Au coin de la cheminée
Monsieur Grenouille et ses deux épouses (1 re partie)
Que je vous raconte l’histoire de Kumboto, Kumboto M. Grenouille. Kumboto qui a cru malin de prendre deux épouses. Au début, tout s’est bien passé.
— Couha-couho ! chantait-il pour l’une.
— Couho-couha ! chantait-il pour l’autre.
Et vouiff ! Il bondissait en l’air comme un ressort. Et vloum ! Il retombait au sol, les pattes en torsade. Ouahhh ! Quel bonheur d’avoir deux femmes !
Oh, il avait bien fait les choses. Pour commencer, il avait pris soin d’offrir à chacune son chez-soi. Son domaine était grand. Il leur avait laissé le choix.
Sa première femme s’était décidée pour le petit bois de figuiers, au soleil levant. Soit. En un rien de temps, bim ! elle avait sa case.
Sa seconde femme s’était décidée pour le petit bois de palmiers, au soleil couchant. Soit. En un rien de temps, bam ! elle avait sa case.
Et lui, son endroit préféré, était entre les deux, au milieu. Il y avait là un buisson couvert de baies juteuses, et Kumboto aimait bien en grignoter une ou deux de temps en temps. Par là-dessus un grand kolatier offrait son ombrage et ses noix. Pour ne rien dire du marigot, bien caché sous les roseaux et parfait pour les bains du soir. Et bom ! En un rien de temps, Kumboto avait sa case.
Jusqu’ici, pas de problème. Tous les jours, sa première femme lui mitonnait son premier repas, sa seconde femme le second. Au lever du soleil, Dame Grenouille du levant préparait la bouillie, une bonne bouillie épaisse pour le déjeuner de son mari. En fin d’après-midi, Dame Grenouille du couchant mettait la soupe à cuire, une bonne soupe épaisse pour le dîner de son mari. Comme arrangement, c’était l’idéal. M. Grenouille s’en gonflait d’aise, fier et ravi de son trait de génie.
Pendant des mois, jour après jour, le soleil a brillé dans un ciel sans nuages. Pendant des mois, jour après jour, M. Grenouille a fait bombance à ses deux tables tour à tour : le matin, chez sa femme du levant ; le soir, chez sa femme du couchant. Rien à redire. Tout allait bien.
Là-dessus est arrivée la pluie.
Oh, ce n’est pas que la pluie ait ennuyé Kumboto, au contraire ! Il l’adore, la pluie, Kumboto ! La saison des pluies, c’est sa saison à lui. A la première averse, il s’est mis à sauter de joie ici et là. Pendant douze jours, il n’a pas tenu en place. La vie était plus belle que belle : deux épouses, et la pluie en plus !
Mais au douzième jour de pluie, ses femmes ont commencé à ne plus trop s’y retrouver. Matin, midi ou soir, c’est tout un sous la pluie. Pas de soleil pour se repérer, allez donc savoir l’heure qu’il est ! Et le treizième jour, un jour tout gris, elles ont perdu la tête pour de bon. C’est vers le milieu de la journée qu’elles se sont mises à leurs marmites – et toutes les deux bien en même temps.
Chacune de son côté, au levant comme au couchant, soufflait sur son feu de bois et touillait son chaudron. M. Grenouille, un peu égaré, humait à droite, humait à gauche, vautré sur sa natte de roseaux. Hum, le délicieux fumet qui venait du levant ! Doux, fruité, délicat, quel bouquet ! Hum, le délicieux fumet qui venait du couchant ! Epicé, piquant, relevé, de quoi vous mettre l’eau à la bouche ! Haaah (à suivre…)
Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès
28 janvier 2010
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