Hommage au regretté Rachid Mimouni
Ce fut en ce jour du 12 février 1995, que nous a quittés, à jamais l’auteur du Fleuve détourné, le regretté Rachid Mimouni.
Une figure emblématique de la littérature algérienne, nationaliste convaincu. C’était un engagé hors pair, il n’avait de cesse d’acclamer haut et fort son ras-le-bol du système en place, qu’il a toujours condamné à travers ses œuvres littéraires.
Sa vie fut un condensé d’activités entre l’enseignement, l’écriture, la culture et le combat pour les causes humanitaires. Il a lutté toute sa vie pour l’instauration d’une république où la liberté et la justice régneront. Avec son audace littéraire, il a pu dénoncer les impostures d’un pouvoir dictatorial qui n’accepte aucune remise en question. “Pour moi l’écriture est un acte de transgression… j’appartiens à cette race d’écrivains militants. Il n’est pas possible d’ignorer la misère, l’injustice, la corruption…”. Ni la censure, ni la menace constante n’ont pu le museler, ni faire taire sa parole qui dérange. Il a continué à écrire et à dénoncer de la même manière, parfois vigoureuse ; ce qui a conduit certains critiques à lui rapprocher l’exagération de la représentation du mal dans ses écrits.
Mais Mimouni répondra :
“Ce n’est pas moi qui exagère, mais c’est la réalité qui exagère !”
Rachid Mimouni ne pouvait pas se taire, son pays avait besoin de gens comme lui. Il répondra à l’appel de l’Algérie qui souffrait des oppressions autoritaires du pouvoir ; il a mis à nu la réalité de la société. En outre, sa tâche a toujours été de nous enseigner la responsabilité et la prise de conscience. A travers ses œuvres, Rachid Mimouni met à nu notre malaise, pour nous faire réagir, et nous tirer de notre confort, de notre silence absurde.
Son œuvre monumentale est traduite au total, dans onze langues étrangères. En plus d’une adaptation de son roman le Fleuve détourné au théâtre, qui fut présenté dans le cadre des manifestations “Algérie capitale de la culture arabe 2007”, par la dramaturge Fouzia Aït Elhadj.
Son premier roman, Le printemps n’en sera que plus beau (1978), publié en Algérie, raconte, dans une construction élaborée, une histoire d’amour et de mort située à la veille du déclenchement de la guerre d’Algérie. Une paix à vivre (1983), évoque, d’une manière encore didactique, l’Algérie euphorique des lendemains de l’Indépendance. Le ton change du tout au tout dans ses deux romans publiés à Paris, Le Fleuve détourné, (1982) et Tombéza (1984) : l’écriture y est puissante, violente, et n’hésite pas à aller jusqu’au bout de l’atroce ; la satire s’y fait virulente pour dénoncer les nouveaux maîtres de l’Algérie qui confisquent l’indépendance à leur profit.
Le héros du Fleuve détourné (le tire renvoie métaphoriquement à la déception des Algériens devant l’évolution de leur pays) est un ancien combattant de la guerre d’Indépendance qu’on avait cru mort et qui revient au village. Mais il dérange par le regard critique qu’il porte sur cette société prétendue nouvelle, où la misère continue de régner, où le mensonge, la démagogie, la corruption remplacent les valeurs au nom desquelles avait été menée la lutte anticoloniale.
Tombéza va beaucoup plus loin dans l’horreur. Le personnage-titre, né du viol de sa mère et doté d’un physique monstrueux, agonise, frappé d’aphasie, sur le lit de fer d’un hôpital. Sa conscience confuse reconstitue son itinéraire coupable (Tombéza, ancien collaborateur des Français, a beaucoup manœuvré et corrompu pour s’assurer pouvoir et richesse) et livre au lecteur des éléments pour une analyse féroce de la folie politique et sociale algérienne.
Ces deux romans ont suscité à la fois l’agacement de beaucoup de lecteurs algériens, dont la fierté nationale se hérissait en lisant ces dénonciations sans complaisance, et l’incrédulité du côté européen, quand on ne voulait pas entendre la critique du “modèle” révolutionnaire algérien. Avec le recul du temps, ils apparaissent comme le sommet de l’œuvre, par la lucidité du regard, l’impertinence, la violence insolente du ton. L’honneur de la tribu (1989), sans doute moins incisif, a rencontré un large succès public, renforcé par une adaptation au cinéma. Le roman évoque l’histoire d’un village, aux lointaines origines andalouses, que l’on suit de la colonisation française jusqu’aux transformations autoritaires que lui impose un potentat local, fort de l’autorité du parti au pouvoir.
La peinture de la régression d’une Algérie prise dans le piège de la bureaucratie et de l’obscurantisme continue dans les nouvelles de La Ceinture de l’ogresse (1990), tandis qu’Une Peine à vivre (1991) tente de comprendre les mécanismes mentaux d’un dictateur déchu face au peloton d’exécution. Les dernières œuvres se dressent contre la montée de l’intégrisme religieux, et vont du pamphlet véhément (De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier, 1992), prolongé par des entretiens dans divers journaux français, jusqu’au dernier roman, La Malédiction (1993), qui s’en prend au radicalisme islamiste et à tous les “enturbannés”.
Son œuvre s’impose par la cohérence de son cheminement et par sa force de vérité.
Repose en paix Rachid Mimouni.
Arezki Tekkous
Source : La dépêche de Kabylie
23 janvier 2010
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