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L’adultère

21 janvier 2010

Non classé

L’adultère

par Boudaoud Mohamed

L'adultère  spacer« Ô Yamina ma soeur, Dieu fasse que tu ne succombes jamais à la voix ensorcelante de Satan ! pria la femme après avoir vidé la carafe d’eau fraîche que venait de lui servir son amie. Tu m’as arrosée, mon gosier était aussi desséché qu’un sentier caillouteux embrasé par un soleil d’été.

Ne me crois pas si tu veux, mais il m’a fallu souffrir pendant presque deux heures pour enfin atteindre ta porte ! Un peu plus, et tu aurais découvert, sur le seuil de ta maison, une créature échevelée, les habits mis en pièces, l’intimité exposée aux regards, la bouche débitant des mots sans queue ni tête, folle.» La femme s’interrompit un moment pour reprendre haleine, puis continua, la main droite dessinant dans l’air des courbes pleines de grâce, comme pour rythmer ses paroles et fasciner son auditrice :

- C’est dans l’arrêt du bus, que mes nerfs ont commencé à vibrer et à grésiller comme un fil traversé par de l’électricité. L’attente m’a démolie, ma soeur ; j’ai dû poireauter dans la chaleur, plantée dans le même endroit pendant une éternité, bête comme une statue. Dépitée, je décide de rebrousser chemin et de rentrer chez moi. Mais le bruit d’un moteur arrête mon élan. C’était le bus qui arrivait. Une caisse grinçante s’arrête à mon niveau, bondée. Je monte par la porte avant, et me creuse péniblement un trou dans une masse humaine bariolée et entassée comme du bétail, hommes contre femmes, femmes contre hommes, collés les uns aux autres, sans un brin de pudeur. J’étouffe. La ferraille démarre, et les langues et les corps se délient. Tu t’aurais cru dans un asile psychiatrique ambulant. Comme ça fait si longtemps que je n’ai pas pris de bus, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait dans cette chaudière bouillante. Mon mari a raison quand il dit que ce peuple est un troupeau de singes crasseux et dérangés. C’est aujourd’hui que j’ai compris pourquoi il n’arrête pas d’insulter les gens. Selon lui, personne ne pourra en faire des citoyens civilisés. Il me répète souvent : «S’occuper de ces tordus, c’est gaspiller son temps pour rien ! Avant d’être élu, le fait de vivre au milieu de ces balourds m’a transformé la cervelle en une masse de graisse. Dieu merci, la capitale m’a décrassé les yeux et la tête. Là-bas, j’ai appris comment il faut regarder ces foules grouillantes, paresseuses et hurlantes du matin au soir.» Eh bien, ce voyage à travers la ville m’a prouvé que mon mari n’a pas tort ! Ecoute-moi !

Je te parlerai d’abord du chauffeur. Un homme complètement fou, qui appuyait sur l’accélérateur avec une rage qui rappelle celle qui nous attrape quand nous surprenons des cafards dans notre cuisine. Cela en riant et en blaguant, une cigarette cincée entre les dents, le regard partout, sauf sur la route. Sans crier gare, le diable écrasait la pédale du frein, faisant chavirer la viande ruisselante d’odeurs et de sueurs, qui se révoltait et grognait des insultes, ou poussait des cris d’effroi, ou éclatait de rire.

Je vais te parler maintenant des voyageurs qui avaient presque tous un téléphone portable collé contre l’oreille.

Sans aucune trace de honte sur le visage, parlant de telle manière que même des oreilles crevées auraient pu capter ce qu’elle disait, une femme a étalé toutes ses maladies, les détaillant comme si elle répondait aux questions d’un médecin. Tout le monde a pu ainsi apprendre le nom des maux qui logent dans son corps, des tas de médicaments et de tisanes qu’elle a avalés, des marabouts qu’elle a visités, et des amulettes qu’elle porte sur elle.

Enveloppé dans une djelleba, un vieil homme braillait dans son appareil : «Dis-leur votre père veut une créature en bonne santé et encore vigoureuse pour s’occuper de lui et le soigner. Explique à cette progéniture qui veut me rendre fou, que je n’accepterai aucune vielle carcasse geignarde et toute ridée. Qu’ils sachent que je n’ai pas envie de terminer les jours qui me restent, en compagnie d’un épouvantail, qui me rappellerait tout le temps le trou dans lequel je servirai de festin aux vers.»

Ce n’est pas fini ! Une jeune fille, le corps étranglé dans des vêtements qu’une fillette n’aurait pas pu enfiler, le visage bariolé de crèmes et de peinture, écoutait ce qu’une voix lui versait dans ses oreilles, les yeux allumés. Son corps se tortillait comme si les paroles qui sortaient de son portable la chatouillaient !

Des collégiens se montraient des couteaux qu’ils avaient tirés de leurs cartables, discutant à haute voix, et visiblement heureux de posséder une arme. L’un d’eux jura qu’il fera payer au professeur de physique la mauvaise note qu’il venait d’obtenir en examen. L’autre approuvait son copain en hochant la tête. Ils grimaçaient et se forçaient à paraître plus vieux qu’ils ne l’étaient.

Je ne te parlerai pas de ceux qui n’ont pas arrêté d’accuser nos gouvernants de tous les maux imaginables. Evidemment, ils n’ont pas raté les députés. Pour eux, ce sont tous des voleurs et des vendus. J’ai failli crever de rage ! La jalousie leur dictait des paroles gorgées de venin ! C’est dommage que je sois une femme ! Sinon, ils auraient entendu ma voix ! Les misérables ! Les mal élevés ! Oui, ma soeur, mon mari a mille fois raison de les haïr ! C’est lui qui m’a décrassé les yeux et la tête ! Qui m’a appris comment je dois regarder ces foules grouillantes, paresseuses et hurlantes ! Et je lui suis infiniment reconnaisante d’avoir limité mes sorties, et de m’avoir toujours obligée de me déplacer dans notre propre voiture.»

Encore une fois, la femme s’interrompit pour souffler un peu. Yamina ne prononça pas un mot, comme fascinée par la beauté nerveuse de son amie. Elle pensait : «Elle a toujours été ravissante ! Et les mains monstrueuses du temps l’ont toujours épargnée. Mais elle est si naive ! …» Mais ses pensées furent dispersées par voix de sa visiteuse. Elle prêta attention.

- Mais ce que je t’ai raconté jusqu’à maintenant n’est rien devant ce qui attendait ta soeur ! En effet, notre véhicule rempli de fous à lier fût obligé de s’immobiliser par un encombrement de dizaines d’automobiles arrêtées sur la route. Le chauffeur descendit pour aller s’informer, et revint quelques instants plus tard, le visage défiguré par un rictus. «C’est un wali, cria-t-il, il inaugure un rond-point ! Vous pouvez descendre vous dégourdir les jambes, si vous voulez. Il paraît qu’il va lire un long discours sur les accidents de voiture.» Alors les bouches s’ouvrirent toutes grandes et la méchanceté coula à flot. Je me suis éloignée du bus pour ne pas entendre leurs bêtises, et respirer de l’air pur. Je n’aurais pas supporté que l’on déchire à pleines dents un homme qui est un ami intime à mon mari. Mais leurs moqueries atteignaient mes oreilles. Quelqu’un dit : «C’est la dixième fois qu’ils labourent puis reconstruisent ce pauvre rond-point ! il y a des entrepreneurs chanceux qui ne font que ça : détruire et refaire des ronds-points. Ça c’est un destin ! Priez pour faire partie un jour de ces veinards.» On éclata de rire. L’attente a duré longtemps, mais ce sont plutôt les gamineries des voyageurs qui m’ont fait souffrir. Nous sommes remontés dans le bus, et le chauffeur a repris son volant.»

Il y eut un moment de silence, puis Yamina posa sa main sur celle de son amie, et dit d’un air amusé :

- Tu ne vas pas me dire que tu es venue me voir pour me raconter ton voyage sur un bus bourré de cinglés ? Tu as peut-être oublié que ton mari m’a dégoté un boulot et que je travaille depuis longtemps déjà ; que je prends le bus quatre fois par jour; et que ce monde bizarre fait partie de ma vie quotidienne. Dis-moi ! Quelle est cette chose extraordinaire qui t’a arrachée à ton nid et t’a poussée vers ton amie ?

- Tu as raison. J’ai été entrainée jusque chez toi par un souci qui me ronge comme un rat depuis des jours. Il m’est arrivé quelque chose de grave qui ne cesse pas de me tourmenter. Il fallait que j’en parle à quelqu’un, et tu es la seule amie que je possède. Voici ce qui s’est passé : Il y a quelques jours, moi et ma fille aînée, nous étions dans le salon ; elle, révisant ses leçons ; et moi, regardant une émission télévisée sur la vie des fourmis. À ce moment, je ne me doutais pas de ce qui allait m’arriver au cours de cette maudite après-midi. Comment aurais-je pu ma soeur ? Par quel miracle un être humain pourrait-il prédire les ordures qui jonchent son avenir ?

Une demi-heure plus tard, le hasard a voulu que les insectes quittent l’écran et cèdent la place à des hommes et des femmes, se délassant et bronzant sur le sable doré d’une merveilleuse plage, presque nus. C’était un film qui se déroulait entièrement au bord de la mer. Evidemment, ma fille a fermé ses livres et ses cahiers, et s’est jointe à sa maman, face au grand écran plat que nous venons d’acheter. C’était si beau que je n’ai pas soufflé un mot pendant tout le film, fascinée comme un lapin par un serpent. Et pour la première fois de ma vie, j’ai senti des choses se tortiller dans mon corps, tourmenter mon sang, électriser mes nerfs. Une fois la projection terminée, ma fille est revenue à ses cahiers, et je me suis allongée sur un matelas pour faire un petit somme. Mais un rêve satanique a détruit mon sommeil. Je me réveille en sursaut, haletante. Je sens que des yeux sont fixés sur moi, qui me vrillent. C’est ma fille. Son visage exprime un sentiment que je n’oublierai jamais. Elle m’a observée comme si c’était la première fois qu’elle me voyait. Comme si j’étais une étrangère. Elle m’a dit : «Tu as fait un rêve ! Tu n’as pas arrêté de gémir, de crier et de te tortiller !» Sa voix est bizarre, inquiétante. Anxieuse, je me lève et me dirige vers ma chambre. Là, assise sur le lit, je creuse ma mémoire et reconstitue mon rêve. Alors, j’ai saisi le sens de ce qui m’a troublé sur le visage et dans la voix de ma fille ! Pendant ce maudit sommeil, j’ai commis l’irréparable ! Et ma fille a tout entendu ! Mes gémissements et mes cris ! Et les saletés que j’ai hurlées ! C’est ce film qui m’a entraînée par les cheveux vers les eaux boueuses du mal ! J’ai trompé mon mari ! Quelle horreur ! Jamais ma fille ne me pardonnera ce que j’ai fait à son père ! Le remords m’empoisonne la vie ! Il se tue au travail du matin au soir ! Il n’est presque jamais à la maison, servant son pays au détriment de sa santé ! Le peu de temps, qu’il passe avec ses enfants, est entrecoupé d’appels insistants : des walis, des ministres, et des responsables ont besoin de son aide. Il se lève, s’habille et les rejoint. Jamais, je ne l’ai entendu refuser. Et que fait la femme de cet homme honnête et pur ? Elle se livre à des saletés, sans aucune retenue, et en présence de sa fille ! Alors, dis-moi, Yamina ma soeur, que dois-je faire ? Comment faire taire ces chiens qui aboient furieusement dans ma conscience ?

- Tu ne feras rien du tout, ma chérie ! Ta fille est assez grande maintenant, et doit sûrement savoir faire la différence entre un rêve et la réalité. Les Algériens rêvent tout le temps, et l’on peut imaginer facilement de quoi ils fantasment à longueur de vie. Ton innocence et ta naïveté sont extraordinaires. Tu donnes l’impression de vivre dans un cocon vaporeux, isolée du monde des humains…»

Les deux amies discutèrent longuement sur les rêves, puis abordèrent d’autres sujets. Une heure plus tard, soulagée et apaisée, la visiteuse se leva pour rentrer chez elle. «Je dois partir, ma soeur. Mais avant de sortir de ta maison, je voudrais que tu regardes cette feuille, et que tu me lises ces mots. En rangeant les affaires de mon mari, je suis tombée sur une boîte qui ressemble à celles qui contiennent des médicaments. Je me suis inquiété. Il est peut-être malade, et ne veut pas m’en informer. Je dois savoir ! C’est mon mari ! Mais comme il m’a toujours strictement interdit de toucher à ses objets, je n’ai pas osé lui en parler. J’ai évité aussi d’en parler à ma fille, pour ne pas la tourmenter. Alors, j’ai pensé à toi, et j’ai recopié soigneusement ces mots qui étaient sur cette boîte. Tu sais que je ne sais pas lire. Tiens dis-moi ce qui est écrit sur cette feuille.» Yamina prit le papier dans sa main et se mit à lire. Elle avait sous les yeux cinq mots, dessinés maladroitement l’un au-dessus de l’autre, mais clairs : «Vival», «POMME», «Préservatifs», «12 pièces».

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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