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10.Récit et légendes de Kabylie -La rekba du sergent

23 janvier 2010

Non classé

Au coin de la cheminée
La rekba du sergent (10e partie)

Résumé de la 9e partie : A ses propres frais, Kassi se rend au front, à Orléans où il découvre que l’armée française est en déroute…

La guerre traînait, on ne frappait plus de grands coups, mais ce n’étaient que combats d’avant-postes, escarmouches au milieu desquelles notre tirailleur reprit tous ses goûts belliqueux.
Toujours avec le bataillon qu’il avait adopté, il fit toute cette campagne désespérée, avec Belfort pour objectif, émerveillant les conscrits de son sang-froid, les réconfortant de son exemple, les entraînant, un peu malgré eux, à des actes d’audace qui, malheureusement, ne retardaient guère le désastre inévitable.
Il était connu de tous et les officiers se faisaient un honneur de l’héberger dans les rares bons moments où l’on pouvait, dans une ville ou un quartier d’approvisionnements, se procurer de quoi manger à sa faim. Ils n’hésitaient pas non plus à lui demander, dans les positions critiques où les plaçaient quelquefois leur imprudence ou leur audace de jeunes gens, des conseils souvent suivis et toujours dictés par un admirable instinct de sauvage sur le sentier de guerre.
Il devint aussi célèbre dans un petit rayon et le bataillon de mobiles le regardait comme son palladium. C’était certes un noble drapeau que ce petit tirailleur tout ridé dans sa peau rouge de blond rôti par le soleil, avec ses moustaches grises, ses décorations, son bras ballant.
Kassi n’était pas seulement le premier au feu, il était aussi marcheur infatigable et maraudeur d’une prodigieuse habileté, ce qui augmentait sa renommée. Nul mieux que lui ne savait découvrir les poules enfermées par les paysans, les pommes de terre enlisées et les pots remplis de conserves. Il ne gardait rien de ses trouvailles, se contentant du pain qu’il recevait, mangeant du bout des dents, tout entier à ses amères pensées.
Il observait silencieusement, ne parlant que quand on l’interrogeait, à moins qu’il n’eût à réconforter les traînards, à encourager les blessés ; actif, passant de la tête à la queue de son bataillon, portant le sac du plus faible, veillant chaque nuit en tête des avant-postes quand il sentait le danger proche, dépistant les patrouilles ennemies, dont beaucoup de vedettes isolées tombèrent sous ses coups.
Il se glissait comme un vrai chacal le long des haies et des buissons, ne gardant pour toute arme que son flissa, puis bondissait lorsque la sentinelle prussienne tournait le dos et, de sa seule main, lui plantait la lame au-dessous de la nuque, sentant couler sur ses doigts le sang chaud et gluant des meurtriers de son fils.
A personne, il n’avait raconté sa triste histoire, avec personne, il n’avait pleuré son fils chéri, réservant ses larmes silencieuses pour les longues heures qu’il passait accroupi dans les broussailles, attendant sa vengeance, rêvant de sa rekba.
Parmi ses compagnons les mobiles, il avait remarqué pourtant un lieutenant dont la tournure martiale, la stature colossale l’avaient séduit, car il aimait tout ce qui lui paraissait beau et fort. (à suivre…)

Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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6 Réponses à “10.Récit et légendes de Kabylie -La rekba du sergent”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    La rekba du sergent (11 e partie)

    Résumé de la 10e partie n Kassi est toujours sur le front attendant le moment propice pour assouvir sa vengeance…

    Le lieutenant était d’une vieille race de nobles campagnards, riches de leurs terres et de leur nom intact, mais sans argent. Il s’était épris d’une jeune fille de la bourgeoisie, dont le père avait fait une grosse fortune dans des entreprises où son honnêteté avait quelque peu sombré. Le jeune homme savait que jamais ses parents ne consentiraient à une pareille alliance, qu’on eût pu soupçonner d’intéressée ; lui-même avait honte de son amour partagé du reste, et, comme Kassi le manchot, il avait lui aussi, sans but dans la vie, résolu de mourir.
    Il s’était donc engagé dans le premier bataillon que l’on forma dans son pays, bien qu’il fût exempt par son âge du service militaire. Les recrues, séduites par sa prestance et sa force, l’avaient désigné pour être un de leurs chefs.
    Bravement il les avait conduits au feu, mais si loin, que peu en étaient revenus. Dans une charge à la baïonnette, il entraîna sa compagnie si avant par son exemple, qu’elle fut tout entière massacrée ou faite prisonnière.
    Relevé parmi les morts, soigné par les Prussiens admirant son héroïsme, guéri de ses blessures qui n’étaient dangereuses que par leur nombre et la perte de sang qu’elles avaient entraînée, il avait profité de la première occasion pour s’évader.
    De retour à l’armée, on l’avait désigné pour remplacer un lieutenant tué au feu dans le bataillon de mobiles de notre vieux tirailleur. Sa mélancolie en augmenta, car il se sentait encore plus triste depuis qu’il avait perdu tous ses compatriotes et se trouvait sans amis et sans confidents. Les longs silences du jeune homme, sa figure toujours grave, le sourire douloureux figé sur ses lèvres, intriguèrent le vieux Kassi qui sentait en lui un malheureux ; il se prit de pitié pour ce géant qui souffrait et dont les collègues raillaient les longues rêveries et la vie chaste au milieu des orgies des camps. Il s’attacha à lui, faisant de préférence ses sorties en sa compagnie, le soignant le soir à l’étape, lui trouvant les bons endroits pour le repos de la nuit ou pour l’embuscade. Le lieutenant sentit cette sympathie autour de lui et en fut reconnaissant, se demandant comment il récompenserait ce dévouement qui s’était offert et qui n’attendait rien en retour.
    Bientôt Kassi fut en quelque sorte son ordonnance sans cesser d’être son ami ; ils ne se quittèrent plus ; dans tous les coups de main, au milieu de tous les périls, là où le plomb tombait plus dru, on distinguait la silhouette gigantesque du mobile, sa longue barbe rousse au vent, et, tout près, celle du petit tirailleur manchot. Se sentant une douleur semblable, dans le même isolement, réunis par la même bravoure, le même désir de la mort libératrice, ils en arrivèrent vite à des confidences, et ce jour-là, ils devinrent inséparables, car ils osèrent pleurer ensemble en parlant de ceux qu’ils aimaient. Toutefois Kassi, craignant de se voir taxer de folie, ne parla point de l’entreprise qu’il avait faite de venger son fils sur un général. (à suivre…)

    Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès

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  2. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    La rekba du sergent (12 e partie)

    Résumé de la 11e partie n Kassi et le lieutenant se prennent d’amitié et se font même des confidences. Mais Kassi ne lui avoue pas son désir de vengeance…

    Il ne comprenait pas, d’un autre côté, comment on pouvait se faire tant de chagrin pour une femme, quand, avec la tournure de son ami, sa solde d’officier, on pouvait s’en payer bien d’autres ; mais la souffrance qui emplissait le cœur du mobile lui paraissait si grande lorsqu’il la dépeignait, qu’il sentit qu’il y avait là quelque chose d’incompréhensible pour lui, et alors il s’apitoya de confiance. La solde d’officier que Kassi estimait si haute était bien insuffisante, et le jeune homme en souffrait. Il était, comme nous l’avons dit, d’une stature athlétique et la maigre pitance qu’il recevait ne lui convenait guère. Lorsqu’on pouvait se ravitailler il mangeait à sa faim, mais la plupart du temps son puissant estomac était vide.
    Comme tous les forts, il était timide et cachait sa faiblesse, n’osant demander à ses hommes de lui vendre un supplément de nourriture, qu’ils ne pouvaient manger à cause de leur extrême fatigue. Cela le tourmentait comme une maladie honteuse et il s’en taisait avec Kassi qui ne s’expliquait pas les lassitudes subites qui terrassaient son lieutenant, dès que la force nerveuse et la présence du danger ne le soutenaient plus.
    Un jour, il comprit tout.
    C’était dans un bois clair de baliveaux dressant tout droit leurs troncs dépouillés, où nos mobiles tiraillaient avec les éclaireurs prussiens. De temps en temps un des nôtres tombait sur la neige. Bientôt le nombre des ennemis fut tel que la place n’était plus tenable ; les Prussiens n’avançaient point, mais fouillaient tout le bois de balles et d’obus. On sonna la retraite. Le lieutenant et Kassi, à leur habitude, marchaient les derniers, se retournant de temps en temps pour faire feu sur les masses ennemies, poussant les éclopés retardataires ou les rageurs, qui refusaient d’obéir. Tout à coup, au passage d’un ravin, après une décharge d’une batterie nouvellement en ligne qui couvrit le bois d’obus et de fumée, Kassi s’aperçut que le lieutenant n’était plus auprès de lui… Il eut un grand froid au cœur, comme le jour où il avait appris la mort d’Ali. C’était encore un fils que les Prussiens lui prenaient ! Il revint donc sur ses pas, pour retrouver le corps de son ami et mourir enfin. Il en avait assez de cette vie d’où les bons s’en allaient un par un et où il ne pouvait même pas les venger.
    Au passage du ravin, il entendit un peu de bruit sous une grosse touffe de genévriers verts se détachant sur le blanc de neige, plaquée par places de larges mares de sang figé, près des cadavres, nombreux à cet endroit. Il s’arrêta, le doigt sur la gâchette, et aperçut son ami, caché dans la touffe, mordant à belles dents dans un pain de munition pris sur le sac d’un malheureux mobile, étendu tout près, sur le ventre, la tête fracassée, les bras en croix. Ni l’ouragan de fer qui passait sur sa tête, ni l’arrivée de Kassi n’avaient pu le distraire de son occupation. Il mangeait férocement, faisant craquer sous ses puissantes mâchoires le pain sec et dur, comme un lion fait des os. (à suivre…)

    Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès

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  3. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    La rekba du sergent (13 e partie)

    Résumé de la 12e partie n Kassi découvre avec stupeur son ami le lieutenant en train de manger la ration de pain d’un militaire tué lors de l’affrontement…

    Kassi avait toutes les délicatesses : il se tut, s’éloigna de son pas silencieux et revint au campement par un détour. Il y retrouva le lieutenant presque heureux, pouvant enfin, ayant calmé sa boulimie, rêver à son amour sans espoir. De ce jour, Kassi se fit son pourvoyeur. Dès que le service de la journée ou l’ennemi laissait un répit aux deux amis, ils allaient à l’écart recommencer sans cesse leurs éternelles confidences.
    Le vieux tirailleur qui, d’habitude, ne mangeait que juste le nécessaire pour ne pas mourir de faim, éprouva tout d’un coup le besoin de mieux vivre, de manger, de faire goûter au Français tous les plats de son répertoire.
    Il recommença donc, pour son nouveau fils, les ratas invraisemblables qu’il composait jadis à son Ali, encourageant le lieutenant, qui refusait timidement, puis acceptait, poussé par ses besoins de gros mangeur.
    Ces repas en commun devinrent une habitude et le Français, en pleine possession de sa force physique, redevint le héros infatigable que toute l’armée de l’Est connaissait et admirait.
    Ce diable de Kassi avait trouvé un grand sac de lignard sur un champ de bataille. Il le portait haut sur les épaules, toujours plein et lourd, couronné par une vaste gamelle de campement et quelquefois par une volaille vivante, recelant dans ses flancs un véritable garde-manger. Il y avait de tout dans le sac magique : pommes de terres chipées dans les caves, navets déterrés dans les champs, choux demi-gelés, conserves… Et quelle joie pour lui, lorsque, à l’étape, il pouvait allumer son feu malgré l’humidité, faire chanter la casserole, puis sur le tard, après le repas des officiers, aller trouver son ami et lui dire, avec son singulier accent sabir :
    — Tu viens casser la croûte, dis, ma lieutenant ?
    Et le Français, qui avait compris, ne se faisait plus prier, ému de cette sollicitude du vieux, se considérant comme son parent, son fils, puisqu’il le traitait comme tel. Il se promettait bien de lui payer au centuple ses soins et ses bienfaits et, chaque jour, leur amitié se resserrait. C’était tout ce que demandait Kassi, pensant que, s’il venait à manquer, son nouveau fils vengerait l’ancien. Il se promettait de lui faire jurer si la mort venait. Tous deux se reprenaient même à aimer leur vie nouvelle soutenue par leur affection mutuelle, et si dans les yeux du tirailleur passait quelquefois un éclair sombre, ceux du mobile étaient moins noyés de tristesse. Une circonstance vint encore resserrer les liens qui les unissaient.
    Leur compagnie était de garde, et à quelques centaines de mètres, sur un plateau broussailleux, ils pouvaient apercevoir, se courbant pour se défiler, les sentinelles prussiennes dont la silhouette se détachait en noir sur le ciel terne. (à suivre…)

    Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès

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  4. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    La rekba du sergent (14 e partie)

    Résumé de la 13e partie n Ayant découvert que le lieutenant avait un gros appétit, le vieux Kassi se mit à composer pour lui, comme jadis pour son fils, des petits plats, ce qui permit de resserrer leurs liens un peu plus…

    Lorsque les vedettes se montraient trop audacieusement, le lieutenant, auquel Kassi avait passé son chassepot, allongeait son bec d’aigle le long de la crosse, et, placide comme dans un stand, appuyait le doigt sur la gâchette. Le coup partait, assourdi par la brume, et le Prussien, battant l’air de ses bras, tombait.
    L’infaillible chasseur de chamois se retrouvait à cette singulière chasse, et le tirailleur applaudissait joyeusement, répondant par son hurlement de guerre aux cris d’angoisse des victimes. Les soldats en faisaient un jeu, en pariant sur le coup ; mais ils se lassèrent, le lieutenant ne manquait jamais. Au reste, les Prussiens se le tinrent bientôt pour dit. Pendant le reste de la journée, les deux amis ne purent apercevoir une seule pointe de casque.
    On allait se gîter pour la nuit qui tombait, lorsque Kassi, désirant ne pas rester en retard avec son ami, voulut, lui aussi, tuer quelques Prussiens. Il demanda son chassepot, s’assura, sur le pouce, de la pointe de son flissa et se glissa dans la brousse. Le lieutenant et quelques hommes restèrent là pour l’attendre, persuadés qu’il ne tarderait pas à revenir avec le sac des sentinelles, ainsi qu’il le faisait bien souvent.
    Kassi, joyeux d’avance à la pensée du sang qu’il allait répandre, rampait doucement. Après des détours savamment combinés, il entendit plus net, dans un creux de ravin, le pas d’une sentinelle qui frappait la terre, pour secouer la neige que le brouillard rendait agglutinante.
    Il continua à se raser jusqu’à un buisson, déposa son fusil, et tirant son flissa, laissa le Prussien dépasser la touffe où il se tenait. Puis, selon son habitude, il lui sauta sur les reins par-dessus le sac, le renversa du choc et, sans qu’il pût pousser un cri, lui coupa prestement la gorge. Le couteau rouge entre les dents, il commença à le dépouiller, lui tirant les bottes, dont les nôtres manquaient.
    Tout à coup, il s’aplatit à terre. L’autre vedette arrivait, n’ayant rien entendu qu’un bruit sourd de chute sur la neige, mais, méfiant, l’arme prête, car le sang du mort s’échappant des artères susurrait sinistrement.
    Devant cet homme sur ses gardes, Kassi, avec son flissa, se sentit désarmé. Rapprochant ses jambes sous lui, il les détendit comme un ressort et retomba dans la touffe où était caché son chassepot. Le Prussien tira au vol et manqua.
    Pendant qu’il rechargeait, en appelant aux armes, Kassi arma à son tour et les deux ennemis se cherchaient du regard, accroupis tous deux dans la broussaille pour se cacher.
    Le Kabyle, avec ses yeux perçants, aperçut le premier son adversaire dans les touffes de chênes à feuilles jaunes ; il fit feu rapidement. Le Prussien se releva, poussant un juron et laissa échapper son arme ; il avait le bras gauche brisé à l’épaule. (à suivre…)

    Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès

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  5. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    La rekba du sergent (15 e partie)

    Résumé de la 14e partie n Le lieutenant ne rate aucune de ses cibles et Kassi, voulant faire de même, s’aventure plus en avant, abat un Prusse et en blesse un autre…

    Il (le Prussien blessé) se précipita sur Kassi, après avoir ramassé son fusil par la baïonnette ; le vieux sergent, ne pouvant recharger, marcha sur lui, et les deux ennemis se ruèrent l’un sur l’autre, le Kabyle, tout petit, avec son flissa, le Prussien, énorme, avec son lourd fusil qu’il brandissait comme une massue.
    Tout cela n’a eu que la durée d’un éclair.
    Ils restèrent un moment face à face, et le Prussien, faisant tournoyer son arme, en lança un coup terrible qui, manquant la tête de Kassi, rencontra le flissa levé et le brisa comme un roseau. Se voyant désarmé, le sergent prit son élan et évitant un deuxième coup, saisit son adversaire à la gorge, de son seul bras. Le Prussien manchot, lâchant son fusil, en fit autant, et tous deux roulèrent sur le sol, soufflant et râlant.
    L’homme du Nord aurait eu promptement raison du petit vieux, sans la douleur de sa blessure et le sang qu’il perdait. Il parvint, néanmoins, à maintenir Kassi à terre et serra plus fort, criant des appels anxieux. Le combat dura quelques minutes.
    Des deux camps on entendait ; et Kassi se soulevant dans un effort suprême, put apercevoir d’un côté le petit poste prussien, de l’autre son ami le lieutenant, en tête de ses braves, qui accouraient.
    La forme gigantesque du mobile bondissait par-dessus les halliers, à grandes enjambées ; il se rapprochait, ne songeant point même à tirer son épée ou son revolver, de cent pas en avant de ses hommes. Le Prussien serrait et criait désespérément, se couchant sur le tirailleur qu’il écrasait. De ses yeux déjà vitreux, Kassi vit flotter près de lui la longue barbe rousse, il sentit passer près de son visage une main velue et noueuse comme la patte d’une panthère, il respira librement et s’évanouit.
    Le Prussien, exhalant un râle sourd, fut plié en arrière ; sous l’étreinte de fer, les os de sa nuque craquèrent. L’ayant soulevé comme une plume, le lieutenant le rejeta inerte. A cinquante pas, les Prussiens commencèrent le feu, heureusement inoffensif à cause de la nuit déjà noire. Le Français, prenant son vieil ami dans un bras, la tête sur son épaule, comme un père tient son fils, saisit de l’autre le cadavre de la vedette et s’en fit un bouclier. Il reculait à pas lents, portant son double trophée. Les nôtres arrivaient du reste et ouvrirent sur leurs adversaires un feu qui les décida à la retraite. Le lieutenant, ayant alors rejeté le cadavre, rentra au bivouac, toujours portant son ami, et ce groupe fut applaudi par tous les soldats, qui poussaient des bravos.
    Kassi revint vite à lui. Il n’avait, il est vrai, aucune blessure ; sur sa tête, il vit, penchée, la figure anxieuse de son ami et se ressouvenant, il pleura silencieusement de joie : celui qu’il aimait tant lui avait sauvé la vie, leur union était indissoluble. (à suivre…)

    Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès

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  6. Artisans de l'ombre Dit :

    Au coin de la cheminée
    La rekba du sergent (17 e partie)

    Résumé de la 16e partie n Kassi se décide à faire l’aveu à son ami sur son désir de venger son fils en tuant un général prusse…

    Ce fut la fin. Les Prussiens, furieux de la prolongation de l’agonie de notre pauvre armée, mirent en ligne une forte batterie et criblèrent les nôtres d’une grêle d’obus et de balles.
    Le lieutenant tomba ; sa compagnie n’étant plus soutenue par son exemple et ses paroles se débanda et les restes de l’arrière-garde ne tardèrent pas à se présenter aux postes de l’armée suisse, qui les attendaient à la frontière.
    Kassi n’avait point perdu de vue son ami. Dès qu’il le vit disparaître au milieu de la fumée et de la terre que soulevait la chute des projectiles, il se précipita vers lui. La jambe gauche du lieutenant pendait inerte. Un éclat de fonte lui avait arraché le mollet et tranché tous les tendons ; il perdait un flot de sang. Son visage pâle gardait son expression souriante et douloureuse. Il dit au sergent de fuir, qu’il attendrait là les ambulanciers aussi bien seul qu’en sa compagnie.
    Kassi refusa ; il examinait la blessure : «Cela n’est rien mon fils, dit-il ; trois mois d’hôpital et tu seras guéri !» Et sous la pluie de fer qui continuait, avec le calme d’un médecin dans une ambulance, il tira des linges de son sac inépuisable, fit une ligature et pansa le membre pantelant.
    L’opération fut rapidement terminée, car le vieux avait de l’expérience. Il finissait, lorsqu’il s’aperçut que les tirailleurs ennemis n’étaient plus qu’à une petite portée de fusil et commençaient à viser tout ce qui n’était pas mort sur le champ de carnage.
    Il souleva le lieutenant, se couchant sous lui, et parvint, malgré le poids du géant, à le charger sur ses épaules. Il se mit alors à courir le plus vite qu’il pouvait, du côté du ruisseau torrentueux qu’il avait remarqué sur la droite et qui bordait, à une centaine de mètres, un fourré épais où il pensait se cacher, lui et son précieux fardeau.
    Les Prussiens lui envoyaient toutes leurs balles, mais elles l’épargnèrent, et passant de pierre en pierre sur la glace, il arriva dans le petit bois, où il s’abattit épuisé. Le lieutenant s’était évanoui, car sa jambe, qui traînait à terre durant la course, avait heurté tous les obstacles et lui avait causé des douleurs intolérables.
    Kassi le tira au beau milieu d’une clairière, l’installa sur le dos, lui rougit le front avec son sang, pour faire croire à une blessure mortelle, se badigeonna de même et se coucha à plat ventre sur le corps du mobile pour le tenir au chaud, car le froid était des plus vifs.
    Les flanqueurs prussiens ne tardèrent pas à envahir la place ; ils parcoururent le bois en tous sens, ne s’inquiétant guère de ces deux cadavres, dont l’un montrait sa face plaquée de rouge. Ils se retirèrent bientôt, après avoir donné quelques coups de crosse à Kassi, qui ne bougea point.
    Le camp ennemi se dressa en face du petit bois, à deux cents pas à peine du lieu où gisaient nos amis. Lorsque les bruits de pas eurent complètement cessé, Kassi traîna son lieutenant au plus épais de la broussaille, sur la lisière du bois et se mit à regarder les maudits qui, tranquillement, préparaient leur déjeuner, allumant du feu avec les bois arrachés aux haies voisines et à une ferme que les obus avaient démolie. (à suivre…)

    Récit et légendes de la Grande Kabylie par B. Yabès

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