Culture : MOURAD BRAHIMI AU SOIR D’ALGÉRIE :
«On ne sait rien d’une société si on ne connaît pas ses prisons»
Le Soir : Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre ?
Mourad Brahimi : C’est à ma libération que je me suis retrouvé avec ce texte. Au début, je n’attachais aucune importance à cette affaire. J’avais la conviction que le juge n’avait pas le droit d’emprisonner un citoyen sans motif, que c’était impossible. Même injustement emprisonné, je demeurais certain qu’à son retour du week-end, le juge allait ouvrir son tiroir, lire son dossier, constater les preuves et nous libérer.
Mais quand les premières heures du premier jour de la semaine s’écoulaient et que rien ne se passait, ma révolte fut telle que je décidais d’écrire au président Boudiaf : voici les faits. Que me reproche-t-on ? La question, je la détaillais par écrit et ce qui devait être la lettre à Boudiaf devenait un procès-verbal de l’interrogatoire de police, du procureur de la République, du juge d’instruction. C’était écrit dans le style : «Il m’a dit, je lui ai répondu… » Et comme à travers tous ces interrogatoires personne ne savait de quel détournement il s’agissait, je posais cette question : pourquoi m’accusez-vous ? C’était déjà la description de l’enquête de police, de la garde à vue, de l’inculpation, l’instruction, l’emprisonnement… Je ne savais pas qu’un tel récit était en train de prendre la forme d’un roman.
L’histoire s’était passée en 1992. 17 ans après, vous éditez ce livre. Pourquoi ?
C’est exactement le temps qu’a mis la justice pour créer cette histoire et la classer. Je n’ai appris que cette affaire était définitivement terminée qu’il y a un an ou un peu plus. Le ministère public n’avait pas cessé de nous poursuivre. Juste auparavant, devant le tribunal criminel, il requérait à mon encontre la réclusion criminelle à perpétuité ! Je ne raconte dans mon récit que les cinq mois et vingt jours de privation de liberté. Mais pendant tout ce temps et jusqu’au dernier Salon international du livre d’Alger, je n’ai cessé de réécrire mon texte. Avec beaucoup de douleur au début, et infiniment de plaisir quand je commençais à trouver le mot juste, le rythme à insuffler à une phrase, l’organisation d’un paragraphe… Bref, la passion de l’écriture.
Dans votre récit, le monde carcéral regorge d’innocents…
Je ne sais pas si tout le monde est «innocent» (au sens juridique du terme). Par contre, j’ai l’intime conviction qu’aucun de ceux que j’ai rencontrés durant mon séjour ne méritait ce traitement inhumain. Il y a d’autres moyens beaucoup moins coûteux à la société que l’incarcération systématique et abusive. Il ne faut pas oublier que le rêve des révolutionnaires algériens n’était pas de construire des prisons, mais de transformer en écoles celles que nous a laissées le colonialisme.
Avant votre incarcération, aviez-vous le même regard sur la société ?
Non, je n’imaginais pas autant de souffrance à deux pas de chez moi. Finalement, l’on ne sait rien d’une société si on ne connaît pas ses prisons. Ça, c’est une certitude.
Bio express
Mourad Brahimi est né le 15 mai 1955 à Tlemcen. Diplômé de l’Ecole nationale d’administration, il a été membre de l’exécutif de la wilaya de Djelfa, directeur général de l’Office de gestion et de promotion immobilière. L’année des faits, il était chef de daïra dans la wilaya de Médéa. Aujourd’hui, il est fonctionnaire à la wilaya d’Oran.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/01/20/article.php?sid=94512&cid=16
20 janvier 2010
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