Culture : VISA POUR LA HAINEDE NASSIRA BELLOULA
Diablement intense
Un récit concis et dense, un sujet bouleversant et incroyable, un roman sociologique qui pose avec acuité le danger et la destruction de l’endoctrinement.
Le dernier roman de Nassira Belloula Visa pour la Haine, paru aux éditions Alpha en 2008, mérite doublement qu’on s’y attache, pour l’histoire incroyable qui s’y raconte, l’écriture passionnante et forte et cette fin si inattendue du roman. D’emblée, dès l’incipit, le ton est donné, dynamique et rude : «Octobre 2004, New York, la rue s’allonge dans une blancheur effrayante, s’étirant dans le néant. Je ne sais plus où j’en suis. Je sens que la mort rôde, collée à moi comme du vomi. Cette violence que le vent fait naître comme une douleur compulse mes sens. Voilà des heures que je promène un regard obstiné, qui se dilate comme un œil progressif devant les feux des voitures qui éclaboussent mon espace… » Le roman, en un flashback captivant, nous fait traverser Bab El-Oued, Ouled Allal et Sidi Moussa, les maquis de Chréa pour se retrouver confrontés au terrorisme international, les caches en Afghanistan, en passant par les camps d’entraînement à Karachi (Pakistan) et les bombardements américains en Irak, mais aussi la Syrie, Le Caire et enfin New York où la vie du personnage principal, Noune, s’écroule. Durant ce périple international, Noune va partager le sort des femmes musulmanes, celui des opprimés, haïssant les puissances occidentales qui sévissent en Irak, apprenant le maniement des armes, trouvant l’amour dans les bras de son instructeur, pourtant, la vérité qu’elle découvre l’horrifie, luttant contre un chef islamiste, terriblement rusé et cultivé. Mais revenons au début de l’histoire, et c’est celle d’une adolescente au prénom original de Noune qui croque la vie à pleines dents dans ce quartier de Bab-El-Oued avec l’insouciance de ses quatorze ans. Elle s’accroche jalousement aux photos des chanteurs orientaux collées sur ses murs et s’écroule sous des soupirs en lisant des romans d’amour. La hantise de Noune, sa seule hantise, est de ne pouvoir poursuivre sa scolarité, d’être enfermée à la maison, d’être mariée de force. Ses ambitions sont à la limite de sa volonté. Or, ce qu’elle ne pouvait pas prédire, c’est la déferlante terroriste qui va s’abattre sur le quartier de Bab-El-Oued, envahissant chaque ruelle, chaque bâtiment, chaque maison, chaque famille, emportant le tout dans une violence inouïe. Peut-être que certains vont dire «encore un livre sur le terrorisme ». Cela n’a rien à voir ; Nassira Belloula s’est inspirée, certes largement, des années d’enfer que nous avions traversées, mais ce roman est d’une écriture simple, poétique, romanesque, et le personnage créé par elle est un personnage fort et attachant, un roman qui s’inscrit dans la lignée des grands textes romanesques et non pas dans un quelconque prétexte graphique. Une jeune femme pleine de ressources dont le parcours imaginaire et incroyable va nous plonger dans une extraordinaire histoire. Lorsque la violence pénètre dans la famille de la jeune fille par le biais de ses frères, tous fanatisés par l’extrémisme, et par ses deux sœurs, elle pensait y échapper encore. Puis, il y a le mariage de sa sœur Souha avec un «émir» féroce qui après la mort de Souha va entraîner la jeune Noune dans l’aventure islamiste. Celle-ci avait juré à sa sœur mourante qu’elle prendrait soin de son bébé, à qui elle n’a pas eu le temps de donner un nom et qui sera prénommé donc Hanouni, une promesse qui va être fatale à la jeune fille qui va se retrouver au maquis, puis en prison, bénéficiant d’une grâce (la loi de la rahma). Elle sera donc remise en liberté, avec le lourd fardeau d’un passé de terroriste, elle qui n’avait fait que se défendre et tenter de se préserver. Ce passé va faire d’elle une «héroïne» pour certains, ceux qui vont l’endoctriner davantage et faire d’elle cet agent inespéré, fidèle jusqu’au sacrifice final et total. Pour ceux qui ont perdu des enfants dans ce conflit, elle est «maudite». Cette marginalisation va hâter ses choix, elle qui a vécu la violence extrême dans sa chair : sa mère devenue folle, son père égorgé dans les escaliers à cause de son alcoolisme, les frères tous disparus, l’ami d’enfance, «son amoureux» devenu un «Ninja» (commando policier) s’éloigne aussi d’elle, finalement un cercle vicieux où se mêlent alors colère, rage et haine. Si dans ce roman les femmes sont les premières victimes de cette guerre, traitées inhumainement, des esclaves sexuelles, happées par la machine terroriste, elles sont parfois partie prenante dans ce conflit qu’elles n’arrivent pas à situer ni à comprendre, juste qu’elles s’accrochent aussi à l’illusion comme les sœurs de Noune, des vieilles filles, enfermées, sans instruction, sans projet d’avenir, pensent enfin être admises dans un projet de société égalitaire, parfois n’ayant pas conscience d’être utilisées par les frères islamistes pour arriver à leurs fins. Nassira Belloula nous fait vivre le terrorisme de l’intérieur, à travers les yeux de Noune, qui, confrontée au pire, va choisir le pire. Un roman sociologique qui pose avec acuité le danger et la destruction de l’endoctrinement, des êtres broyés par un intégrisme implacable qui profite de la misère humaine mais surtout l’échec d’une société entière confrontée à l’absence d’une réelle prise en charge sur tous les plans ; c’est l’échec d’un système qui est mis en exergue ici, tout comme le danger extrémiste. Nassira Belloula accomplit un extraordinaire pari, un travail éloquent sur la langue, un texte franc et audacieux où s’opère l’alchimie du verbe et du romanesque. Il y a certes de la révolte et de la colère, de la retenue et de la sobriété dans ce roman, il reste aussi l’un des meilleurs textes écrits ces dernières années.
Rachid Hamatou
Visa pour la haine
de Nassira Belloula
Editions Alpha
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/01/31/article.php?sid=95004&cid=16
31 janvier 2010
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