LittératureCamus, un talent écartelé
“Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer… Nos concitoyens continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l’avenir, les déplacements et les discussions ?
Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu’il y aura des fléaux”, écrit Albert Camus dans “La Peste”, un roman métaphorique consacré entièrement à la population européenne, comme si Ras El Aïn, Planteurs et autres quartiers musulmans de la ville ne font pas partie de la ville d’Oran. Le “Philosophe de l’absurde”, le Moraliste marque par la délicatesse de l’esprit, son passage décisif à Oran, une ville qui allait lui inspirer méfiance, “déplaisance” et “frustration” mais aussi décantation et célébrité, puisque c’est au 67 rue d’Arzew, actuellement rue Ben M’hidi, qu’il boucle son premier cycle destiné un thème de l’absurde dont Caligula, Le Mythe de Sisyphe et L’étranger.
Camus, né en Algérie en 1913, publie son premier ouvrage à caractère littéraire en 1937. L’ouvrage intitulé “L’envers et l’endroit” est un recueil d’essais à dominante autobiographique. Noces paru en 1939 est son œuvre des poétiques. L’auteur chante sur le mode lyrique, la beauté et le charme de la terre algérienne, “ce plus beau pays du monde”, disait-il. Le “soupir adorant et âcre de la terre d’été d’Algérie”, le “sourire éclatant de ses ciels”, allaient être immortalisés dans une merveilleuse sympathie qui célèbre les noces de l’homme avec la nature. Camus travaille comme secrétaire de rédaction à “Paris soir” un canard syonnais battant des ailes à la Deuxième Guerre mondiale. Il trouve alors son salut dans la paisible ville d’Oran en épousant Francine, originaire de la même ville qui sera le lieu métaphorique de La Peste. Le calme d’Oran et le caractère indélébile de ses habitants ont remué chez l’auteur de L’étranger un sentiment d’absurdité et d’ennui que même une épidémie ne saurait altérer. Chose qui le mènera, par ailleurs, à ne pas tenir compte de la proposition faite par son ami journaliste et écrivain oranais Claude de Fremenville de travailler à Oran Républicain qui a servi de modèle à Alger Républicain paru le 6 octobre 1938, grâce à l’aide technique du premier. Albert Camus écrira son fameux reportage “Misère de Kabylie” faisant montre du dénuement de cette région d’Algérie. Perturbé de toutes parts, Camus avait du mal à se situer entre Alger, une ville qu’il adorait infiniment, et Oran, une ville “laide, sans végétation et qui tourne le dos à la baie”. Pour écrire La Peste, l’écrivain-philosophe a dû lire plusieurs ouvrages parlant de l’époque. Une démarche qu’on retrouve chez Soltjenitsine, écrivain de “Le cercle des cancéreux” pour montrer tout le drame vécu par le peuple russe sous un régime marqué par le culte de la personnalité. Camus prétexte-t-il une autre grave maladie pour parler de son mal interne ? Dans ses lettres, il parle de son avenir incertain, de sa maladie et de son ennui. Ils reprendra l’image minérale du Minotaure : “C’est un labyrinthe sauvage et brûlant. Au détour de chaque rue, les Oranais trouvent leur minotaure : c’est l’ennui. Mais on a quelque fois besoin de civilisation. Et ce désert n’a pas d’oasis”. Un désert qui sera pourtant fertile pour le prix Nobel, puisque pendant cette courte période, il réalisera ses plus belles œuvres. Son amour pour la philosophie et son talent électrique lui vaudront d’être un grand écrivain de la littérature universelle.
N. Maouche
26 janvier 2010
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