S’organiser à Alger pour négocier à Bruxelles
par Abed Charef
L’accord d’association avec l’Union européenne a mené à l’impasse. Comment corriger le tir sans risquer d’aller à un accord encore plus dangereux?
L’aveu est cruel. A la veille de la visite d’une délégation européenne à Alger, de hauts responsables algériens reconnaissent que l’accord d’association avec l’Union européenne a été mal préparé, mal négocié, mal appliqué, et qu’il a eu des effets désastreux sur l’économie algérienne. L’Algérie n’a guère tiré profit de cet accord, alors que l’Union européenne a réussi à préserver et même à améliorer ses parts dans le marché algérien. Les erreurs commises par l’Algérie lors de cette négociation sont largement étalées. L’accord n’est pas venu au bon moment, le pays n’y était pas préparé. Son contenu dessert l’économie algérienne, et pousse le partenaire à en profiter. Le démantèlement tarifaire qu’il introduit détruit le peu d’entreprises algériennes, et empêche toute émergence d’une industrie viable. Conçu dans une logique commerciale, il pousse l’économie algérienne à consolider sa nature d’«import-import», sans aucune perspective d’aller vers une économie de production. Y a-t-il, à travers ces aveux, une volonté de mettre le président de la république en accusation ? Ceux qui mettent en avant l’échec de l’accord d’association affirment que le dossier a été négocié dans la précipitation, à cause de directives émanant de la présidence de la république. Le chef de l’état s’y était impliqué en personne, car il avait alors des priorités politiques, liées au second mandat, qui lui dictaient d’aller vite. Faut-il voir dans le déterrement de ce dossier une volonté de régler des comptes ? Dans ce cas, le chef de l’état ne serait pas la seule cible. Le déballage a révélé une guéguerre entre le ministère des affaires étrangères et celui du commerce. Au commerce, on accuse les affaires étrangères d’avoir manqué d’orientations, et d’avoir exercé des pressions pour conclure cet accord dans la précipitation. L’accusation est grave. Elle laisse supposer que l’accord d’association a été signé non pour servir l’économie algérienne, mais pour permettre au chef de l’état de réaliser des objectifs de politique interne. Le préjudice subi par le pays est lourd. Mais le mal est fait. Y a-t-il moyen d’y remédier ? Des revues périodiques sont organisées pour évaluer l’accord d’association. Mais là encore, la partie algérienne admet que cela ne sert à rien, car seule la partie européenne y expose ses points de vue et ses objectifs, alors que la partie algérienne manque, encore et toujours, de directives. « Orientations politiques inexistantes, pas de chef de file, problème central de direction» : les défaillances enregistrées lors des négociations sur l’accord d’association sont toujours là (1).
En fait, les acteurs politiques présents lors de la négociation sont les mêmes qui dirigent aujourd’hui le pays. Ils disposent des mêmes instruments obsolètes pour négocier, et se trouvent totalement dépourvus lorsqu’il s’agit de passer à l’action : un ancien ministre RND, pourtant proche de M. Ahmed Ouyahia, a déclaré depuis plusieurs années que l’administration algérienne n’était pas outillée pour tirer profit de l’accord avec l’Union européenne.
Le président Abdelaziz Bouteflika, les chefs du FLN et du RND au gouvernement, l’alliance présidentielle comme coalition gouvernementale : le pays n’a pas changé d’un pouce par rapport à la période de négociation de l’accord. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on risque de repartir pour une nouvelle décennie d’échec dans ces relations avec l’Europe. Avec des circonstances aggravantes : les importations algériennes ont doublé de volume en deux ans, alors que les exportations restent désespérément limitées aux hydrocarbures. La gestion de l’accord d’association avec l’Union européenne pose en réalité le problème des grands choix dans lesquels le pays est amené à s’engager. Et ces choix imposent forcément un certain nombre de préalables qu’il faut réunir avant de s’engager dans des aventures qui vont marquer l’avenir du pays sur plusieurs décennies. Ce type de décision nécessite une préparation interne d’abord. Une large concertation est nécessaire pour aboutir à un consensus national, en vue de donner à la décision une assise solide. En parallèle, doivent être définies les priorités du pays pour les deux ou trois prochaines décennies dans le domaine économique, industriel et énergétique, en vue de cerner au mieux ce qu’un accord de ce genre- union européenne ou, demain, union du Maghreb, Union africaine, Zone arabe de libre échange-, peut apporter au pays et comment l’Algérie peut s’y insérer. Ce n’est qu’à ce moment là que les négociations peuvent commencer.
Une fois les préalables politiques et économiques définis, le reste relève du domaine technique. Autrement, on aboutit forcément à cette situation absurde où un accord supposé booster l’économie nationale finit par provoquer la mort des rares entreprises viables, la condamnation de pas entiers de l’agriculture, et la transformation définitive de l’économie nationale en une simple activité d’importation.
4 février 2010
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