Culture (Mercredi 20 Janvier 2010)
INVITÉ AU DÉPARTEMENT DE LITTÉRATURE ARABE, AMIN ZAOUI DÉCLARE
“L’intellectuel arabophone est fainéant”
Par : Sara Kharf
Le département de littérature arabe à la faculté des lettres d’Alger-Centre a reçu, hier matin, l’écrivain bilingue, extrêmement moderne dans son propos et subversif par ses thématiques, Amin Zaoui. Il a répondu à ses détracteurs aux idées rétrogrades qui lui reprochent son bilinguisme.
Amin Zaoui a, le temps d’une rencontre avec les enseignants et les étudiants, expliqué son rapport à l’écriture, aux langues arabe et française, et la place de l’intellectuel dans la société et dans le cercle très fermé, voire verrouillé de la culture.
Avant d’évoquer ses deux romans, la Chambre de la vierge impure (éditions Barzakh) et Chareê Ibliss (éditions Ikhtilef), Amin Zaoui a entamé la rencontre par sa riche expérience de bilingue. En effet, le bilinguisme a sauvé la vie de plusieurs écrivains et penseurs et le bilinguisme a permis à Zaoui de s’ouvrir sur les expériences et les pratiques de l’autre. “Dans le passé, il y avait des auteurs qui cultivaient et protégeaient leur double appartenance, notamment Djamel Eddine Bencheikh. Pour ma part, je ne peux concevoir un intellectuel ou un penseur monolingue”, a-t-il estimé.
Car le bipluriliguisme est indéniablement une ouverture sur la culture de l’autre. L’être éminemment social, tout comme la langue d’ailleurs, a beaucoup de choses à apprendre de l’autre. Et les exemples éloquents ne manquent pas, ici ou ailleurs, notamment Waciny Laredj, Amin Malouf, Samuel Beckett, Jibran Khalil Jibran.
La dimension humaniste de ces auteurs est très importante, et ce sont ce biculturalisme et cette double appartenance qui leur ont permis d’accéder à l’universalité et à la modernité avec une part d’éternité. Amin Zaoui ajoute à propos de son écriture : “Quand j’écris en arabe, on entend la langue française et inversement. Je cherche à rendre la langue de l’autre hospitalière. C’est ce que j’appelle l’hospitalité des langues.”
De sa riche expérience de la pratique de l’écriture dans les deux langues, Amin Zaoui a constaté plusieurs points : “J’ai malheureusement senti que la langue arabe et le microcosme littérature n’ont pu créer un lecteur. Car ces derniers lisent pour l’auteur et non l’œuvre pour elle-même et par elle-même. Aussi, les gens achètent-ils certains livres pour décorer leur bibliothèque et non pour bâtir des ponts entre le texte et les clins d’œil qu’il fait. Et je suis arrivé à la conclusion que le lectorat francophone est beaucoup plus important”, a-t-il constaté.
Il lancera ensuite une sentence qui tombera tel un couperet : “L’intellectuel arabophone est fainéant. Il y a des initiatives mais ce sont des expériences et des cas isolés.” Cette phrase lui vaudra des réactions de désapprobation et des commentaires rétrogrades même de la part d’enseignants au département des lettres arabes. Un universitaire lui reprochera même son bilinguisme et son intérêt pour la dénonciation des non-dits et des tabous dans la société. Mais Amin Zaoui a répondu à ses détracteurs avec leurs symboles, en déclarant : “Je me sens plus proche de la pensée d’Ibn Rochd, Al Djahid, Ibn Hicham et Al Ghazali, que de ceux qui se réclament aujourd’hui du courant moderniste. Car, pour moi, c’est une question de conscience et de possession de notre patrimoine.” Amin Zaoui ne cède donc pas à la facilité et refuse que son écriture soit un effet de mode ou qu’elle tombe dans l’océan de l’oubli, il veut faire une œuvre atemporelle qui épouse les causes justes, qui se réfère aux symboles de la société, qui cherche des réponses dans le passé et dans le présent, et qui regarde l’autre pour accepter son propre reflet dans le miroir. Le corps, la sexualité, la triche, la tromperie sont les thèmes de prédilection d’Amin Zaoui qui cherche par l’écriture à dire les non-dits, rompre le silence et accompagner le lecteur dans sa quête pour devenir un être sinon meilleur, en tout cas plus humain.
20 janvier 2010
LITTERATURE