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«La maîtrise de la langue peut être un handicap à la création littéraire»-RACHID MOKHTARI

21 janvier 2010

LITTERATURE

«La maîtrise de la langue peut être un handicap à la création littéraire»-RACHID MOKHTARI dans LITTERATURE logo3

Culture : RACHID MOKHTARI AU SOIR D’ALGÉRIE :
«La maîtrise de la langue peut être un handicap à la création littéraire»
Propos recueillis par
Nassira Belloula

Le Soir d’Algérie : Avec l’Amante, votre écriture tranche un peu avec Elégie du froidet Imaqar; vous abordez l’écriture d’une manière scénariste avec des multiples «je» narrateurs qui donnent une certaine dimension au texte. Est-ce une transition pour vous ?


Rachid Mokhtari : Il y a sans doute des passerelles d’écriture entre les trois romans qui forment un univers romanesque. L’Amante tire sa substance de mon premier roman Elégie du froid et partage ses espaces géo-mythiques avec Imaqar. Leur lien esthétique tient dans la mise en contiguïté des faits historiques et/ou journalistiques avec des mondes de légendes et de mythes. Dans l’Amante, cette proximité des deux mondes (le réel historique de Dien Bien Phu et le mythe du tissage ainsi que ses rituels) est complexe bien qu’elle soit clairement rendue par des indices typographiques. Ce qui justifie, à mon sens, la multiplicité des «je» narrateurs inter et intra-chapitres. Ce sont plus des instances vocales que des personnages au sens classique du terme. Chaque «je» se superpose à l’autre comme les fils de laine dans la trame du métier à tisser. Les «je» de l’Amante neutralisent leur nom, leur généalogie et leur présent d’énonciation. Ils deviennent des êtres vocaux qui se jouent du temps, de la vie, de la mort. Ils sont propulsés par leur soliloque ou leur rapport dialogique hors de leur réalité événementielle et, dans cette fragmentation même, ils échappent aux codes discursifs de leur propre narration. Cette polyphonie des «je» donne à l’Amante un corps vocal antique qui invite le lecteur à faire partie du chœur.
Les légendes et les rites ancestraux tiennent une grande importance dans votre écriture. Dans votre dernier roman, vous avez prêté une voix à Tamzat, que ou qui représente-t-elle ?
Les légendes et les mythes tiennent une place privilégiée dans notre culture maghrébine, africaine, sud-américaine et dans les pays du Soleil levant. Ce ne sont pas que des survivances de l’oralité mais, bien plus, des éléments constitutifs de notre perception du monde moderne. L’écriture, elle-même, est déjà un mythe et que dire de ce qui la meut ? Recherche-t-on dans les mythes une signifiance des racines, un déracinement du futile ou encore une réactivation d’un sens romanesque qui échappe à une actualité qui, parce que de plus en plus déferlante, atrophie l’imaginaire et ses rapports complexes avec l’Histoire et ses icônes universelles. L’espace romanesque est fait de mythes anciens et modernes, sans ceux-ci, la création, toute création serait éphémère et comme telle, ne résiste pas à l’usure du temps. La légende des crapauds dans Imaqar, le tissage du burnous dans l’Amante et les becs ensanglantés des poules au lendemain des massacres de la population de Boukadir dans Elégie sont des thèmes universels avec leurs particularités locales. Le personnage de Tamzat, l’invisible tisseuse, est fort connu dans la société traditionnelle des Aurès et du monde agraire en général. La culture populaire reste le ferment du roman moderne.
Vos personnages féminins : Tassaâdit, Tamzat, Tazazraït, Zaïna se confondent entre réalités, légendes et symbolique. Ces femmes sont-elles un prétexte littéraire ?
Chacune est représentative d’une perception du monde, de leur monde. Zaïna, l’amante, et Tamzat, tisseuse invisible, tissent et donnent vie à un monde imaginaire, qui échappe aux guerres, aux famines ; ce sont des figures tutélaires de beauté et d’envoûtement. Elles sont les interlocutrices de Omar et prennent vie dans la face poétique du roman ; des voix d’incantation, élégiaques dont le rythme rappelle les chants grégoriens qui accompagnent les guerriers pour une bataille décisive. Les autres, Tassaâdit et Aldjia, appartiennent à la réalité sociale de l’époque. Elles y expriment leur tourment.
Il y a un personnage qui intrigue dans votre roman, c’est la vieille Tazazraït, son ombre constante à travers le roman, une ombre qui n’est pas fortuite….

Est-elle intrigante ? C’est une vieille femme multi-centenaire qui collectionne les burnous des ancêtres et en époussette les pans du haut de son mur de pierre. Je l’ai conçue comme telle. Par opposition peut-être à la jeune et belle Zaïna qui tisse un burnous pour Omar en prévision de son retour printanier alors que Tazazraït en a empilé des centaines de ces burnous laissés par ceux qui sont partis pour des guerres coloniales sans retour ou en pèlerinage. Elle sait que le cardage de Zaïna et le tissage de Tamzat sont vains ; le corps qui portera le burnous est déjà criblé de balles par l’ennemi. Elle est familière, l’élue, la confidente des Aït Lakhart (la tribu des morts) ; elle est intime des généalogies passées et à venir. C’est un esprit féminin craint. Il me fascine. Une ombre ? Est-ce celle de Zaïna, celle encore des hommes emmenés dans des guerres coloniales qui ne les concernaient pas ou encore le double de Tamzat venue de son lointain djebel Ouaq Ouaq?
Le roman tourne autour de la construction d’une maison à étage à Tamazirt Lâalalen qui devient source de conflits, cette maison inachevée et maudite encore une autre symbolique ?
Oui, cette maison à étages est au centre des conflits. Elle s’oppose à l’ancienne masure des ancêtres. Elle se construit mais elle porte en elle une malédiction qui commence avec la guerre d’Indochine dans laquelle son concepteur s’est engagé et est restée inhabitée suite à une autre guerre qui commence en 1954 qui voit l’ancien sergent-chef de l’armée française déserter la compagnie pour rejoindre les maquis d’Imaqar. Comment pouvait-elle avoir une architecture entre une guerre qui finit et une autre qui commence. Il n’y a pas de toit sécurisant. Certes, elle a connu les étreintes de Omar et Zaïna sous le regard ténébreux de Tazazraït. Le métier à tisser qu’elle a abrité, duquel est sorti le burnous, n’a pu sauver Omar de la mitraille de l’ennemi, de ses anciens compagnons d’armes. Une telle maison pouvait-elle s’élever sur des fondations historiques brouillées ?
Je ne sais pas s’il y a une dimension autobiographique dans vos romans, mais peut-on dire que de votre enfance en Kabylie, vous manifestez une vraie fidélité ?

Les lieux du roman sont affectifs et ne sont point géographiques. Les personnages, les lieux, le contexte historique sont universels même si, comme dans toute entreprise romanesque, les lieux affectifs sont plus signifiants que leur géographie physique. Je n’ai pas vécu mon enfance en Kabylie et j’aurais peut-être aimé qu’elle s’y passât. Est-ce pour cela que cette Kabylie reste pour moi un lieu imaginaire comme le djebel Ouaq Ouaq, les rizières de Dien Bien Phu, la caserne de Blida, les maquis de Tablat. Imaqar n’existe pas en tant que village topographique. Il est né dans mon roman et j’y vis comme ses personnages.
Il y a une tendance actuellement dans la littérature, qui justement revient sur les évènements de la guerre d’Algérie avec questionnements et interrogations…

Nous sommes le continuum de plusieurs générations de guerres et cela ne finit pas. Les Algériens nés en 1990 et qui ont aujourd’hui 20 ans appartiennent toujours à une génération de la guerre du terrorisme islamiste. Mon personnage Omar dans l’Amanten’a pas eu de «quille» entre les deux guerres ; celle du Vietnam et d’Imaqar en si peu de temps tandis que son père a trimé dans les fonderies de l’ex-métropole. Notre identité est une calamité des guerres, de sang, d’injustices. Comment s’en défaire ? Ce n’est pas un devoir de mémoire car cela suppose une génération de paix et de prospérité. Mais nous n’en sommes pas là encore. L’histoire continue de se faire en nous avec ses malheurs. De même que les fondateurs du roman maghrébin moderne ont trempé leur plume dans le sang des victimes de la colonisation, la nouvelle génération des écrivains du XXIe siècle tremperont la leur dans le sang des victimes du terrorisme…
Ces dernières années, il y a une profusion de romans, souvent inesthétiques et sans un travail sur la langue, il y a aussi des textes comme l’Amante qui nous réconcilie avec la littérature et l’imaginaire. Autant que critique et écrivain, comment analysez vous cela ?

Dans mes deux essais, la Graphie de l’horreur et le Nouveau Souffle du roman algérien, j’ai tenté de distinguer, de situer des romans dans leur contexte historique et dans leur originalité esthétique. Il est bien vrai qu’il y a eu cassure dans l’esthétique romanesque algérienne. Je ne pense pas que cela soit dû à la langue mais à la pauvreté des langages littéraires, à l’absence d’une culture référentielle, livresque, faite d’une somme de lectures monumentale, aux expériences individuelles des écrivains et leur rapport à la culture. La maîtrise de la langue peut être un handicap à la création littéraire. Par contre, l’authenticité, l’expérience de la misère humaine, l’inquiétude, le doute constituent des valeurs sûres pour l’imaginaire. On n’écrit pas pour plaire. On écrit, dit Marguerite Dumas, parce qu’on doute…
N. B.


Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/01/21/article.php?sid=94555&cid=16
 

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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