Quelques jalons de l’histoire des idées politiquesLes sentiers du pouvoir et de la citoyenneté
Après l’introduction dans la Constitution de février 1989 du principe du pluralisme politique, les autorités politiques du pays, les élites universitaires et même les partis nés de cette ‘’césarienne’’ post-octobre n’ont pas fait l’effort intellectuel et pédagogique nécessaire pour accompagner ce formalisme juridique d’une réflexion, d’une littérature et d’une ‘’exégèse’’ qui rendraient les idées et les principes politiques familiers aux Algériens.
Le peu de réflexion accompli dans ce sens se trouve réduit à quelques articles de journaux écrits par des universitaires qui ne trouvent pas d’autres tribunes d’expression.
Le résultat des courses est que- combinés à l’ ‘’allergie’’ pluraliste légendaire du pouvoir au pluralisme, d’une part, et au terrorisme islamiste armé qui a considérablement contribué à l’effritement de la société politique, d’autre part-, la carence intellectuelle et le déficit culturel ont grandement consacré le discrédit des idées politiques.
Et pourtant, dans le cas spécifique de la culture kabyle, une forme de ‘’littérature politique’’ a pris naissance au sein de la poésie chantée à partir des années 1970.
Dans une étude relative à ce domaine précis publiée il y a quelques années dans notre journal, nous écrivions : » Il est indéniable que le corpus littéraire que constitue le texte de la chanson kabyle a atteint un tel degré de maturité, un tel stade d’influence dans la société- en tant qu’élément culturel et artistique formateur d’opinion- et un tel volume de production qu’il appelle nécessairement un examen critique par le moyen d’études qui peuvent prendre la forme de thèses académiques, de mémoires ou de simples analyses comme celles qu’on rencontre habituellement dans des revues périodiques ou dans la presse généraliste. Réellement, sous les différentes formes citées, le travail a déjà commencé. Sur Slimane Azem, Aït Menguellet et Matoub, nombre de livres, opuscules et articles de presse ont été déjà publiés. En tant qu’aspect essentiel de l’anthropologie culturelle ou en tant que travail sur un matériau littéraire d’une extraordinaire vitalité, ces études- dispersées dans le temps et n’ayant pas encore établi définitivement les outils didactiques ou méthodologiques idoines- ont le mérite de tracer les premières esquisses d’un domaine qui ne manquera pas, dans un avenir proche, de fasciner les chercheurs de toutes les spécialités des sciences humaines (linguistique, histoire, sociologie, anthropologie) « .
En effet, dans ces chansons à texte, c’est toute la population kabylophone qui s’est formée politiquement dans un moment de patente adversité où la clandestinité et la répression étaient la règle. Revendication identitaire berbère, revendications sociales, appel à la liberté d’opinion et d’expression, demande de l’instauration d’un État de droit et d’autres thèmes socio-politiques étaient portés par une belle poésie qui tire sa substance des valeurs d’authenticité culturelle et de la légendaire soif de liberté.
» La liberté de penser signifie que la raison ne se soumette à aucune autre loi que celle qu’elle se donne à elle-même « . Cette assertion d’Emmanuel Kant, tout en hélant le règne de la liberté, porte dans ses attributs la nécessité d’un ordre qui viendrait de cette raison même qui s’épanouit dans la liberté. Ainsi, la maxime antique qui fait de l’homme un » citadin par nature » (habitant de la cité avec ses semblables) y trouve non seulement sa justification, mais aussi son ‘’mode de gouvernance’’ du fait qu’il est fait appel à l’ordre et à la raison.
Cependant, c’est dans la mise en œuvre de ce ‘’contrat social’’ que les hommes trouvent les plus grandes difficultés du fait que les intérêts des uns et les appétits des autres tanguent généralement au gré des rapports de force. Ce sont ces frictions, ces conflits permanents-débouchant parfois sur une tragique instabilité ou sur des guerres féroces-qui ont donné lieu à la réflexion politique. Des hommes se sont saisis de ces états de luttes perpétuelles pour chercher la formule, le terrain et le mode d’entendement qui ferait coexister, le plus pacifiquement possible, les hommes en société.
‘’La théorie politique du Contrat social[élaboré par Jean Jacques Rousseau est donc bien l’analyse du rapport entre la notion du souverain et celle du gouvernement (…) La démocratie directe serait le seul régime qui correspondrait au juste rapport entre le souverain et le gouvernement’’, écrit le professeur Michel Coz dans son ouvrage‘’Jean Jaques Rousseau’’, éditions Vuibert, 1997. Il ajoute, un peu plus loin : » Tous les grands réformateurs de la société ont puisé dans Le Contrat social des arguments susceptibles de soutenir leurs projets « .
Évolution des idées et nouveaux apports
L’histoire de ces réflexions constitue l’histoire des idées politiques. Depuis la Cité grecque jusqu’à la fin de la guerre froide, des monuments de la littérature politique ont été consacrés aux rapports entre les hommes, aux explications de conflits et aux propositions de ‘’solutions’’. Au fur et à mesure de l’avancée de la pensée politique, le parcours des idées s’enrichit des résultats de recherche des autres disciplines : économie, histoire, psychologie, sociologie,…etc.
L’un des exemples de cette évolution des idées politiques est cette appréhension marxiste de la société et des conflits qui la traversent. Marx le consacre dans son matérialisme dialectique et il en annonce la philosophie dès la première phrase de son Manifeste de 1848 : » L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes « . Il ajoute : » homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte « .
L’agrégation des idées et l’interaction des disciplines des sciences sociales et humaine au cours du 20e siècle ont fait que la politique a reçu la définition suivante : » la connaissance de ce qui a trait à l’État et à son gouvernement « . La réflexion du philosophe allemand Max Weber a fait évoluer cette définition en » la science du pouvoir en général « .
Dans son ouvrage Introduction à la politique, Maurice Duverger apporte une forme encore plus élaborée en déclarant : « Même ceux qui définissent la politique comme la science du pouvoir en général reconnaissent qu’il atteint dans l’État sa forme la plus achevée, son organisation la plus complète, et qu’on doit surtout l’étudier dans ce cadre « .
Le professeur Marcel Prélot, revient, dans un article de l’Encyclopédia Universalis, sur le sort peu enviable de la définition de la science politique. » Vieille de près de vingt-cinq siècles, la science politique devrait offrir aujourd’hui des traits propres, aisément discernables et définissables, faciles à présenter en termes clairs et précis.
Or, il n’en est rien. Si l’introduction, il y a vingt-cinq ans, de la science politique dans l’enseignement universitaire de la plupart des pays d’Europe a marqué « la fin d’une extraordinaire carence », elle n’a pas été, comme on aurait pu le penser, la fin des controverses. Déclarée « introuvable », considérée comme une innovation, voire tenue pour une découverte, la science politique, devenue « la science à la mode », a vu son objet propre discuté et même nié; d’autre part, sa nature « scientifique » a été admise dans la seule mesure où elle se montrait susceptible d’être une connaissance empirique et positive « .
Un legs historique d’idées et d’analyses politiques
Le fonds culturel maghrébin nous a légué une œuvre monumentale dans la discipline des sciences sociales et politiques. Le père de la sociologie, Ibn Khalddoun, dont certaines idées se retrouveront plusieurs siècles après sa mort chez des penseurs, théoriciens et philosophes européens (Auguste Comte, Marx, Th. Hobbes, Max Weber,…) n’a pas malheureusement été prophète en son pays ; tout en sachant que son pays allait de Grenade au Caire, en passant par Tiaret et Bougie. Ses manuscrits, longtemps restés dans de vieux et obscurs tiroirs d’archives, seront plus explorés et mieux exploités par les chercheurs européens que par les doctes de l’aire arabo-musulmane pour qui notre penseur ‘’sentait le fagot’’.
En effet, jusqu’à l’ère de la renaissance littéraire arabe entamée après la campagne de Bonaparte en Égypte, la plupart des esprits critiques de l’héritage culturel de l’âge classique de l’islam étaient vus comme des hérétiques par une certaine pensée d’une excessive rigidité et d’une orthodoxie douteuse.
En tout cas, la renommée établie d’un Ibn Khaldoun ne sera effective qu’après les travaux de traduction et d’ ‘’exégèse’’ dont bénéficieront ses écrits de la part des orientalistes. Pour les pays maghrébins, le travail de vulgarisation et de critique d’Yves Lacoste, ancien professeur de géographie à Alger, sera d’un apport considérable pour la connaissance et la réhabilitation de la pensée khaldounienne.
En tout cas, dans la majorité des pays de l’aire culturelle arabo-musulmane, les sciences humaines en général- en tant qu’ensemble de disciplines participant à la préparation des cadres de la nation pour prendre en charge, demain, les questions économiques et sociales du pays, et en tant que domaine faisant partie de la culture de la citoyenneté et de la formation des élites-, sont, à dessein, dévalorisées par les décideurs et subissent, à tous les niveaux, le poids d’un ostracisme castrateur.
C’est, en quelque sorte une conséquence logique- voire même un axe fondamental- du travail de soumission des peuples à la volonté des princes, travail qui exige l’anéantissement de toute pensée critique et de réflexion citoyenne.
N’est-ce pas que c’est fort significatif cette façon d’inhiber la fonction critique et d’éveil d’un certain nombre de disciplines scientifiques en les arabisant au rabais ? L’arabisation est vécue, dans ce cas de figure, comme une mesure de répression.
De même, les autres matières enseignées au collège et au lycée n’ont jamais permis l’accumulation d’un background culturel qui aurait permis à l’étudiant universitaire d’aborder avec assurance les modules plus élaborés qu’on lui présente. Sur ce plan, le seul regard jeté sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie nous renseigne amplement sur le désastre pédagogique provoqué dans les sciences humaines.
En effet, comment pourra-t-on aborder les thèmes de la gestion de la Cité, de la gouvernance, de la représentation politique, de la volonté générale, des élections, de la division internationale du travail, de la genèse et l’évolution des conflits sociaux, des rapports entre la croissance et le développement, de mobilité sociale, du chômage,…etc., lorsque, pendant toute sa scolarité, l’élève ou l’étudiant n’a eu droit qu’au ronronnement d’une chronologie à apprendre par cœur qui exclut la société sous toutes ses facettes (luttes d’intérêt, crises économiques, production culturelle,…).
L’école et l’université algériennes ont besoin d’immerger dans la profondeur de la pensée politique telle qu’elle est enseignée dans les autres pays du monde. C’est en revisitant les territoires de la réflexion politique que seront mises au jour les évolutions des systèmes de gouvernement, la marche inexorable des sociétés vers plus de progrès et de liberté et les différents modes de gestion de la cité sur lesquels se base le contrat social. Il ne peut y avoir de culture politique par le seul fait d’adhérer à un parti.
La réflexion et la pensée politiques ont connu un florissant destin dans l’Antiquité gréco-romaine. ‘’La République’’ de Platon, à elle seule, constitue, pour l’époque considérée, un monument. Au Moye-âge, la pensée politique a souvent subi une confusion avec le mysticisme et la pensée religieuse, phénomène renforcé par les Croisades. C’est avec Ibn Khaldoun qu’un début de pensée rationaliste émergera du bassin méditerranéen.
Un siècle plus tard, un autre méditerranéen d’Italie abordera à sa façon la ‘’science du sérail’’. Machiavel aura profité de toutes les idées qui ont été produites au sujet de la société, des classes sociales et du gouvernement pour se lancer dans un thème qu’il a serré au maximum autour de la royauté, du prince et des relations et enjeux qui se nouent entre eux.
Le siècle des Lumières a pu tirer les leçons des luttes sociales, de la transformation du Clergé, des découvertes scientifiques pour annoncer une autre vision qui fait privilégier la notion de représentation politique. Avec Rousseau, naîtra le concept de Contrat social et s’affinera la notion de volonté générale.
Ambition politique et science du sérail
Un peu plus d’un siècle après la magistrale ‘’Muqaddima’’ d’Ibn Khaldoun, le monde méditerranéen a produit l’une des premières et inaltérables œuvres de sociologie politique qui allait bouleverser les connaissances en la matière fondées jusque-là davantage sur des bases mystico-théologiques que sur des canons rationnels, comme elle allait jeter les premiers jalons des règles de gouvernement dans leurs rapports dialectiques avec la gestion de la Cité.
Comme le pérégrin andalou, inventeur des notions de ‘’Aâçabia’’ et de ‘’citadinité/bédouinité’’ émises dans une période où le monde islamique plongeait dans une déchéance historique caractérisée par le repli sur soi et la soumission aux puissants du moments, le prince florentin avait connu les délices ouatées du sérail et la méchante ingratitude des décideurs pour qui le diplomate n’aurait été qu’un sous-fifre bon aux missions commandées et dont il fallait se débarrasser dès qu’il manifeste des désirs d’autonomie morale et intellectuelle.
Le parcours du fils du Maghreb était plein de dures péripéties sous les règnes successifs des Hafsides de Tunis, des Abdalwadides de Tlemcen et des Mérinides de Fès. Le parcours du Prince florentin n’en fut pas moins houleux avec les services rendus et les sévices subis sous César Borgia, Louis XII, Maximilien 1e et la dynastie des Médicis.
La réédition des ‘’Oeuvres’’ de Machiavel chez Robert Laffont en 2005, dans la collection ‘’Bouquins’’, fait partie d’une entreprise non seulement de vulgarisation d’un travail accompli dans la difficulté dans les années les moins glorieuses de l’Europe déchirée entre un Moyen-ge finissant et une Renaissance à peine balbutiante, mais aussi d’une volonté de réhabiliter une pensée moderne souvent mal comprise ou, pire, sciemment dévoyée.
‘’Pour la première fois, les secrets du pouvoir sont révélés au monde’’, fait remarquer l’analyste Philippe Sollers à propos des thèses et écrits de Machiavel.
Nicolo Machiavelli, en italien ; Nicolas Machiavel, en français, est né en 1469. Secrétaire de la seconde chancellerie de Florence, il accomplit plusieurs missions diplomatiques. Après la bataille de Prato (en Toscane, dans la province de Florence) en 1512, les troupes françaises se replièrent et la République de Florence s’effondra.
Le retour au pouvoir de la dynastie des Médicis annoncera la disgrâce de Machiavel qui perdra ses fonctions, sera fait prisonnier après avoir été impliqué dans un complot. C’est pendant son exil à Casciano qu’il se mit à écrire l’œuvre de sa vie, celle qui le fera connaître de la postérité, ‘’Le Prince’’. Il y écrit aussi un autre livre historique ‘’Discours sur la première période de Tite-Live’’ et une ‘’Histoire de Florence’’.
La fin et les moyens
Ce n’est qu’en 1526, une année avant sa mort et pendant la guerre contre les Impériaux, qu’il reprend des fonctions officielles. Il mourut en 1527, l’année où la dynastie des Médicis fut renversée et la république proclamée.
‘’Liberté ! bien précieux et désiré, qu’on n’apprécie que lorsqu’on la perdu !’’. Tel est le commencement d’une des dernières odes composées par le poète et humaniste italien Pétrarque quelques années avant qu’il mourût, en 1374, au milieu de la plus effroyable anarchie. Désespéré par la situation sociale et politique régnant en Italie, le poète n’invoquait maintenant que la pitié du ciel en faveur de ce beau pays, de cette chère patrie dont la parole ne pouvait plus guérir les blessures : ‘’Dieu seul était capable de guérir les cœurs et d’arrêter le sang qui coulait à flot sous l’épée de l’étranger’’, écrivait-il.
Les troubles politiques et sociaux des seigneuries de la région de Florence amenèrent Machiavel- qui a pu suivre de près et avec un sens aigu de l’observation les machinations des rouages du pouvoir pour diviser et annihiler toute forme de contestation- à analyser la psychologie et les ambitions des prétendants au pouvoir politique ainsi que les voies qu’ils empruntent pour accéder au pouvoir. Il parvint à cette conclusion, devenue par la force des choses une sorte d’apophtegme : La fin justifie les moyens. Un préfacier français d’une vieille édition du ‘’Prince’’ résume cela dans ‘’une casuistique de l’ambition’’. Écrire de la politique se ramène ainsi à rédiger un manuel de la réussite.
Dans une lettre datant du 9 avril 1513, il écrit : ‘’Le sort a fait que, ne sachant raisonner ni de l’art de la soie, ni de l’art de la laine, ni de gains, ni de pertes, il me faut ou me taire, ou raisonner des affaires de l’Etat’’. Inventeur de la notion d’Etat au sens moderne, ‘’c’est donc l’Etat, mais l’Etat du Prince et, dans l’Etat, le Prince d’abord qui intéressent Machiavel’’, écrivent Marcel Prélot et Georges Lescuyer dans ‘’Histoire des idées politiques’’ (Dalloz, 1986).
Quelles sont les qualités d’un souverain, appelé indifféremment ‘’prince’’ dans l’ouvrage ? ‘’Vaut-il mieux être aimé que craint, ou craint qu’aimé ?’’ se demande Machiavel. ‘’Je réponds que les deux seraient nécessaires ; mais comme il paraît difficile de les marier ensemble, il est beaucoup plus sûr de se faire craindre qu’aimer, quand on doit renoncer à l’un des deux. Car des hommes on peut dire généralement ceci : ils sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs (…) Tant que tu soutiens leur intérêt, ils sont tout à toi, ils t’offrent leur sang, leur fortune, leur vie et leurs enfants, pourvu que, comme j’ai dit, que le besoin en soit éloigné ; mais, s’il se rapproche, ils se révoltent. Le prince qui s’est fondé entièrement sur leur parole, s’il n’a pas pris d’autres mesures, se trouve nu et condamné. Les hommes hésitent moins à offenser quelqu’un que de se faire aimer d’un autre qui se fait craindre ; car le lien de l’amour est filé de reconnaissance : une fibre que les hommes n’hésitent pas à rompre, parce qu’ils sont méchants dès que leur intérêt personnel est en jeu. Mais le lien de la crainte est filé par la peur du châtiment, qui ne les quitte jamais’’.
Tu seras un prince !
Comme les résument, dans un souci pédagogique, Prélot et Lescuyer, les idées-forces de Machiavel peuvent se présenter de la façon suivante :
Le sens du réalisme : le Prince tient l’homme pour individuellement pour ce qu’il est, c’est-à-dire pour peu de chose et les hommes collectivement pour ceux qu’ils sont, c’est-à-dire pour moins encore que leur total. Il ne se préoccupe pas de ce qui devrait se faire, mais de ce qui se fait. Il est à l’affût de tout, mais ne croit pas aisément ce qu’on lui raconte, et ne s’effraie pas non plus d’un rien.
L’égoïsme, et aussi l’égotisme : le Prince a appris à ne pas être bon au milieu d’hommes qui sont mauvais. Il pratique le culte et la culture du ‘’moi’’, une gymnastique de la volonté, une discipline de la pensée, du sentiment et des nerfs.
Le calcul : le Prince préfère être craint qu’être aimé. Être craint dépend de lui, tandis qu’être aimé dépend des autres.
L’indifférence au bien et au mal : le Prince préfère le bien, mais il se résout au mal s’il y est obligé et il y est souvent contraint. Il en connaît plusieurs qui ont violé la foi jurée, mais qui l’ont emporté sur ceux qui ont respecté leur serment.
L’habileté : la qualité principale du Prince est l’adresse, l’énergie, la résolution et le ressort, car les qualités du Prince exigent une création continuelle, une tension sans relâche vers le but.
La simulation et la dissimulation : le Prince est connaisseur de l’occasion, collaborateur avisé de la Providence, mais aussi corrupteur audacieux de la Fortune, grand amateur de la ruse et grand adorateur de la force.
La grandeur : le Prince est au-dessus du commun. Ce qui l’autorise à échapper à la morale, c’est-à-dire au-dessus de la médiocrité ambiante. Il se situe au-delà du bien et du mal. Cupidité, rapacité, dol, vol, libertinage, débauche, fourberie, perfidie, trahison, qu’importe, puisque tout cela n’a pas pas à être jugé à la commune mesure des vies privées, mais selon l’idéal d’un Etat à faire ou à maintenir. Pourvu que le Prince arrive au résultat, il n’est pas de moyens qui soient considérés comme honorables.
Machiavel annonce ici l’argument-massue que développeront à volonté des théoriciens et des hommes politiques quelques siècles plus tard : la raison d’Etat, une nation que seul le souverain qui l’énonce est capable de lui donner un contenu et des contours flexibles, bien entendu, au gré des besoins du moment.
Ayant sondé la cupidité et la faiblesse des hommes, l’immoralité- sorte de mal nécessaire pour la fonction de Souverain- et les ambitions infinies du Prince, Machiavel a plus décrit et décrypté une situation que donné une ‘’recette’’ comme l’ont colporté ceux qui ont voulu donner de lui l’image d’un diable. ‘’Étrange destin d’avoir un nom qui devient un adjectif négatif’’, écrit Philippe Sollers dans ‘’Le Monde’’ du 27 septembre 1996.
La chanson ‘’Ammi’’ composée par Aït Menguellet en 1983 prend une partie de son inspiration du livre de Machiavel Le Prince. L’autre partie qui renforcera la seconde et donnera un caractère magistrale à la chanson politique kabyle et la situation d’un pays qui s’appelle l’Algérie, situation qui- sous le partie unique, la gestion clientéliste de la rente pétrolière et la négation totale des libertés- était l’antithèse des espérances de Novembre 1954 et l’antichambre de la déréliction humaine dans laquelle plongera l’Algérie une dizaine d’années plus tard.
Par Amar Naït Messaoud
A. N. M.
iguerifri@yahoo.fr
3 février 2010
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