Histoires vraies
La Rivière de Boue (1re partie)
C’est un triste jour de mai 1951. Vernon Pick, trente-trois ans, contemple une jolie petite maison de Garfield dans l’Etat de Virginie, en train de brûler, la sienne. A ses côtés, sa femme Ruth assiste au désastre, aussi effondrée et impuissante que lui. Les pompiers s’activent, mais il est visible que, malgré tous leurs efforts, ils ne parviendront à rien sauver du tout. Le feu est trop fort : quand ils l’auront éteint, il ne restera plus que des pierres calcinées et des cendres.
Vernon Pick est d’autant plus affecté que, cette maison, il l’avait construite entièrement de ses mains ou presque. C’est, en effet, un bricoleur-né. Il est mécanicien dans un garage, et fait des petits travaux au noir pour arrondir les fins de mois. II est aussi bon maçon que plombier, électricien ou chauffagiste. Il avait mis ses dons en pratique pour se loger et voilà que tout cela vient de partir en fumée ! Il essaye pourtant de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il prend sa femme dans ses bras.
— Il faut nous dire que nous sommes en vie. Il n’y a que cela qui compte.
Ruth essaye, elle aussi, d’être positive.
— Nous sommes assurés. L’assurance nous remboursera.
— Hélas non !
— Nous ne sommes pas assurés ?
— Si. Je ne te l’ai pas dit, mais pour payer moins, j’ai sous-estimé la valeur de la maison. Si nous touchons la moitié de ce qu’elle vaut, nous aurons de la chance.
Ruth pousse un profond soupir tandis que le crépitement des flammes se déchaîne.
— C’est peut-être un mal pour un bien…
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu ne m’as pas dit plusieurs fois que tu en avais assez de vivoter, que tu voulais tenter la grande aventure ? Alors c’est peut-être un signe du destin !
Vernon Pick regarde sa femme avec admiration et conclut :
— Tu as raison, c’est un signe du destin !
Quatre mois ont passé. Vernon Pick ne s’était pas trompé dans ses calculs. L’assurance a remboursé 13 500 dollars, alors que la maison valait plus du double. Avec cet argent, sa femme et lui ont acheté, non pas un logement plus modeste, mais une roulotte du dernier modèle, pourvue de tous les raffinements de la technique moderne, notamment l’air conditionné, ce qui en 1951 n’est pas courant.
Pourquoi une roulotte ? Tout simplement pour être plus libre. Si Vernon Pick a décidé de tenter la grande aventure, il n’a toujours pas idée de ce que cela peut être. Avec une roulotte, il pourra répondre à l’appel de la fortune de quelque endroit qu’il vienne.
Or, ce 9 septembre 1951, en lisant le journal, Vernon Pick tombe sur une publicité peu banale. L’annonceur y proclame en grosses lettres : «POUR 500 DOLLARS, IL VOUS APPORTERA LA FORTUNE !» Le produit en question n’est pas d’un usage courant : il s’agit d’un compteur Geiger, un appareil qui mesure la radioactivité.
Il faut dire qu’en ce début des années 1950 des milliers de prospecteurs amateurs parcourent l’Amérique à la recherche d’uranium. La guerre froide vient de commencer. L’URSS a fait exploser sa première bombe atomique et les Etats-Unis manquent cruellement de minerai radioactif. Pour construire ses propres bombes et pour les diverses applications civiles du nucléaire, l’Etat américain est obligé d’importer de l’uranium du Congo belge. Cette dépendance à un produit stratégique essentiel est difficilement supportable et une fortune est promise à celui qui trouvera un gisement sur le territoire national. Vernon Pick appelle sa femme.
— Ruth, j’ai trouvé ! (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
5 février 2010
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