Le Soir des Livres : DES NOUVELLES DE KORA
Un magazine feuilleté dans un train
Un article vantant les travaux du Dr P. sur les amnésiques. Tel est le point de départ d’une quête de soi où le narrateur passant du «elle» au «je» s’égare dans les trous noirs de son passé. Michèle interroge sa mère, le point nodal, lieu du questionnement. Aux souffrances muettes de sa fille, la mère oppose celles des sans-papiers, les hurlements qui accompagnent les reconduites aux frontières. Les cris de sa fille, elle ne les entend pas.
Ces cris que Michèle étouffe jusqu’à «hurler blanc». Entre la mère et la fille, c’est le malentendu comme cette chienne, compagne de l’enfance. «Elle m’aimait», dit Michèle. «Elle était enragée et folle», répond la mère, refoulant un passé qu’il faut taire et laisser «crever, au fond, tout au fond de la Seine.» Dans sa quête de vérité, Michèle tente de revisiter son passé. Un passé à plusieurs voix. La mère française et le père algérien à Nanterre pendant la guerre d’Algérie. Reine qui la recueille dans sa maison d’enfants et «redonne (r) la vie sans même remuer les lèvres, d’un regard». Robert, l’ami philosophe et confident. Le Dr P. bientôt victime de la folie de sa patiente. Des amants de passage et le passé qui s’interpose entre elle et l’amoureux, entre elle et le bonheur tranquille d’une vie ordinaire… Un émiettement de personnages qui participent à la construction ou à la déconstruction de la narratrice. Comme «les mots secrets, suspendus audessus du vide» restent coincés dans sa gorge, Michèle écrit. «Mais dès que j’écris, ça se tord, ça mord, ça hurle à la mort». Alors Michèle glisse dans la nuit, une odyssée intérieure dans laquelle sa raison vacille. Les images fragmentées de son passé surgissent par flash. Sa mère la tenant par la main, les roues d’un camion. Accident ? Suicide manqué ? La peur s’insinue jusque dans ses rêves hantés par une gardienne qui «crache sur les draps de vrais serpents et crapauds qui grillent en répandant une odeur fad». Les souvenirs se superposent, les personnages se croisent et se répondent dans un univers tantôt onirique, tantôt bien réel ancré dans l’Histoire. La guerre d’Algérie mais aussi la déportation des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondial, Octobre 61 et les reconduites actuelles aux frontières, tout ce passé collectif que Michèle porte en elle l’étouffe et l’empêche de vivre. Si Des nouvelles de Kora, que l’auteur veut être un récit, est une réflexion sur la mémoire et le poids du passé que l’on porte en soi, il interroge aussi sur la genèse de l’écriture. Il dit la difficulté pour un auteur d’apprivoiser les mots et de dompter les personnages qui l’habitent. Trouver la juste distance entre la fiction et le réel, entre soi et ces êtres multiples nés de l’univers du créateur. Dans son roman, Michèle deviendra Kora, ce nom mystérieux qui résonne dans un coin de sa mémoire , comme une voix apaisée qui résonnera aussi en nous à l’unisson de nos propres déchirements. Des nouvelles de Kora est un récit troublant, une invitation a u franchissement des seuils.
Meriem Nour
Des nouvelles de Kora,
Tassadit Imache,
Actes Sud, 2009
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/02/04/article.php?sid=95229&cid=31
4 février 2010
LITTERATURE