Une demande d’excuses, un projet de loi et des indemnisations Un vieux cheval nommé « pardon »
En panne de discours mobilisateur, le «politiquement correct» revient ce mois-ci avec le gros dossier pendant de la demande d’excuses à la France pour crime colonial. Dernière évolution, la «demande» s’organise par le biais de la chambre basse et avec l’effort d’un lobby semi-officiel d’associations parapolitiques.
La formule est vieille comme la politique : pour mieux gérer les incidences d’une telle demande, la mode algérienne en est aujourd’hui à la délégation de mission. Ce n’est plus le président de la République ou son Premier ministre hyperactif de l’époque (Abdelaziz Belkhadem) qui se sentent chargés de la mise au point néo-coloniale à la France, mais une galaxie de petites formations presque pas politiques, représentant la frange large de l’obédience, qui est investie de la mission d’organiser l’offensive. Le dossier mis en sursis depuis près d’une année à cause du calendrier électoral de la Présidence est réinvesti par le FLN d’abord, en manque de discours offensif et de «cause» nationale. Une sorte de bataille de compromis à la veille de son congrès encore en suspens, entre la volonté de réformer son identité après le crash «égyptien» de l’après match du Soudan, l’urgence de se repositionner sur la scène après son éviction du «gouvernement » et la nécessité de service pour se reconfectionner une idéologie porteuse. Belkhadem sera donc le premier à monter le cheval de la demande de «repentance » selon la formule honnie. Son lobby parlementaire à l’APN où le vieux parti détient la majorité suivra la réinvention. Il ne manquait donc plus à la mécanique qu’une association d’associations politiquement non marquées mais pouvant se prévaloir d’exprimer un courant fort dans l’Etat algérien, à l’adresse de la France. Et c’est chose faite depuis un mois. Le Comité national pour criminaliser le colonialisme, etc. Sur la trace de la dernière bataille d’Alger de Belkhadem, un premier communiqué a été rendu public cette semaine, le 24 janvier 2010, signé par un tout nouveau «Comité national pour la loi portant criminalisation du colonialisme», plaidant pour un projet de loi introduit et soutenu par 120 députés selon le signataire, le «secrétaire général de l’académie de la société civile». Il s’agit, selon beaucoup, d’une sorte de parti politique informel, à mi-chemin entre la formation partisane et le comité de soutien «reconduit» et dont les installations dans les chef-lieux de wilaya avaient connu leur mode à la veille de l’élection de Bouteflika pour le 3e mandat. Dans le texte de communiqué, la liste des associations de soutien est celle que l’on pouvait attendre et celle des moins attendues comme «l’instance algérienne pour le combat contre l’esprit colonial» ou «l’Association algérienne pour la médecine d’urgence et les catastrophes». On y lit l’adhésion de l’association du 8-Mai 1945, l’UNJA, l’Ugel, la fondation Cheikh Bouamama, l’UNEA, etc. Tous rédacteurs d’un projet de loi demandant la criminalisation du colonialisme et pour ses 132 ans de tueries et génocides. Les signataires affirment l’adhésion de 120 députés «à la date du 13 janvier 2010» et s’installent comme les porteparole de cette «grande aspiration populaire » en annonçant un programme de mobilisation nationale dont ils ne donnent pas le détail sauf avec «un programme de rassemblement populaire et de rencontres de proximité entrant dans le cadre d’une campagne de sensibilisation sur l’importance de la loi visant à criminaliser le fait colonial». A la clé, une demande d’excuses mais aussi d’indemnisation sur le mode italo-libyen. Le projet de loi n’a pas encore abouti et semble mis sous le coude par le président de l’APN et certains courants qui ont demandé sa «réécriture». Une façon de sursoir avec politesse. Le bureau de l’APN a en effet décidé de renvoyer ce projet pour réexamen et pour compléter le texte dans le fond et dans la forme selon des extraits d’un communiqué de l’APN. Le « pourquoi maintenant ? » et le «Est-ce faisable ?». Dans tout débat politique en Algérie comme en France sur cette question, la question du calendrier est la plus importante pour tous les observateurs. Depuis le «traité d’amitié» avorté et la «loi positivant» l’oeuvre coloniale, inventée en février 2005, le débat sur la repentance «là-bas» et la demande pardon «ici» s’est largement autonomisé pour des besoins politiques «locaux» comme chacun l’avait remarqué. En France, le débat sur la période coloniale est pollué par une remontée de la Droite, une crispation identitaire très fasciste et une volonté de s’inventer une réaction électoraliste sur fond de remobilisation des nostalgies. En Algérie, la demande de pardon à la France se retrouve décrédibilisée par ses propres avocats, sourdement accusés par l’opinion publique de récupération et de manipulation et de visées «propres» sans lien avec la mémoire collective. Du coup, ici comme là-bas, ce sont des minorités crispées qui ont réussi à occuper l’espace des discours et à radicaliser leurs positions, sans réussir à impliquer les majorités. Le débat sur la repentance ne s’est jamais socialisé, observent beaucoup d’analystes et est refusé par l’historien comme par le citoyen. On se souvient de ce calcul comptable pour quelques centaines de milliards d’euros demandées par l’une des ailes des enfants de chouhada menaçant d’un sit-in devant l’ambassade de la France, l’année dernière, avant d’annoncer que le communiqué était un… faux ! De part et d’autre des présidences des deux pays, l’usage est un jeu de yoyo oral sur cette question à chaque fois que le besoin s’en fait sentir : entre la dénonciation virulente de la loi de février 2005 sur «le rôle positif de la colonisation», réaménagée par Chirac dans un dernier geste de sauvetage des meubles de son époque, en France comme en Algérie, le discours sur cette «question» se fait selon les destinataires et les auditoires. «Il est aujourd’hui de notre devoir envers le peuple algérien et les chouhada (martyrs) de réclamer des excuses officielles de la part d’une nation dont la devise révolutionnaire a de tout temps été liberté, égalité, fraternité», affirmera Bouteflika dans un message écrit, que le ministre des Moudjahidine Mohamed Cherif Abbas a lu en son nom, un jour, à Mostaganem, là où la France officielle affirmera, qu’elle veut rester «neutre» et que le rôle des deux Etats devait se limiter à «faciliter» le travail des historiens. «Laissons aux historiens le soin d’écrire l’Histoire et laissons au temps celui d’apaiser les douleurs», déclarera à l’Assemblée nationale, la ministre française déléguée aux Affaires européennes, Catherine Colonna. Lors de sa visite en Algérie, Sarkozy tentera de présenter un compromis sur une période de colonisation qui a connu ses fastes et ses douleurs, avant de s’extasier devant le spectacle précolonial des ruines romaines à Tipasa, dans une sorte de compromis esthétique en clin d’oeil à une très ancienne «oeuvre positive» et une très ancienne colonisation. Pour le «est-ce faisable ?», les Algériens ont un moment suivi cette bataille de mémoires mal partagée, avant de s’en désintéresser. Si le crime colonial est avéré et si les crispations «nostalgistes» françaises sont évidentes, on a trop fait d’enfermer ce dossier entre une corporation d’anciens moujahids et quelques clubs pesant de pieds-noirs influents sur les fabriques idéologiques françaises. Le plus intéressant cependant restera le parallèle libyen. Le pays de Kadhafi fera découvrir aux Algériens la possibilité d’une demande de pardon, bien payée surtout, mais nous fera souvenir d’un détail «notarial» des accords d’Evian : l’impossibilité rétroactive. L’amnistie que nous avons connue pour la décennie noire avec la loi sur la réconciliation nationale semble avoir un ancêtre indésirable, selon les spécialistes : l’impossibilité de juger le crime colonial ou de demander des indemnisations sur cette période. Sans issue, ni financière, ni politique, pour le moment, ni «historique », le débat sur la mémoire, la colonisation, ses oeuvres ou ses crimes, est tombé hors du domaine public pour finir dans l’usage sélectif et calculé selon les besoins propres, en France comme en Algérie. K. Derraz
1 février 2010
Colonisation