Le vrai pétrole est un nez
par Kamel Daoud
Maintenant, on le sait : il n’existe qu’une seule théorie de développement pour sauver ce pays. Elle n’est pas le pétrole. Ni le socialisme. Ni la Relance par le Tlemcenois, ni les 100 locaux par commune. Ce qu’il faut aux Algériens, c’est un adversaire. Un colon. Une insulte qui touche à leur honneur. Un pari fou. Et une montagne haute à escalader à pied et avec un seul pied, l’autre étant blessé et dans le plâtre. Pour paraphraser Larbi Ben M’hidi, donnez à ce peuple un colonisateur, il vous fabriquera une révolution et une admirable guerre de libération.
Donnez-lui de la semoule gratuite et des logements sociaux, il deviendra un peuple assis sur lui-même. On l’a vu au Soudan, au Caire et à Cabinda avec l’équipe nationale de football. C’est un pays qui ne joue que lorsqu’il est sous-tension et qu’il arrive à croire qu’il a tout perdu. Il suffit donc de dire à un Algérien qu’il possède un pays pour qu’il le perde sans s’en soucier, ou de lui dire qu’il n’a plus de terre pour le voir prendre les armes, les montagnes et les lendemains qui lui ont été ravis. Autre exemple : donnez à un Algérien un demi-verre d’eau à partager entre dix, en plein désert de Gobi, et dites lui que les Egyptiens lui ont volé l’autre moitié et qu’ils s’apprêtent à creuser un puits dans sa commune, sous les pieds de son épouse, pendant que lui crèvera de soif. Que fera-t-il alors ? Il parcourra dix mille kilomètres à pieds, sans boire ni s’évaporer, marquera quatre buts contre le Brésil même si le Brésil ne lui a rien fait, arrivera dans sa commune et téléchargera des milliers de sympathisants au Soudan pour arracher son verre d’eau et l’offrir à Omar El Bachir rien que pour le fun et nif. Que se passe-t-il donc après la victoire contre la Côte d’Ivoire avant-hier ? Une libération du Rêve : nous ne voulons pas la coupe du monde, nous voulons le monde.
Nous l’avons pas eu avec les mains, nous rêvons de l’avoir à nos pieds avec nos pieds. C’est ainsi qu’elle se décline la nouvelle théorie de développement : il faut un colon, un peuple qui veut naître, deux ou trois montagnes et un bon leader genre Saadane. Nous ne sommes bons que dans la décolonisation, le défi, la dernière minute, l’impossible et l’improbable. La liberté nous ramollit. Le pétrole nous rend cupides et veules. Le foot nous emmène sur la lune. La fête de l’indépendance est devenue une fête du samedi soir, à refaire chaque semaine ou chaque fin de mois.
26 janvier 2010
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