Livre / «Aït Menguellet chante…»
Le poète de la mémoire
Par Yacine Idjer
Publication n Deux ouvrages de Tassadit Yacine sont parus aux éditions Alpha.
Le premier, Aït Menguellet chante…, est une anthologie consacrée à l’une des célèbres voix kabyles, celle de Lounis Aït Menguellet – celui-ci, ayant derrière lui une longue et riche carrière musicale, est auteur, compositeur et interprète. Son signe distinctif : il s’accompagne toujours, sur scène, de la guitare.
L’ouvrage présente Lounis Aït Menguellet comme étant un chanteur qui a, d’abord, commencé par chanter l’amour, avant de dénoncer toutes les entraves à la liberté, notamment l’oppression de la langue et de la culture amazighes, voire berbères. Lounis Aït Menguellet devient alors un chanteur engagé. Il se révèle, a priori, porte-voix de cette langue et cette littérature toujours vivantes et expressives.
L’ouvrage présente Aït Menguellet le poète, le génie du verbe : «Il est poète, barde, penseur…», écrit l’auteur, ajoutant : «La poésie de Lounis Aït Menguellet porte en elle la fusion de la vie et de la mort, du jour et de la nuit, du passé et de l’avenir.»
En somme, Lounis chante la vie comme il chante la mort. «Elles sont toutes les deux mêlées l’une à l’autre, imbriquées l’une dans l’autre, parce que précisément Lounis a vu, vécu « la chose » de près», puisqu’il est un enfant de la guerre. L’auteur écrit : «Lounis Aït Menguellet est né (en 1950) à une époque déterminante, quand le siècle ‘’se brise en son milieu’’ – , il avait 4 ans lorsque la guerre de libération a éclaté, et il avait 12 ans à l’indépendance. Lounis Aït Menguellet a vécu, ressenti des événements dramatiques qui l’ont forgé, mûri.» C’est dans une Algérie indépendante que Lounis, écrit l’auteur, grandit, se forme, se cherche, chante et espère ou enrage. C’est dire qu’il était un enfant, puis un homme de guerre.» Lounis Aït Menguellet est à l’écoute de la société, c’est-à-dire de ses auditeurs – Lounis est la voix kabyle la plus populaire, car il sait parler à ses auditeurs. Il leur parle de leur propre vie. Il leur dit leurs rêves, leurs déceptions, leurs amours. En chantant en effet, Lounis interprète «les réalités enfouies dans les dédales psychologiques de ses auditeurs», et, du coup, «il est le mieux placé pour traduire la réalité et le fantasme des Berbères de Kabylie, car en lui se fondent non seulement deux identités (l’une traditionnelle, l’autre actuelle, moderne), mais aussi deux générations : l’une qui se meurt, l’autre en plein essor. Il est au confluent de plusieurs cultures – [maternelle et celle acquise à l’école, en ville]. «Cette identité doublement articulée, doublement composée a nourri, fécondé sa verve, faisant de ses vers une poésie imagée et emblématique. Sa poésie est, en outre, un chant. Cela revient à dire que Lounis Aït Menguellet se présente comme un chanteur des profondeurs de l’âme, des célébrations de la joie, des libertés, de l’amour… Poète, il est aussi mémoire. Mémoire, parce qu’il véhicule dans ses chansons, qui sont des poèmes, son histoire, celle de la société et culture berbères.
l Les voleurs de feu est le deuxième ouvrage de Tassadit Yacine*, paru aux éditions Alpha. C’est un recueil de textes anthropologiques qui racontent les éléments sociaux et culturels qui caractérisent la société algérienne, en particulier la société berbère. Ces textes résultent d’un travail d’investigation mené en Algérie entre 1978 et 1991. Ici, dans ce champ de recherche et de réflexion, l’auteur s’emploie à illustrer les transformations sociales, culturelles et politiques des groupes au cours de la colonisation et depuis l’indépendance. Tassadit Yacine mobilise, pour ses besoins de travail, deux ressources complémentaires : des enquêtes anthropologiques menées sur le terrain au cours des années quatre-vingt, et des documents écrits, à savoir archives publiques et privées, ou des documents oraux, tels les récits de fondation, contes et légendes. Ces matériaux, qui révèlent en tous points la réalité de l’évolution historique de l’Algérie depuis le XIXe siècle, permettent à l’auteur de proposer la société en évolution et mutation continuelles.
* Tassadit Yacine est directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, chercheur au laboratoire d’anthropologie sociale du Cnrs, de l’Ecole des hautes études en sciences et du Collège de France. Elle est également directrice de la revue Awal, Cahiers d’études berbères fondée avec Mouloud Mammeri ainsi que la collection Méditerranée Sud à la Maison des sciences de l’Homme de Paris et une des spécialistes de l’anthropologie culturelle consacrée au monde berbère.
Y. I.
23 janvier 2010
Non classé