par Kamel Daoud
.. Contrairement à toi, je ne cherche pas mes ancêtres dans mon passé, mais dans l’avenir dont j’entends le pas crisser sur des feuillages pas encore nés. Celui qui cherche ses ancêtres dans son passé, la terre l’enferme au lieu de lui appartenir.
Il ressemblera, à la fin de sa vie, à un cadavre et pas à un nouveau-né. Son temps est une reculade pas une étincelle. Généralement, les gens comme toi, qui crois descendre d’un olivier ou d’un chameau, ont le visage fermé, le muscle dur, le sourire avare et le verbe sans tendresse sauf pour les tombes et la poésie d’autrefois. Alors que le monde est fait de dix mille réponses, les gens comme toi ne promènent qu’une seule question «D’où viens-tu ?». Vois-tu mon ami, ce n’est pas l’heureux voyageur qui ose ce genre de questions, mais l’homme sédentaire, l’homme piégé qui ne peut plus aller nulle part et qui croit définir les hommes par ce qu’ils quittent et pas ce dont ils rêvent.
Enfant, j’ai détesté les folklores, les danses mortes, les trop vieilles chansons qui essayaient de remplacer l’air respirable, les vieux contes importés qui me tâtaient les poches pour me voler mes prénoms secrets et les affirmations absolues qui m’indiquaient sur le sable des traces de pas qui n’étaient pas les miennes. J’aimais le début du soleil, les prénoms modernes que je mâchais comme un bon chewing-gum, les nouveautés malgré leur fragilité et les histoires immédiates de mes parents car je pouvais les toucher de la main. Je détestais les manuels scolaires et lorsqu’on me forçait à répéter qui étaient mes ancêtres, je faisais semblant d’ouvrir la bouche, dans le choeur des chants scolaires, pour ne pas me compromettre avec la cendre nationale. Et donc ? Pourquoi revenir sur ce pot pourri de racines ? C’est pour le remplacer par mes nuages qui me fabriquent déjà des pluies. Ce que j’aimerais c’est de vivre si longtemps que je pourrais, vers la fin, donner naissance et renaissance à mes propres ancêtres et les tenir par la main comme s’il s’agissait de mes enfants qui m’attendaient depuis si longtemps pour me montrer leurs livres et leurs extraits de naissance. Je ne suis ni Oranais, ni kabyle, ni Tergui, ni de Sétif, ni Algérois, ni un Tlemcenois : cela te fait rire ? Moi j’en suis heureux : je suis Algérien. Je te laisse le choix de te revendiquer du plus proche cadavre qui te plaît, moi j’opte pour les récoltes. Mais cela me rend parfois triste de voir que le «politique» a réussi la dispersion : chacun s’adresse à lui dans la plainte et la révolte comme s’il en a été la seule victime. «Il» nous oblige tous à le regarder, lui, dans les yeux et pas à nous regarder l’un, l’autre et conclure que nous sommes nombreux, riches et forts et capables de remonter l’histoire sans manger son couscous ou d’aller vers l’avenir sans emprunter ses bus. C’est ce que j’ai envie de te dire depuis mon enfance : arrête de vieillir en t’interrogeant d’où tu viens et qui t’a enfanté. Tu es l’enfant de ta mère et de ton Père. Tout le reste est Temps et Géographie que tu peuples au lieu qu’ils te hantent».
2 février 2010
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