dit: la somme de tous les lots de terrains algériens ne constitue par la surface exacte de l’Algérie. La propriété ne donne plus naissance au nationalisme. La parabole est une vraie parabole liée, à la fois, au satellite et à la vision de la vie. Les Algériens sont fatigués d’être Un. C’est un chiffre plus proche du zéro que de l’infini.
7 février 2010
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