Au coin de la cheminée
Pourquoi Grenouille et Serpent ne jouent jamais ensemble (3e partie)
Résumé de la 2e partie : Grenouillot raconte à sa mère sa journée avec Serpenteau qui lui a appris à ramper, mais cela ne plaît pas trop à la maman Grenouille…
M’as-tu déjà vue me tortiller comme ça ? J’aimerais savoir qui est cet ami qui t’apprend des horreurs pareilles.
— Il s’appelle Fils de Serpent.
— Quoi ? Serpent ? Fils de Serpent ?
— Oui, Fils de Serpent. Pourquoi ?
Maman Grenouille en était verte. Elle tremblait comme une feuille, alors elle s’est assise. Et elle a coassé d’une voix chevrotante :
— Ecoute, Grenouillot, écoute bien ce que je vais te dire. Ton copain Fils de Serpent ne vient pas d’une bonne famille. Les Serpents sont des méchants. A éviter absolument. Tu m’entends, au moins, Grenouillot ?
— Des méchants ? Les Serpents ? Fils de Serpent est gentil, tu sais.
— Ne t’y fie pas, ce sont des sournois. Des perfides, tous autant qu’ils sont. Double langue et entourloupettes. Du venin plein la bouche, des anneaux prêts à t’étouffer…
— Du venin ? M’étouffer ?
— Parfaitement, aussi – tu m’entends ? – si jamais tu revois ce Serpent, fais-moi le plaisir de déguerpir, tu n’as rien à faire avec lui. Et que je ne te revoie pas te contorsionner comme ça. Ramper, c’est bon pour ces sans-pattes. Très peu pour nous, merci.
Tout en mettant le couvert, elle marmottait encore :
«Jouer avec un Serpent, je vous demande un peu !»
Elle a posé devant son petit une bonne bolée de bouillie.
— Allons, mange, et n’oublie pas : je n’engraisse pas mon Grenouillot pour faire le régal d’un serpent, crois-moi !
De son côté, Serpenteau était rentré à la maison.
— Maman, j’ai faim, faim, très très faim !
— Hé ! mais d’où sors-tu ? Regarde dans quel état tu es ! La langue pendante et le souffle court, qu’as-tu donc fait, toute la journée ?
— Moi ? J’ai joué, Maman. Seulement joué. Dans la brousse. Avec mon nouveau copain. A tout un tas de jeux nouveaux. Regarde ce qu’il m’a appris. Serpenteau est grimpé sur la table et hop ! il a tenté le saut périlleux. Bien sûr il a manqué son coup, il a renversé le tabouret et s’est entortillé dedans.
— Allons bon, voilà autre chose ! s’est écriée Maman Serpent. Quel jeu stupide et dangereux ! A se briser le cou en moins de deux. Qui donc est ce nouvel ami qui t’enseigne pareilles sottises ?
— Fils de Grenouille, je crois qu’il s’appelle. C’est lui qui m’a montré ça. Tu devrais essayer. C’est à mourir de rire.
— Grenouille ? Tu as bien dit Fils de Grenouille ?
— Oui. Et c’est mon meilleur ami.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? Tu joues pendant des heures avec un grenouillot et tu rentres à la maison l’estomac dans les talons ?
— Oh, mais lui aussi avait faim, Maman. On s’est tellement bien amusés ! Je lui ai même appris à ramper.
— Miséricorde, mon pauvre enfant ! Viens donc un peu par ici, et écoute bien ce que je vais te dire. Alors Serpenteau, docile, s’est enroulé sur son tabouret en ouvrant toutes grandes les ouïes.
— Ne sais-tu donc pas, mon garçon, que nous autres Serpents sommes grands amateurs de grenouilles ?
— Amateurs, comment ça ? Qu’est-ce que ça veut dire, amateur ?
— Amateur signifie qu’on aime bien quelque chose, a expliqué Maman Serpent.
— Mais justement j’aime bien Grenouillot ! s’est écrié Serpenteau.
— Non, non, tu n’as pas compris. Nous les aimons à croquer. Nous les aimons au dîner. Sur la table, pas en invités. Une vieille tradition de famille – contrairement à ces bonds idiots, que je t’ordonne d’abandonner. (à suivre…)
Contes d’Afrique noire Ashley Bryan
29 janvier 2010
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