par Kamel Daoud
Ecrire sur les lendemains des matchs algériens est difficile. Soit le pays a gagné un peuple et là on ne pouvait pas le savoir la veille, soit il a perdu sa lune et on ne pouvait pas le deviner.
Que peut-on dire à la veille d’un match de foot lorsqu’il est vécu par un peuple entier comme un unique tir au but face à la tristesse nationale ? Qu’il ne s’agit plus de foot mais de rite. En langue algérienne, le ludique du foot c’est tout ce qui nous reste. Après quoi ? Après le départ presque définitif de la joie et du bon vieux temps qui est parti pendant que c’est nous qui vieillissons. Il y a d’ailleurs quelque chose d’émouvant et de pathétique dans une phrase qui revient tout le temps dans les chansons fast-food pour les «verts» ! «…et on reviendra vers les jours d’autrefois». A quelle date ? Les «jours d’autrefois» n’ont pas de date comme le savent les anthropologues. C’est un temps suspendu ou case le paradis, la nostalgie, le ventre de la mère et la mémoire sélective.
«Autrefois», les Algériens étaient heureux et même ceux qui n’étaient même pas nés, ils gagnaient des matchs et des guerres, étaient plus grands que nature et adhéraient à leur terre autrement que par la gravité et l’impossibilité financière de partir. D’où ces chants d’aujourd’hui et cette mutation du foot, passé du statut de sport à celui de tragédie grecque avec des peuples en choeur et des entraîneurs en héros à sacrifier. C’est quoi l’ambiance d’aujourd’hui à la lecture de ces lignes ? C’est hier qu’il aurait été miraculeux de le deviner. Mais si on le savait dès hier, le match n’aurait plus été un destin mais une élection anticipée: on en aurait deviné les scores avant la conférence de presse de Zerhouni et la première plainte écrite du FFS ou du FNA. Ce n’est pas le cas. Comme dit précédemment, le foot nous réintroduit, depuis qu’on n’a plus rien à mâcher comme splendeurs, dans l’angoisse du pari, l’impossibilité de la prédiction et la peur de la perte du nez et du sens de soi par les autres.
Que veulent donc les Algériens ? Si c’est possible remonter vers 1982 et gagner contre un grand pays mais sans passer par Chadli. «Et encore ?», dit le Djinn. Remonter avant 1979 mais sans aboutir à Boumediene et au FLN et à Messaadia et la révolution agraire. «Et encore ?», dit le Djinn penché sur sa machine à écrire les voeux. Gagner tellement de matchs qu’on finira tous par remonter vers l’indépendance, la refaire en mieux et avoir un pays qui gagne avec un peuple qui partage et un Etat qui marche sur la lune en lançant des baisers par la vitre de la 1re navette spatiale algérienne. Mais est-ce possible de refaire un pays rien qu’avec une équipe de foot ? Bien sûr si c’est tout ce que l’on possède. Il ne nous reste que le foot pour imaginer le reste des joies possibles et rien qu’une équipe à moitié importée pour escalader l’arbre gigantesque de l’ennui qui bouche les fenêtres de l’âme. Vous l’avez compris. Le foot c’est ce qui fait qu’on n’est plus dans le foot mais dans la sélection génétique, à cause de l’immense joie possible aujourd’hui ou de l’immense écrasement éventuel.
25 janvier 2010
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