La 4ème famille des exilés algériens
par Kamel Daoud
Continuons: 1° – nous en sommes aujourd’hui à la deuxième génération «Khalifa». C’est-à-dire une seconde vague de gens qui ont mangé, qui se sont fait manger, qui ont pris leur argent, vendu leurs biens, effacé leurs traces et qui sont partis s’établir à l’étranger, pour attendre. De gens injustement inculpés, justement inculpés,
victimes ou lampions, coupables ou simplement piétons ou pas plus coupables que les autres et que Belaïz, le ministre de la Justice, va mettre quatre ou dix ans à demander à leurs pays de refuge de les renvoyer vers leur pays d’origine. Nous avons donc aujourd’hui une communauté à Londres, avec Khalifa, des Keramane en Italie ou en France, des Kharroubi à Paris, des enfants de Sonatrach en Suisse, etc. A préciser que ces gens-là ne sont ni coupables ni non coupables, selon le système algérien mais qu’ils sont seulement recherchés, ou pas. C’est donc la quatrième famille d’immigration de l’Algérie post 62: l’immigration de la main-d’oeuvre, celle des cadres, celles des harraga et celle, toute fraîche, des dissidents de la rente ou des problèmes gastriques du pipeline. Ce sont aussi des cerveaux, mais qui ont mal fini, de la main-d’oeuvre mais avec des mains trop grandes, des harraga mais qui au lieu de prendre la chaloupe la quittent avant le naufrage. Ce sont les enfants indésirables de la rente.
Ceci pour la première conclusion. Pour la seconde, elle est tout aussi pédagogique: aujourd’hui on sait. On savait que des milliards de milliards étaient détournés sous nos nez depuis toujours, mais aujourd’hui, on sait plus ou moins comment cela se fait. D’abord il faut être ministre ou très haut PDG, ensuite il faut avoir un fils (ou quatre) ou une région. Pour la région, on sait que le régionalisme algérien est un régionalisme familial et pas géographique: il profite aux enfants de la famille et pas aux enfants du douar. Donc reste le (les) fils. Après puberté, celui-ci lance une boîte de consulting ou d’experts-comptables. Le Père donne le marché à la boîte du fils qui la donne à l’entreprise qui le paie le mieux. Cette recette des boîtes de consulting, de bureaux d’études ou d’expertise est la nouvelle mamelle du capitalisme socialiste algérien. Même les sociétés étrangères expatrient leurs bénéfices par les bureaux d’études et de consulting pour des études «copier-coller» qui circulent un peu partout dans les ministères comme chacun le sait. Ceci pour la grosse ficelle. Il en existe en effet de plus fine et de plus intelligente. Pour bien comprendre, il faut démentir: on a un moment pensé que celui qui ne s’est pas enrichi à l’époque de Chadli, ne sera jamais riche, selon un faux proverbe. Et bien c’est faux: l’époque de la Relance nationale est meilleure.
La conclusion ? On se sent mal. Surtout en lisant les journaux. On sait que les journaux ont raison de donner des noms et des chiffres sur la corruption mais ils ont raison sur commande. On ne peut pas ne pas dénoncer des dossiers de corruption mais il se trouve qu’on les dénonce sur cahier de charges. Si on se tait, on fait partie des moutons. Si on se met à parler de Sonatrach, on fait partie de la meute de Pavlov avec une équipe de chiens qui a des oreilles d’âne. Car on devine quelle image on offre du journalisme dans le club retreint des marionnettistes DZ: de vraies Tayabetes de Hammam à la fin. Que faire donc si se taire est une lâcheté, parler est une hystérie idiote ? Comment parler sainement sans écrire n’importe quoi et demander justice sans tomber dans le syndrome Betchine et la détronisation de Zeroual ? D’ailleurs, encore une fois, que se passe-t-il qu’on ne sache pas déjà depuis des mandats sur les mêmes noms et les mêmes personnes ?
23 janvier 2010
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