Histoires vraies
Le voyage de Carlos (2e partie)
Résumé de la 1re partie : Carlos Restelli, vivant près de la capitale chilienne, handicapé moteur, espère que le médecin de New York va le guérir. Il entreprend donc de s’y rendre en voiture avec son fils de 17 ans qui conduit sans permis…
Le mieux, c’est qu’il n’a pas tout à fait tort. Qu’est-ce que la Madone, sinon le cœur des braves gens ? Et, tout au long du parcours, la générosité à son égard ne se dément pas. Son entreprise touche, émeut. On les nourrit, son fils et lui, on les aide, on pousse la vieille Ford crachant et toussant pour lui faire passer les côtes. Mais l’argent s’épuise et il faut toujours plus pour payer l’essence. Carlos Restelli a inscrit à la peinture sur la voiture le but de son voyage et, chaque fois qu’un donateur se présente, il ajoute son nom sur la carrosserie.
Le problème le plus grave n’est pourtant ni le manque d’argent ni les difficultés liées à son infirmité ou à l’absence de permis de conduire du fils, ce sont les visas. Il y a sept pays à traverser qui se montrent très méfiants vis-à-vis des étrangers. En cette année 1962, la situation n’est pas spécialement calme en Amérique du Sud. La révolution cubaine vient d’éclater, il y a des débuts de guérillas un peu partout.
Il faut croire que Carlos Restelli sait se montrer convaincant, car il obtient toutes les autorisations et parvient ainsi jusqu’aux Etats-Unis. Mais là, c’est «non», un non ferme et sans appel. Toutes les ressources de son éloquence se heurtent à la rigueur de l’Administration :
— Pas question d’accorder un visa à un gosse et à un infirme sans ressource. Je regrette.
Carlos, bien entendu, ne s’avoue pas vaincu. Il écrit au professeur Rusk lui-même pour lui expliquer son histoire : «S’il vous plaît, docteur, aidez-moi ! J’ai lu dans une revue chilienne l’aide que votre institut accorde aux paralysés. J’ai parcouru plus de douze mille kilomètres pour me faire soigner par vous. Les Américains me refusent un visa. Au nom de la Madone, aidez-moi !»
Et cela marche ! Le docteur Rusk, l’important médecin à la clientèle richissime, est touché par le cas de ce malheureux. En homme consciencieux, il prend des renseignements médicaux. Il demande à un de ses confrères exerçant sur place d’examiner Restelli. Ce dernier confirme que l’homme est bien atteint des handicaps mentionnés, mais il conclut par un rapport très pessimiste. A son avis, il n’y a aucune possibilité d’amélioration.
Qu’à cela ne tienne ! Pour Rusk, c’est devenu un défi et il le relèvera. Il télégraphie aux autorités qu’il soignera le malade à ses frais et le visa est accordé. Carlos Restelli croit avoir triomphé. Erreur : c’est maintenant que le pire se produit. La guimbarde recouverte d’inscriptions avance poussivement sur les routes du Texas lorsque deux motards l’obligent à s’arrêter.
— Dites, vous comptez aller loin comme cela ?
— Jusqu’à New York.
— Eh bien, en attendant, vous allez nous suivre jusqu’au premier centre de contrôle !
Et là, ce qui devait arriver arrive. Le véhicule est jugé hors d’état de rouler : il ne présente aucune des normes de sécurité, tant pour les freins que l’éclairage et les pneus. Cette fois, il n’y a rien à faire et toutes les interventions du docteur Rusk n’y pourront rien la vaillante voiture qui avait traversé deux fois l’Amérique est enfermée dans un garage texan, en attendant d’être envoyée à la casse.
Tout n’est pourtant pas perdu. Les Etats-Unis sont le pays des médias et l’affaire a commencé à faire grand bruit. Une campagne est organisée, tant dans les journaux qu’à la télévision, des dons sont réunis et, bientôt, il y a assez d’argent pour payer deux billets d’avion pour New York. C’est ainsi que Carlos Restelli et son fils font à l’aéroport une arrivée de vedettes. (à suivre…)
D’après Pierre Bellemare
29 janvier 2010
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