Bien des tabous ont été brisés depuis l’Indépendance
Facettes de l’évolution de nos mentalités
Par Imaad Zoheir
Réalité : Il faut bien se rendre, un jour, à l’évidence, la mentalité de l’Algérien a changé énormément depuis l’indépendance.
Il a arrondi bien des angles. Et cela pour une raison très simple : l’Algérie de 1960 n’est pas celle de 2000. A ce niveau, j’ai presque envie de paraphraser un vieil adage de la sagesse populaire et dire à mon tour : dites-moi dans quel pays vous êtes et je vous dirais qui vous êtes. Et qu’est-ce qui a changé dans ce pays depuis ces cinquante dernières années ? Qu’est-ce qui a fondamentalement fait bouger les lignes ? La question mérite d’être posée.
Tout, à vrai dire, le mode de vie, les relations sociales, les difficultés d’un modèle de production auquel personne n’est habitué, l’éclatement de la cellule familiale, la perte des repères, la confusion dans l’échelle des valeurs, le brouillage des hiérarchies, l’invasion des nuages venus d’ailleurs et qui s’invitent jusque dans nos salons et bien d’autres facteurs également. Et comme il n’y a qu’un Algérien qui puisse comprendre un autre Algérien, les citoyens de ce pays ont fini par avoir presque le même comportement à quelques nuances près, et surtout à s’accepter tels qu’ils sont et non tels qu’ils devraient être.
Les problèmes des uns sont connus des autres. Les appréhensions des uns sont parfaitement perçues des autres. Normal : tous sont embarqués dans le même navire, dans la même galère et voguent dans la même direction. Avec le temps, l’Algérien se rend compte que tout change autour de lui, y compris dans son propre environnement. L’épicier du coin par exemple ne fait plus de crédit, il ne conseille plus le choix de tel ou de tel article comme cela se faisait dans le temps, il fourgue sa marchandise sans chercher à comprendre ni à entrer dans les détails.
Même chose pour le boucher qui n’a plus ses petites attentions d’autrefois pour les chats de la maison puisqu’il y avait toujours dans le panier des morceaux de rate pour les matous. La pudeur a presque disparu, surtout chez les jeunes. C’est tout juste si le père et le fils ne jouent pas ensemble au poker.
Le père, dans beaucoup de milieux, a perdu de sa superbe et de son autorité. Il n’est plus le pourvoyeur en tout à la maison, le centre incontesté du foyer, ses enfants travaillent et parfois gagnent plus que lui.
La fille n’est plus cette enfant passive qui attend sagement à la maison qu’une famille honorable vienne frapper à sa porte pour la demander en mariage pour l’un de ses enfants.
Elle travaille, côtoie du monde dans la rue et dans son lieu d’astreinte et est capable de se choisir elle-même le prétendant de son cœur. Et du reste, le père ne commande plus grand-chose aujourd’hui, dépassé par un temps qui court très vite et délesté en plus des dernières libertés qu’il avait confisquées et que ses enfants lui ont «arrachées» une à une.
Bref, un monde se meurt et disparaît par petites touches. Il faut faire avec. Le monde nouveau est déjà arrivé.
I.Z.
29 janvier 2010 à 18 06 24 01241
L’Algérien a mûri
Changement n Un indice qui démontre que l’Algérien a terriblement progressé en matière de tolérance : il essaie même d’avoir la nationalité française pour des raisons purement matérielles.
L’Algérien, à l’évidence, a mis beaucoup d’eau dans son vin et dans un monde qui change, il a bien fallu qu’il s’adapte et qu’il suive lui aussi, sous peine de rester en rade. Désormais, il ne regarde plus la vie du seul côté de sa propre lorgnette, mais par le prisme déformant d’une réalité toujours inter-active qui fait que ce qui était illicite, hier, peut parfaitement être toléré aujourd’hui et que ce qui était licite, hier, peut parfaitement ne plus être toléré aujourd’hui. En langage plus clair, les vérités d’hier ne sont plus forcément celles d’aujourd’hui.
Il y a encore quelques années par exemple, il considérait qu’une mère qui avait des enfants ne pouvait vivre que sous le toit de son mari ou, à défaut, sous celui de ses parents si elle était divorcée. Il pensait, à juste titre, qu’une femme, quel que soit son statut social ne pouvait évoluer dans la société sans chaperon familial. Avec l’explosion de la cellule familiale, l’accès des femmes à l’université et aux fonctions les plus hautes de l’Etat et, bien sûr, avec le phénomène galopant du divorce, il admet facilement aujourd’hui l’existence de familles monoparentales. Une femme qui élève seule ses enfants ne l’étonne plus. Bien mieux, il éprouve de l’admiration pour la courageuse maman, même s’il ne le dit pas ouvertement. Pour les prémunir contre les aléas de la vie, certaines familles encouragent leurs filles à pousser au maximum leurs études. Un peu réticent au début de l’indépendance, face à tous ces bouleversements, l’Algérien a, depuis, mûri. Rien ne le choque plus aujourd’hui et son angle de tolérance s’est considérablement ouvert sur le monde et ses changements au point qu’il trouve tout à fait normal qu’une femme policier fasse la circulation en pleine agglomération aux côtés de ses collègues, il trouve normal qu’une femme élevée au grade de juge, sanctionne et condamne tout comme un homme, il trouve normal qu’une femme grimpe les échelons de l’administration jusqu’au poste de chef de daïra et de wali, il trouve normal qu’une femme occupe les fonctions de commissaire de sûreté, de chef de projet, de professeur à l’université, d’ambassadrice, de ministre, de diplomate, de députée, de sénateur, de conseillère, de chercheuse en sciences fondamentales. Il admet même qu’une femme travaille pendant que son mari, au chômage, surveille les enfants et garde le foyer quand il ne fait pas la lessive…
Ce n’est plus un tabou. Et il le tolère d’autant plus vite qu’il s’aperçoit autour de lui que le chômage fait des ravages. Un indice qui montre que l’Algérien a terriblement progressé dans la tolérance : son rapport avec la nationalité française.
Autant il ne voulait rien entendre à propos de ce document pendant les années de l’indépendance, autant il comprend aujourd’hui que des gens le réclament pour bénéficier d’un tas d’avantages dont celui, surtout, de se passer de visa et de pouvoir circuler en toute liberté à travers l’espace Schengen, sans compter d’autres avantages liés aux retraites, aux pensions et aux soins. Un document, ce n’est, après tout, que du papier, du simple papier…
I. Z.
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29 janvier 2010 à 18 06 25 01251
L’honneur, c’est sacré
Attachement n En dépit de l’évolution de sa mentalité, l’Algérien n’arrive toujours pas à briser certains tabous.
Contrairement à ce qu’on a toujours voulu nous faire croire, l’Algérien n’est ni obtus ni coincé, il sait évoluer et il l’a prouvé. Il n’est pas plus bête qu’un autre. Il admet, par exemple, que l’on puisse avoir une double nationalité, il tolère même les mariages mixtes quoiqu’il les déconseille, il admet que des familles monoparentales aient elles aussi le droit de vivre, il admet que l’on puisse fêter le nouvel an à coups de dragées et de chocolat, même s’il le murmure du bout des lèvres, il admet que l’on puisse célébrer Halloween même s’il trouve que cette fête a un côté barbare qui ne dit pas son nom.
Bref, l’Algérien est capable de tolérer beaucoup de choses et de surmonter bien des tabous, mais il reste intraitable en ce concerne certaines valeurs. Pas touche à celles-là, il se braque et sort bec et ongles pour les défendre.
Ainsi en est-il de la virginité. Pas question de transiger avec la pureté de nos filles. La virginité reste le symbole de l’honneur d’une famille, parfois même de la tribu entière.
On ne badine pas avec ce genre de coutumes, ni en ville, ni à la campagne, ni dans les milieux pauvres, ni dans les milieux aisés, ni même à l’étranger quand on y est installé. C’est sacré !
Pour notre société, la virginité n’est pas l’affaire d’un couple, elle le dépasse, elle est l’affaire d’un groupe, elle est le miroir d’une éducation saine expurgée des scories modernes, qu’on nomme night club, boîte de nuit, sortie en groupe, liberté sexuelle ou liberté tout court… Et, d’ailleurs, combien de sang n’a-t-il pas coulé au nom de l’honneur d’un individu ou de la réputation d’une famille ? Le crime d’honneur est sans doute le seul que l’algérien pardonne, comprend et soutient parce qu’il lave une souillure qui ne disparaît que par le sang. Du reste, les réseaux familiaux ont souvent aidé, hébergé et même fait fuir à l’étranger des parents incriminés dans ce genre de vendetta. «Echaraf» n’a pas de prix. Indépendamment de ces deux valeurs auxquelles il tient comme à la prunelle de ses yeux, l’Algérien, en revanche, a une sainte horreur de l’homosexualité et, partant, des homosexuels.
Contrairement aux pays dits civilisés, démocratiques et avancés où les homos ont un statut social, sont reconnus, appréciés et même applaudis quand ils défilent sur les Champs-Elysées, les homos chez nous sont infréquentables et évités comme des pestiférés. Qu’importe ce qu’on dira ailleurs. Personne ne les prend au sérieux et sont la risée de tout le monde, de l’immeuble jusqu’à la houma tout entière. De par sa culture et ses racines, l’Algérien refuse de tolérer des créatures contre nature, qui ne sont ni femmes ni hommes et qui prétendent être le 3e sexe. D’ailleurs, quand il en aperçoit un, il détourne pudiquement la tête ou crache par terre dans un rageur «tfou» ou un impuissant (sans jeu de mots) «ya latif».
Un homo dans une famille, c’est un drame aujourd’hui. C’est la honte de tous les membres, l’humiliation permanente. Cela peut aller très loin, au suicide du père comme il y a 8 ans dans la banlieue d’une grande ville du pays. Enfin, dernier tabou que l’Algérien refuse de lever et encore moins d’admettre chez le musulman : abjurer sa religion et la renier pour une autre. Dans son esprit, c’est la pire des traîtrises et même la pire des lâchetés.
I. Z.
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29 janvier 2010 à 18 06 27 01271
La citoyenneté en marche
Archaïsme n Il y a quelques années, les clivages entre tribus «Chorfa» (1) et «Zertif» (2) étaient tels que dans le sud oranais, par exemple, il était impensable, voire invraisemblable que les deux communautés s’allient l’une à l’autre.
Les mariages entre eux étaient illicites et quasiment interdits. Et cela a duré pendant très longtemps. Les Ouled Sidi Khaled, pour illustration, ne pouvaient en aucun cas prendre pour épouse une femme des Ouled Sidi Benyagoub et vice versa comme si les uns étaient issus d’une caste supérieure et les autres d’une caste d’intouchables. Ce type d’union était considéré comme une très grave mésalliance et un coup porté à l’honneur de la tribu. Aujourd’hui, les choses ont évolué et ces tabous, même s’ils persistent dans quelques poches, ont presque totalement disparu du paysage.
Dans ces régions rongées par les superstitions les plus insolites, il était même recommandé, quelle que soit la tribu de naissance, d’éviter de s’unir avec des familles qui travaillaient le fer chauffé et, par extension, les forgerons. Pourquoi cette corporation et pas une autre ? Nul ne le sait et du reste nous n’avons jamais eu de réponse claire. Avec le temps, les choses, bien sûr, ont changé. L’école, puis le lycée et enfin l’université ont fini par former tous les réflexes en donnant la priorité aux compétences et non aux naissances. D’énormes tabous sont tombés sur les hautes plaines depuis au moins ces trente dernières années. D’autant que les «djemaâ» qui avaient un avis sur tout et le «kbir el-Djemaâ» ont disparu eux aussi.
Les tribus se sont mêlées, entremêlées et se sont fondues dans le même creuset de la citoyenneté. Aux yeux des nouvelles générations, il n’y a ni «chérif» ni «zertif», tous les citoyens sont égaux en droits et en devoirs, et la seule différence entre un individu et un autre est la somme de ses qualités intrinsèques.
Aujourd’hui, dans ces mêmes régions et grâce à une nette ouverture sur le monde due en grande partie à la télévision et au brassage tous azimuts des populations, tous les mariages sont bénis et autorisés entre «arouchs», entre tribus et entre douars différents, entre pauvres et riches, entre citoyens du Nord et du Sud et même entre gens de couleur différente, de race différente, de confession différente et de nationalité différente.
L’Algérien a compris avec le temps et souvent à ses dépens que ce qui pouvait assurer le bonheur de son fils ou de sa fille ce n’était pas tant l’origine «chérif» ou «zertif» de son conjoint mais bien plus l’attachement qu’éprouvait l’un pour l’autre dussent-ils venir du Triangle des Bermudes.
Alors qu’il était caché aux parents, souvent traqué par eux, le mariage d’amour est aujourd’hui largement accepté dans les familles. Le prétendant n’a plus la tribu pour chaperon et le douar pour témoin mais ses seules qualités lui ouvrent désormais toutes les portes et, bien sûr, tous les cœurs.
I. Z.
(1) «chérif» : d’une naissance noble supérieure
(2) «zertif» : d’origine quelconque et d’extraction très modeste.
Rahma n Il faut croire que la tolérance des Algériens est sans limites. Avec le temps, ils ont appris à pardonner et à faire preuve d’une incroyable mansuétude. Malgré les torrents de sang qui ont coulé dans leur pays, les milliers de morts innocents gratuitement fauchés par un terrorisme aveugle et sourd, les dizaines de blessés et d’orphelins abandonnés sur le bas-côté de la vie, la majeure partie des Algériens, si elle n’a pas oublié, a pardonné à la secte des assassins. Y a-t-il meilleure preuve de tolérance que cette rahma-là ?
I. Z.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup