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Le paradigme de l’Arabe, ou la représentation de l’indigène dans la littérature coloniale

20 janvier 2010

LITTERATURE

Le paradigme de l’Arabe, ou la représentation de l’indigène dans la littérature coloniale

par Kaddous Mohammed Zinel Abidine

(Lecture croisée d’extraits d’œuvres d’Albert Camus et de Guy de Maupassant)

1ère partie

Nous avons longtemps attendu la réaction des autorités en charge de la culture face à ce forcing qui semble être engagé pour «soigner» l’image d’un certain écrivain algérianiste1 ,de lui trouver des excuses pour sa réaction «face au fait établi,» (2)de tenter de faire croire qu’il s’identifiait à «l’Arabe» quand il écrivait; qu’il faut baptiser une rue d’Alger de son nom (,car on commence là-bas à le considérer «comme un frère», des propos tenus au cours de l’émission «La bibliothèque Médicis « » qui fait partie de cet appareil de lecture institutionnalisé qui indique au lecteur ce qu’il «doit» lire, du douze décembre 2009 passé.



Mais, hélas ! Aucune réaction n’a lieu face à ce cheval de Troie d’un autre type qu’on présente si délicatement, aux portes d’Alger, presque dans du papier cadeau.

Et pour ne pas sembler paraître en faire, nous aussi, un abcès de fixation, nous tenterons donc de donner notre avis et, plutôt que polémiquer, intégrer notre façon de voir dans un cadre didactique à destination de ceux que ça devrait intéresser au premier chef, les étudiants en littérature. Donc c’est à travers un concept somme toute, tout à fait littéraire, l’Imagologie, que nous tenterons de faire apparaître l’implicite, la vision du monde, l’idéologie artistiquement dissimulée dans le sous texte d’œuvres d’apparence si innocentes.

L’imagologie, spécialité de la littérature comparée, s’intéresse en fait à ce procédé de littérarisation qui, produisant représentation et image de l’autre, tend à être significatif du fonctionnement d’une idéologie et d’un imaginaire social.

En effet, c’est rechercher et découvrir comment, par rapport à la société regardée, une autre société se voit et se pense en réalité. Et souvent, conclure ce travail de recherche et de découverte, équivalait à indiquer qu’image (et donc représentation), mise en évidence, résultait d’un mélange de sentiments et d’idées partagées par telle ou telle collectivité humaine.

Daniel Henri PAGEAUX écrira dans «Recherche sur l’imagologie : de l’histoire culturelle à la poétique» que :

«L’image est donc l’expression, littéraire ou non, d’un écart significatif entre deux ordres de réalité culturelle. Ainsi conçu, l’image littéraire est un ensemble d’idées et de sentiments sur l’étranger prises dans un processus de littérarisation mais aussi de socialisation.»

Mais en nous intéressant à la représentation de l’indigène dans la littérature coloniale, et bien loin d’avoir l’impertinence de discuter de l’avis de la référence en matière de littérature comparée, nous ne nous sommes pas empêchés de nous questionner sur l’origine de ces idées et de ses représentations, et dans le cas présent, sur l’origine de celles sur l’indigène :

- était-ce dû à une réminiscence d’un imaginaire presque mythique : celui de l’Orient visité par Marco Polo ?

- à celui d’un autre imaginaire nourri aux «Chroniques des Croisades» de Villejoint ?

- ou bien à celui d’une certaine manifestation, une réaction, d’un réflexe d’autodéfense envers tout ce qu’on ne connaît pas, ce qui nous est étranger ?

Aussi pour répondre à la question de la représentation de l’indigène dans la littérature coloniale, avions été amené à émettre les hypothèses suivantes :

D’abord sur l’origine de ces sentiments et de ces idées :

En effet, en portant un intérêt aux écrits du chantre de la colonisation, Louis Bertrand, nous devrions peut être trouvé des indications sérieuses quand à cette origine.

Puis, qu’une analyse d’extraits d’œuvres d’auteurs de l’Algérie coloniale, et de métropole, devrait permettre de mettre en évidence la nature de cette représentation.

Et enfin que cette lecture, en la croisant, nous devrions retrouver la stabilité de certaines images de l’indigène chez ces auteurs en particulier.

Louis Bertrand, idéologue: Louis Bertrand, à notre sens, est un passage obligé, un auteur incontournable dès qu’il s’agira de s’intéresser, un tant soit peu, aux débuts et origines de la littérature coloniale, tant par son importante production littéraire que par les traits de sa personnalité.

En effet, c’était presque Saint-François terrassant le dragon en Algérie.

Aussi avions nous commencé par visiter le site des «Algérianistes», et par découvrir un article de Paul Mangion, in Revue «Les Algérianistes» nº 20 et 21 des 15 décembre 1982 et 15 mars 1983, qui relate les débuts du Louis Bertrand en Algérie :

venant d’être muté, en octobre 1895, au Grand Lycée d’Alger, il tint à ses élèves ce discours, cette profession de foi :

«Messieurs, il est à présumer, dit-il, que la plupart d’entre vous sont appelés à vivre en Algérie qu’ils ignorent. Je considère comme un devoir de révéler ce que furent, jadis, les richesses spirituelles et matérielles de cette Afrique latine (…) Je n’ignore pas que mon enseignement s’écartera sensiblement des programmes (…) J’estime que j’ai auprès de vous mieux à faire qu’à jouer le rôle d’entrepreneur de succès scolaires.»

«Ce mieux à faire» qu’est-ce que c’était en fait ?

Et c’est peut-être la préface de «Les Villes D’Or», Afrique et Sicile antiques, qui va nous l’expliquer:

en effet, Louis Bertrand y dévoile l’ampleur du travail de déconstruction et de reconstruction qu’il avait entrepris:

«D’abord, écrit-il, je crois avoir introduit dans la littérature romanesque l’idée d’une Afrique latine toute contemporaine, que personne auparavant ne daignait voir.»

Pour introduire cette idée il s’y était pris de la manière suivante :

«D’abord, j’ai écarté le décor islamique, et pseudo-arabe.»

«Cette Afrique latine, j’ai montré ensuite qu’elle n’était point un accident, un fait anormal du à la conquête française mais qu’elle avait des racines profondes dans le passé (…) Mon unique mérite a été de les rétablir (les ponts entre le passé et le présent), de faire la synthèse de concevoir les Afriques (…) comme un seul et même organisme, une seule et même âme collective, dans la vie se perpétue à travers les siècles.»

«Et voilà la troisième idée génératrice de mon œuvre africaine, simplement pour avoir mis l’idée en lumière, j’ai restitué alors aux colons leurs titres de noblesse et de premiers occupants. Héritiers de Rome, nous invoquerons des droits antérieurs à l’Islam (…) Nous représentons les descendants des fugitifs, des vrais maîtres du sol (…) Le monument symbolique du pays n’est pas la mosquée, c’est l’Arc de Triomphe.»

Après avoir déconstruit et reconstruit l’espace, ce sera au tour de celui qui l’occupait:

« L’Afrique du Nord, pays sans unité ethnique, pays de passage et de migrations perpétuelles.»

D’une seule phrase, il raya de l’histoire, de l’existence, les peuples Gétules et Lybiques ancêtres des autochtones de l’Afrique du Nord, oubliant le fait qu’ils aient donné des empereurs à Rome qui avait en charge de civiliser, entre autre, la Gaule.

L’Arabe ? Ce n’est qu’un conquérant de plus !

«Il a fallu, écrivait-il, l’éclipse momentanée de Rome, ou de la latinité, pour que l’Orient (terme à noter) byzantin, arabe ou turc y implantât sa domination. (…) Dès que l’Orient faiblit, l’Afrique du Nord retombe à son anarchie.»

Et exit l’helléniste Ibn Rochd qui offrit la Lumière à un certain ténébreux moyen âge.

L’Arabe ? Un fléau !

«L’arabe ne lui apporta que la misère, la guerre endémique et la barbarie.»

L’Arabe ? Il n’est en rien notre égal !

«Par quel miracle une pouillerie, une saleté, une misère et une laideur affligeante, une stupidité et une barbarie toutes pures devenaient elles si admirables dès qu’elles étaient arabes ou orientales. Mais si cet éloge de l’indigène était vrai nous n’aurions peut-être qu’à nous en aller ! (ironisant) Ce serait un crime d’asservir une race qui serait notre égale (…) les tares, les vices irrémédiables du vaincu, tout ce qui, dans l’état actuel de la civilisation le voue à une infériorité méritée et sans espoir.»

Le contenu de la Préface étant très instructif, nous allons le garder comme source et référence, l’ intertexte, pour le reste de notre travail, d’une part , et nous le considèrerons comme la réponse à notre première hypothèse, en ce sens que» ces idées et ces sentiments» auront une origine conséquente sur le procédé de littérarisation de la représentation et de l’image de l’indigène dans la littérature coloniale, d’autre part.

La représentation de l’indigène dans la littérature coloniale : analyses d’extraits d’œuvres d’auteurs d’Afrique latine et de Métropole.

Partant de cette profession de foi de L.Bertrand (ci-dessus), nous nous autoriserons à penser que la formation idéologique, pour certains algérianistes du moins, s’est faite dans ce cadre précis, ou qu’à la limite ils en avaient pleinement conscience.

En effet, la conscience est toujours conscience de quelque chose qui la transcende, explique Husserl dans les théories sue la Phénoménologie:

« Tout ce que nous nommons objet, ce dont nous parlons, ce que nous avons sous les yeux à titre de réalité, ce que nous tenons pour possible ou vraisemblable…, tout cela est déjà par là même un objet de conscience(…).»

Sachant que tout écrivain est tenté, sinon tenu, de reproduire, dans ses œuvres, un certain vraisemblable en puisant dans la réalité, que penser de cette dernière quand encore une fois Husserl fait remarquer dans «Ideen» livre l ? :

«Nulle réalité n’existe sans donation de sens, et que c’est la conscience qui est ici la donatrice.»

Nous comprendrons alors que cette réalité où ils étaient censé avoir puisé pour la vraisemblance, et bien cette réalité, dont ils s’inspireront, avait déjà reçue de la part de leur conscience transcendée une donation de sens. C’est donc une conscience bien « bertrandisée » si nous pouvons nous le permettre, qui va leur faire lire la réalité.

On pourrait nous rétorquer qu’entre L.B et les algérianistes il n’y a pas de lien organique évident, que l’un pensait en termes de latinité retrouvée et que les seconds tout autrement, en « Algériens », sauf que puisque nous réfléchissons en termes d’imagologie, ce lien sera peut être à trouver au niveau de l’image, entre autre, où il sera le plus évident.

Pourquoi l’image ? Et pourquoi ne pas s’en tenir seulement au mot comme signe linguistique arbitraire, nous demandera-t-on ? Oui, en effet, pourquoi pas ?

Et bien, si le mot est arbitraire, son emploi l’est moins. Faut-il rappeler que le mot employé a une fonction dans la communication que l’on veut établir ?Qu’il est le résultat d’un choix pertinent ?Qu’il est fait le départ entre ce mot et non pas un autre ,parce qu’il porte le sens juste et nécessaire à la compréhension mutuelle, ?Que c’est parce qu’il appartient à ce répertoire commun entre l’écrivain et son lecteur, qu’il est choisi ? Ceci d’une part.

Et d’autre part, parce que, comme nous l’explique Sartre, la conscience est imageante, et comprend un savoir, des intentions, elle est essentiellement pensée. Elle n’est donc ni une illustration, ni un support, elle est pensée, et que traduira le mot élu, le langage le support de celle-ci. On pense avec le mot. Et même ce blanc entre les mots, ce n’est pas seulement que typographique, c’est aussi la pause où l’on devrait s’investir un instant pour aborder le mot qui suit, jusqu’à la fin de la phrase, l’objet de la prose.

Et d’un autre côté, la mémoire a un rôle à tenir, et il n’y a aucun doute là-dessus, c’est celui de conservation. Bergson écrira dans « La Pensée et le Mouvant»:

«La mémoire n’a pas besoin d’explication. Ou plutôt, il n’y a pas de faculté spéciale dont le rôle soit de retenir du passé pour le reverser dans le présent. Le passé se conserve de lui-même, automatiquement. »

Et dans «Energie Spirituelle» ceci: «Je crois que notre pensée est là (faire le lien avec ce qu’avait dit Sartre plus haut) conservée dans ses moindres détails, que nous n’oublions rien, et que tout ce que nous avons perçu, pensé, voulu, depuis le premier éveil de notre conscience persiste indéfiniment. »

Donc nous pensons, que pour toutes ces raisons, nous serions très avertis de ne pas négliger l’origine et le rôle de l’image dans cette représentation de l’indigène que nous essayons de faire apparaitre.

L’analyse de ces extraits choisis devrait laisser voir de l’indigène, son image et sa nature. Notre choix, s’étant porté sur des auteurs en particulier, essayait de répondre à un souci de réelle représentativité d’une certaine classe intellectuelle qui avait eu à traiter du romanesque colonial.

Nous croyons voir ,en Albert Camus, un de ces auteurs représentatifs pour deux raisons en particulier : celle d’avoir été prix Nobel( pour les raisons que l’on sait ), et celle aussi d’avoir été l’auteur phare du cercle des «Algérianistes» : «ces jeunes africains (qui) (…) En face de l’indigène, ils ont dressé le colon (…) C’est qu’il sont (…) Les fils du sol, c’est qu’il sont chez eux» dira d’eux en substance Louis Bertrand dans sa préface à «Notre Afrique».

Cependant, par souci d’équité, et avant d’entamer notre travail, nous avons tenu à vérifier que chez Albert Camus il existait bien au moins des traces de l’influence bertrandiène.

D’abord c’est l’emploi de ce mot «l’Arabe» qui nous renvoie immédiatement à l’intertexte. Et ensuite c’est dans son reportage «Misère En Kabylie», suite aux évènements du 8 mai 1945 , qu’il nous a semblé découvrir un autre aspect de cette influence, le thème de l’Orient si cher à L.B, et au texte de qui il renvoie encore, quand il écrira :

«(C’est) l’Orient,( et non pas le colonialisme) sa culture despotique, ces structures archaïques, ses traditions désuètes, ses structures obsolètes qui maintiennent les populations dans l’arriération livrées à la misère et à l’ignorance (…)»

Cette trace nous l’avons mise en relation, en rapport, avec celle de L. Bertrand :

«Dès que l’Orient faiblit, l’Afrique du Nord retombe à son anarchie.»

Ceci a permis de relever une première stabilité dans la représentation de l’indigène.

Notons que d’autres aspects de cette influence de Louis Bertrand peuvent être aisément relevés dans «Noces », charte idéologique de l’imaginaire pied-noir et dont il faut en finir. Il faut en finir avec cette Tipaza camusienne, car en fin de compte, elle n’est que ce qu’en avait écrit R. Boujedra dans «Tipaza» extraits:

« Mais Tipaza c’est surtout les ruines qui surplombent les criques fabuleuses et qui arrivent jusque dans la mer extraordinairement bleue. (…) et les baigneurs ne font que leurs ablutions ((‘’yetwado »), terme très diplomatique pour dire certainement, qu’ils y font leurs besoins) parmi le thym et les salicornes.»

A suivre

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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2 Réponses à “Le paradigme de l’Arabe, ou la représentation de l’indigène dans la littérature coloniale”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    Le paradigme de l’Arabe, ou la représentation de l’indigène dans la littérature coloniale

    par Kaddous Mohammed Zinel Abidine
    2e partie

    Extraits analysés de «l’Etranger», page 73 dans les éditions TALAN TIKIT, Béjaia, 2007: Le choix de cet extrait en particulier a été motivé par le fait que le noyau de cette étape dans la structure du récit est très révélateur. Le noyau, d’après, J.M.Adam, est un moment de risque du récit, où celui-ci va bifurquer, choisir une autre direction qui sera conséquente pour la suite de l’histoire. En effet à partir de ce moment de l’histoire, la vie du personnage va changer du «tout au tout»: de «promeneur sur la plage» à celle de» meurtrier», ceci d’une part, et d’autre part nous y avons vu aussi un moment crucial, parce qu’étant le moment où la tension psychologique du personnage atteint son paroxysme, nous pouvions peut-être y entrevoir, déceler ainsi la possibilité de l’aveu d’une intéressante représentation de l’indigène :

    Premier extrait :

    «Il était seul. Il reposait sur le dos, les mains sous la nuque, le front dans les ombres du rocher, tout le corps au soleil. (…) J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé (…) J’ai fait un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil (…) Tout mon être s’est tendu, et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit sec à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. (…)»

    Pour dégager la représentation de l’indigène, nous nous sommes référer au travail de Mr Morad Yelles: « Culture et métissage en Algérie: la racine et la trace»dans lequel il analyse et démonte, dans cet article, la construction du personnage de l’indigène.

    D’abord la scène de l’action, c’est le choix de «la plage» comme espace révélateur de l’imaginaire pied-noir qui revêt les attributs d’un symbole fort, «doublement emblématique», celui du débarquement de 1830, de sanctuaire pied-noir, et voici de quelle manière elle est décrite dans «Noces»:

    «Voici un peuple sans passé, sans traditions, et cependant non sans poésie (…) Ces barbares(les pieds noirs) se prélassent sur des plages»

    La plage est «un espace privilégié», c’est là où se célèbre le repos du guerrier. L’Arabe sur cette plage en était la fausse note, une hérésie, le souvenir vivace d’une résistance qu’il fallait gommer. Le souvenir de Bologhine qu’il faut effacer, celui des Sanhadja et Maghrawa qu’il faut expulser de l’histoire de l’Algérie ‘’latine » ; et c’est sur la terre de qui on appelle à l’y enterrer aujourd’hui (Quotidien du 09/01/2010). C’est-à-dire en termes claires, créer un lieu de pèlerinage pour nostalgiques et nouveaux supplétifs, un masmar dj’ha quoi !

    On doit quoiqu’il en soit, et selon les usages, en demander l’autorisation au maitre du sol (L.B): à Monsieur Bologhine el Dziri, Calife du Maghreb par décision du Grand Fatimide El Moez (fr.wikipedia.org/wiki/Alger).

    Puis, la construction du personnage de l’indigène, est traitée à la fois à la fois comme celle :

    -d’un animal «par ces postures félines»:

    -«Dès qu’il m’a vu il s’est soulevé un peu «p.72».Il s’est laissé aller en arrière «p.72».Je devinais son regard (…) entre ses paupières mi-closes «p.72».

    -de « minéral»:

    -«Le front à l’ombre du rocher (…) p72,»Peut être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire «p.73.»

    Suite à ce désassemblage, nous pouvons à notre tour relier ces éléments pour faire apparaitre l’image d’un indigène qui, du fait de sa présence en un tel lieu sacré, commet un acte sacrilège ceci d’une part, et d’autre part est provocateur, car il était en fait «porteur d’une mémoire physique (…) celle d’une dépossession». La présence de l’arabe est acte de résistance, et rappelle surtout, en sous texte, « que quoi qu’on fasse les arabes sont toujours là».

    Nous porterons ensuite notre attention sur deux mots en particulier, qui nous ont semblé être porteur de sens, et qui pourraient nous informer sur le fond de la pensée de leur scripteur, et peut être aussi sur la portée à laquelle ont les avaient destinés.

    «J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé.» Page 73.

    En analysant deux mots «source» et «Arabe» nous tenterons de proposer une autre image et représentation de l’indigène:

    – source : dénoté, peut avoir comme signification de base» point d’eau», «fontaine», mais connoté nous pouvons lui donner le sens de «symbole de la vie», et de» pureté».

    – Arabe : dénoté signifie» Algérien»,» autochtone», connoté, et en référence au texte de Louis Bertrand cité plus haut, il peut prendre le sens de pouilleux, sale, laid, misérable, stupide, barbare, taré et vicieux.

    Opérant la commutation donc, nous ferons la proposition suivante :

    « J’ai fait quelques pas vers la source (la vie, la pureté) l’Arabe (pouilleux, sale, misérable) n’a pas bougé.»

    Et dire que dans « le quotidien» du samedi 21 novembre 2009, p.17 on nous suggère que A. Camus s’identifiait à l’Arabe. Il y a de quoi s’arracher les cheveux !

    Oui Momo(quotidien du 28 décembre 2009)avait raison de dire que «choisir entre sa mère et la justice, c’est sa mère qu’il choisira»était la phrase la moins absurde de Camus, car c’est à l’aide de cette phrase qu’il faudrait relire «l’Etranger», en effet ,si parce que la mère du personnage est morte de mort naturelle, celui ci ira se «catharciser» en exécutant un arabe, non pas d’une balle, mais de quatre, qu’est ce qu’il aurait fait si sa mère l’eut été par une bombe jebhiste?

    Meursault est il un double, un transfert psychanalytique qui libère son auteur ?

    Pour lui peut être que les mères déchiquetées dans la rue des Abencérages n’en étaient pas! Qu’elles n’étaient que des ‘’fatma »,que ça ne comptait pas ! Il est algérien veut- on nous en persuader. Oui, mais il n’est que né en Algérie au même titre que Salan, Ortiz, et Susini, c’est tout.

    Deuxième extrait :

    «mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois-ci, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau.»

    Nous nous sommes proposés d’analyser cette image de «sans se soulever, l’arabe a tiré son couteau», image implicite de l’indigène toujours armé d’un couteau, qui fait corps avec son couteau autant que peut l’être sa main ou sa jambe, en vérifiant si nous n’avions pas encore ici une stabilité dans cette représentation de l’indigène par rapport à d’autres écrits d’Albert Camus, nous lirons :

    Un extrait de» le Premier homme» pouvait nous fournir l’opportunité de vérifier :

    Soldat en 1905, le père du narrateur dans ce roman, évoque ce qu’il avait vu:

    «C’était la nuit (…) dans un coin de l’atlas, Comery et Levesque, devaient relever la sentinelle (…) Ils avaient trouvé leur camarade la tête renversée (…) Il avait été égorgé (…) La deuxième sentinelle avait été présentée de la même façon.»

    Donc, nous voyons que l’image de l’«indigène-couteau» n’est pas pour le moins accidentelle, mais elle semble être stable dans la caractérisation de l’indigène chez Albert Camus, elle se répète.

    Troisième extrait tiré de «Le Premier Homme», éditions Gallimard 1994, page 257-258.

    «Ce peuple attirant et inquiétant, proche et séparé, qu’on côtoyait au long des journées (…) et, le soir venu, ils se retiraient pourtant dans leurs maisons inconnues, où l’on ne pénétrait jamais, barricadés aussi avec leurs femmes. (…) Ils étaient si nombreux dans les quartiers où ils étaient concentrés, si nombreux que par leur seul nombre, bien que résignés et fatigués, il faisait planer une menace invisible. (…)»

    L’image, la représentation de l’indigène, celle de tout le groupe social, que nous allons essayer de faire ressortir est faite d’au moins trois aspects :

    Le premier aspect est celui qui évoque, sous-entend, la présence en un face-à-face entre deux communautés distinctes, c’est ce que peut bien laisser comprendre l’emploi pertinent de l’adjectif démonstratif «ce» qui désigne en fait le peuple qui est regardé. Un peuple qui regarde un autre peuple. Voyons un peu comment celui qui écrivait en « s’identifiant» à l’Arabe s’y était pris pour se faire reconnaître de son lecteur.

    Un regard posé qui suggère que les deux communautés sont étrangères l’une pour l’autre, et ce que restituent les passages suivant:

    - « leurs maisons inconnues.»

    - « où l’on ne pénétrait jamais.»

    Ce sentiment d’être en présence de deux communautés distinctes est renforcé par un autre, celui de la méfiance :

    - « barricadés aussi avec leurs femmes.»

    Le deuxième aspect est cette référence répétitive, à la limite de la paranoïa, au nombre :

    - « si nombreux.»

    - « concentrés.»

    - « si nombreux.»

    - « leur seul nombre.»

    Le narrateur qui écrivait, paraît-il, en s’identifiant à « l’Arabe», pardon de le rappeler encore, se présente aux autres de façon bien étrange et bien inquiétante. Nous voyons bien ici que ce n’est pas du tout à l’Arabe qu’il s’identifie, mais plutôt qu’il attise chez les européens le sentiment de vivre un siège, de « peur sur la ville», d’être en permanence submergés, écrasés sous le nombre, il attire l’attention, il souligne, il met en relief, il insiste sur cette situation dangereuse. Et tout cela est loin d’apaiser les esprits. Il s’agissait de faire comprendre de qui il faut avoir peur. Une autre image, additive à celle du nombre, est celle que suggère l’emploi la forme pronominale « se retirer». Le dictionnaire» le Robert» des synonymes, donne pour le sens dénoté de ce verbe « partir», mais au sens connoté il lui donne les synonymes suivants : « se replier», « reculer», « battre en retraite».

    Si nous devions encore opérer par commutation, nous pouvons avoir la proposition suivante qui traduira la représentation de l’indigène:

    « (Qu’après nous avoir envahi,) le soir venu, ils se retiraient (ils se repliaient, ils reculaient, ils battaient en retraite,) dans leurs maisons inconnues (…)»

    La représentation des indigènes, ici, peut-être très bien rendue par « une armée d’envahisseurs, etc.»

    Le troisième aspect est contenu dans» bien que résignés et fatigués, ils faisaient planer une menace invisible.»

    «bien que «locution conjonctive, a, nous semble-t-il ici, pour particularité d’éclairer, d’attirer l’attention, d’alarmer, de ne pas se méprendre sur les intentions de ce peuple, cela peut vouloir indiquer de se méfier de l’image que l’indigène se donne de lui car elle est fausse, parce que :

    – « résignés» suppose qu’ils ne l’ont pas toujours été.

    – « fatigués» suppose les innombrables soulèvements de ce peuple.

    Après avoir indiqué ces trois aspects, nous ferons la proposition suivante de l’explication de la représentation de l’indigène à partir de cet extrait, en fait la vision de la société regardante: « ce peuple si nombreux et qui nous est resté étranger, qui vient chez nous alors qu’on ne va jamais chez eux nous, et qui dès le jour levé se répand dans notre ville, ce peuple, sous ses airs de vaincu, reste potentiellement dangereux.»

    Nous pensons avoir pu mettre en évidence un aspect de la représentation de l’indigène, d’où la vision de L.B n’en est pas exempte, et que si Meursault est narrateur, il n’en reste pas moins un être de papier construit pour « le faire», à qui on prête une voix pour « le dire»,et on essaiera de convaincre que c’est lui qui organise le récit, et on oublie qu’il n’est qu’un produit , qu’il n’existe pas en dehors du roman.

    Diderot déjà ne s’était pas tromper dans son «Eloge à Richardson» quand il s’adressa à l’auteur plutôt qu’au narrateur : «cet auteur ne fait point couler le sang(…)» et plus loin «Richardson sème dans les coeurs». Et plus prés de nous encore, Sylvie Patron dans l’article « Le narrateur», paru sur le site de Fabula.org, où elle cite Wayne C Booth : « Nous ne devons jamais oublier, que si l’auteur peut dans une certaine mesure choisir de se déguiser, il ne peut jamais choisir de disparaître.»

    Le choix d’un adjectif plutôt qu’un autre trahi son intrusion. Donc on n’a pas à demander à un écrivain d’être auteur et acteur, puisque cela va de soi, il l’est de fait, à moins de faire dans la naïveté et de prendre les gens pour ce qu’ils ne sont pas.

    La représentation de l’indigène chez Guy de Maupassant:

    Après celles de Camus, nous essayerons de les mettre en évidence, à travers deux extraits de deux nouvelles en particulier:

    «Allouma» et «Mohammed-Fripouille».

    Le contexte ici peut sembler différent dans la mesure où nous pouvons supposer que la métropole était peut être restée assez à l’abri de la rhétorique bertrandiène, puisque ce dernier n’hésitera pas à qualifier une partie de cette classe intellectuelle française qui s’était laissée emporter par l’euphorie de l’entreprise de (Voir la Préface de «Notre Afrique») :

    «Viel exotisme romantique (qui) nous apparait comme une déformation et une mutilation systématique des réels (…) ordinaires écrivains coloniaux et (…) antiques paladins de l’exotisme».

    Donc, nous pouvons nous croire être autorisé à supposer que nous retrouverons peut être une autre représentation de l’autochtone.

    Et il y a ce passage dans» Bel Ami» qui, peut être en l’ancrant dans le vraisemblable, peut nous renseigner sur l’état d’esprit, ambiant, du milieu intellectuel de l’époque:

    «Faites nous tout de suite une petite série fantaisiste sur l’Algérie. Vous raconterez vos souvenirs, et vous mêlerez à ça la question de la colonisation».

    Nous tenterons donc de retrouver l’image et la représentation de l’indigène véhiculée dans les nouvelles de Guy de Maupassant, et donnée à lire et à voir au lecteur de métropole, et ceci à travers les extraits suivant:

    Extrait de «Mohamed-Fripouille»:

    Premier extrait :

    «la maison achetée par le capitaine était une ancienne demeure arabe, située au centre de la vieille ville, au milieu de ses ruelles en labyrinthe où grouille l’étrange population des côtes d’Afrique.»

    Dans cet extrait c’est le verbe conjugué « grouille» qui a attiré notre attention. Le verbe «grouiller» synonyme de fourmiller, abonder, pulluler, renvoie l’image du nombre, image que viendra préciser le sens étymologique de ce verbe qui est une réfection d’un mot de l’ancien français «grouler» et qui avait pour sens « s’agiter en grognant».

    Chez Maupassant nous remarquons donc que l’image suggérée est celle du nombre, un aspect dans sa représentation de l’indigène, et que donc nous pouvons la croire stable si nous la rapprochons de celle de Camus.

    Deuxième extrait :

    «Mohamed ordonna «au galop», et nous arrivâmes comme un ouragan au milieu du campement. Les femmes, affolées, couvertes de haillons blancs qui pendaient et flottaient autour d’elles, rentraient vivement dans leurs tanières de toile, rampant, se courbant et criant comme des bêtes chassées. (…)

    «Ils avaient l’air d’oiseaux de proies féroces avec leurs grands nez recourbés.»

    La représentation de l’indigène peut se faire d’après un relevé du lexique particulier employé par le narrateur : « tanières, rampant, bêtes, chassée, oiseaux de proies, féroces, grands nez recourbés». Ces termes appartiennent au champ lexical d’ « animal» d’une part, et d’autre part le groupe nominal « grand nez recourbé»qui peut renvoyer à celui de «laideurs affligeantes» employé par L. Bertrand, et semblent ainsi être aussi d’une stabilité dans la caractérisation de l’indigène.

    A suivre

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  2. Artisans de l'ombre Dit :

    Le paradigme de l’Arabe, ou la représentation de l’indigène dans la littérature coloniale

    par Kaddous Mohammed Zinel Abidine
    Suite et fin

    Transgression ou conformité à travers les codes linguistiques, esthétiques, et idéologiques.

    Il s’agit d’examiner les codes à l’oeuvre dans les textes, leur position par rapport aux codes de leur temps:

    France Vernier, dans l’écriture et les textes,.p 82,écrit: «jamais un écrit conforme aux normes de la langue, telles qu’elles sont imposées, en même temps qu’à celles du «beau» telles aussi qu’imposées, n’a réussi à s’imposer comme texte littéraire.»

    Le code linguistique:

    Il faut d’ors et déjà établir que la compétence linguistique de l’auteur n’est pas à faire, car il est philosophe de formation et de grande culture certaine, et donc son rapport à la langue commune est une opportunité offerte à sa capacité d’innover:

    extraits de «La Peste»: »Les curieux évènements qui font le sujet de cette chronique se sont produit en 194. à Oran. De l’avis général, ils n’y étaient pas à leurs places, sortant un peu de l’ordinaire. A première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la cote algérienne.

    La cité en elle-même, on doit l’avouer, est laide (…), et on peut continuer comme ça sur des pages et des pages, ce qu’on peut relever c’est que la syntaxe est normative, les phrases de construction classique: sujet, prédicat, expansion. Nous pouvons affirmer sans nous tromper que toutes ses fictions sont écrites d’usages normées, des récits qu’on lit avec facilité parce que soumis à l’usage linguistique dominant dans l’Algérie coloniale. Y avait on entendu parler de Tristan Tzara ou de Philippe Soupault ? Peut être. Pour juger de l’innovation en matière de linguistique, il faudrait opérer par comparaison avec d’autres auteurs:

    Extrait de «Les lauriers sont coupés» d’Edouard Dujardin:

    «Je surgis ! Voici que le temps et les lieux se précisent; c’est l’aujourd’hui; c’est l’ici; l’heure qui sonne; et autour de moi, la vie; l’heure, le lieu, un soir d’avril, Paris, un soir de clair de soleil couchant, (…).etc.

    «L’auteur dans cet extrait, transgresse en broyant les descriptions, minimalisant la phrase, l’asséchant, en un mot il innove, il donne à sa compétence linguistique toute la latitude de créer et d’exprimer, il ne mâche pas le travail au lecteur, son narrateur n’a plus l’_il collé au rétroviseur, il sait que son lecteur suit. C’est en ce sens que le code linguistique innove et participe à la création. Est ce le cas chez Camus ? A vous de voir !

    Un autre exemple de transgression:

    Extrait:

    «Je l’avais bien senti, bien des fois, l’amour en réserve. Y’en a énormément. On ne peut pas dire le contraire. Seulement c’est malheureux qu’ils demeurent si vaches avec tant d’amour en réserve, les gens. Ca ne sort pas, voilà tout. C’est pris en dedans, ça reste en dedans, ça leur sert à rien. Ils en crèvent en dedans, d’amour.»

    À Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, éd. Gallimard, 1972, p. 395

    Le code esthétique:

    C’est, comme le fait remarquer Pierre Zima, dans ‘’pour une sociologie du texte littéraire », la norme esthétique est un produit de la conscience collective qu’il faut transformer en la contestant et en la renouvelant. L’écrivain, tel que nous le fait concevoir Sartre, est celui qui récupère le monde, le donne à voir, non à contempler. Celui qui crée pour dépasser et faire dépasser par son lecteur aussi.Il ne s’agit pas de faire contempler, mais de faire agir. Est ce le cas pour Camus ? Il reproduit sans chercher à provoquer, par l’innovation, le choc salutaire et transformateur de la conscience collective.

    Ecrire l’Absurde restera une fin en soi si le lecteur ne s’écrira pas: «Le monde est ma tache !»(Sartre), »il faudrait qu’elle (une histoire) soit belle et dure comme de l’acier et qu’elle fasse honte aux gens de leur existence », c’est de cette manière que Roquentin (La Nausée) concevait l’esthétique qui devait transformer les consciences. En effet, cette phrase qu’on vient de citer, et qui se trouve à la fin du récit ne le fait pas s’achever, mais opère une soudure avec son début, car ce livre que Roquentin promet d’écrire n’est autre que ‘’La Nausée », c’est une mise en abyme, une circularité. Et par son rapport à la conscience collective, elle fait agir le lecteur à travers une constante remise en question de soi, car cette circularité est aussi en liaison avec un réel, que l’on doit différencier du vraisemblable réservé à l’écriture romanesque, vécu par l’homme, homme constamment à la recherche du sens à donner à son existence face aux échecs qu’il ne cesse d’accumuler; une autre mise en abyme que réalise l’homme dans la réalité, dans sa vie. Elle révèle encore indirectement, cette fois -ci, un intertexte d’arrière – plan, qui illustre ce mal-être de l’homme et sa constante recherche du sens à donner, un exemple:

    Les parutions de l’année 1938:

    Jouhandeau: Chroniques maritales, édition Gallimard 1938 Récits autobiographiques publiés chez Gallimard en 1938, ils appartiennent aux 9 volumes dits «scènes de la vie conjugales»

    Depuis qu’il a épousé Elise, une ancienne danseuse, le narrateur endure un martyre quotidien, elle le néglige pour s’adonner aux tâches ménagères, l’humilie en public, et lui préfère un prêtre bien envahissant.

    Nizan: La conspiration, édition Gallimard, 1938 Cinq étudiants en philosophie fondent une revue «la guerre civile» dans laquelle ils prétendent entreprendre, au lendemain de la guerre 14 -18 une critique insolente et systématique de toutes les valeurs, sous l’éclairage marxiste.

    C’est une sorte de documentaire romancé sur l’état d’une jeunesse dépossédée d’elle-même et nombreux sont ceux qui vivent dans l’oeuvre «un témoignage dur et vrai» (Sartre), d’autant plus dur, dit la critique V. M. Rodriguez, qui par là, l’époque qu’elle interroge, la conspiration est placée sous le signe de l’autobiographie.

    Char: Dehors la nuit est gouvernée. Poèmes, édition Gallimard, 1938 «Mais ces poèmes sont surtout des réactions et des actions, des réactions face à un profond trouble personnel (maladie) et public (problèmes sociaux, montée des fascismes) Henri Mitterrand

    Grenier: Essai sur l’esprit d’orthodoxie, édition Gallimard 1938 «Prenant position dans le cadre de débat intellectuels des années 30 Jean Grenier proteste contre l’esprit d’orthodoxie, c’est-à-dire contre toute attitude philosophique ou politique fondée sur l’exclusion» «l’intellectuel doit garder sa liberté de penser»

    Bernanos: Les grands cimetières sous la lune, Essai édition le Seuil «Porté par un souffle pamphlétaire particulièrement soutenu, cet essai à pour sujet la dénonciation de la terreur fasciste, (…) les grands cimetières sont les charniers où s’entassent les milliers de victimes»

    «Comme les intellectuels de droite de l’époque, Bernanos pense qu’une dictature fasciste peut être le moyen de sortir la société, où il ne voit que décadence et ruine de la civilisation française»

    Aussi, «les grands cimetières sous la lune, ne dénoncent le franquisme que comme fourvoiement d’une idéologie encore porteuse» Henri Mitterrand

    Cocteau: Les parents terribles, théâtre, pièce en 3 actes, édition Gallimard 1938

    «Les parents terribles traitent, sur un mode badin, avec une légèreté ironique, des thèmes fondamentalement tragiques: cruauté de l’amour, difficulté d’être, sentiment absurde de l’existence» B. Valette

    Artaud: Le théâtre est son double sur le théâtre, recueil de textes, réflexions, édition Gallimard

    «(…) la dénonciation d’une imposture faite de mots, de concepts, la culture occidentale n’a plus aucune prise sur la vie» J. J. Roubine

    Joubert: Carnets, édition André Beaunier, pensée 1838 Sous forme de journal intime, Joubert pose les questions les plus pertinentes sur le fondement de la vie intellectuelle et morale de l’individu.

    Michaux: plume précédé de lointain intérieur, édition Gallimard 1938 «Grâce à son personnage, Michaux dresse donc un réquisitoire contre toutes les institutions et les rites contraignants qui régressent une société, quelle qu’elle soit» D. Alexandre.

    C’est en tout cela qu’une esthétique transgresse et innove, et c’est aussi ce qui diffère une grande oeuvre d’une autre, mineure. La littérature algérienne offre un exemple de transgression de ces codes dans le bijou de l’orfèvre M.Benfodil ‘’Archéologie d’un chaos amoureux », un auteur et une oeuvre qui feront date dans le paysage littéraire algérien.

    Car, comment peut il transformer (Camus) quand, d’une part il écrit les valeurs humaines (l’homme se voulant homme, toujours solidaire d’autrui dans «l’Homme révolté», l’action humanitaire dans «la Peste»), et finir par les caricaturer, les railler presque d’une autre part dans «la Chute» même s’il y innove par un style presque théâtral? Comment son lecteur pourra t il s’écrier alors, que le monde est sa ‘’tache » quand il fait dans la thèse et l’anti -thèse, anti thèse à cause de A. Breton, entre autre, qui l’avait vertement tancé d’avoir critiqué Lautréamont et Rimbaud dans ‘’l'Homme révolté », d’avoir impertinemment osé mettre son nez dans la cour des grands? Et sa synthèse fut évidemment ‘’L'Etranger », etc.

    A décharge pour Camus peut être la crainte de ne plus voir suivre ses lecteurs d’Algérie, si jamais il aurait donné dans «le compliqué», tout angoissés qu’ils seront de ne plus rien comprendre, les pauvres, au ‘’charabia d’intellectuels ».

    Le code idéologique:

    Il est sous tendu par des doctrines scientifiques, philosophiques, morales, et sont révélés dans l’oeuvre par des prises de position par rapport au réel, exprimer les rêves des hommes, leur vision du monde. Mis à part l’oeuvre La Peste, où nous trouverons une réflexion philosophique sur le Mal, et la permanence d’un destin de souffrance, ni l’Etranger, ni l’Hôte ne sont expression de ces valeurs humaines universelles, philosophiques, et morales. Et pourtant là aussi Camus a laissé s’échapper l’occasion d’innover, de faire de la création. En effet, philosophe, il avait un concept à expliquer, un débat à proposer, son «syncrétisme culturel(…) il s’agit de l’émergence d’un être nouveau, ayant réussi à faire coexister en lui, des référents aussi divers que différent(…) un syncrétisme idéologico-symbolique»écrira Mr Med. Lakhdar Maouguel dans ‘’Albert Camus Assassinat post mortem, édit. APIC.

    Il serait peut être intéressant de lire toute l’oeuvre de Camus à partir du ‘’tout et des parties » que propose Goldman dans ‘’le dieu caché », tenter de montrer comment il avait commencé et où il avait abouti.

    Donc, en se résumant, et de notre point de vue bien sur, l’auteur ne semble pas avoir fait ni transgressions, ni innové, ni contrevenu à l’usage de la norme, donc pas de création, il était en conformité, en rapport avec les codes de son temps, alors pour quelle raison particulière le centre lui avait il concédé ce privilège ? Y avait-il un autre code secret qui faisait entrer en ligne de compte des éléments extra -littéraires? Dans ‘’Clefs pour la lecture des récits’ convergences critiques ll, ouvrage d’où nous avons tirés méthodes, avis et citations, il y a ce passage qui en dit long sur certaines pratiques de ce centre: «Le cas d’Albert Camus est un exemple privilégié d’un écrivain parti de la périphérie(l’Algérie coloniale productrice d’une littérature coloniale de seconde zone et d’une littérature autochtone «minorée») a été reconnu par le centre, avec des réserves à son égard toutefois du coté des ‘’héritiers » de la ‘’grande » littérature française à ce jour». Un intrus en somme.

    Comme quoi qu’il faut se méfier des agents littéraires qui excellent tant dans l’art de bien vendre. Ils nous vendront bien le Chéri bibi de Leroux pour de l’Homère, et Rintintin pour du Faulkner, si on le leur demande.

    Et si l’on continue après cela à s’extasier et à baver pour Camus et certains de ses livres, et écrire, comme cette énormité: «qu’il fait partie des fondateurs d’Alger Républicain» eh bien lisons ce qu’ont écrit B. Khalfa, Henri Alleg, A.Benzine dans ‘’La Grande Aventure d’Alger Républicain ‘’p 21:

    «Pascal Pia, à son tour, recrute Albert Camus. Le future Prix Nobel (…) cherche un emploi. Il n’a aucune expérience de journalisme et c’est à Alg.Rép. qu’il va faire son apprentissage. Jusque là, il s’est occupé de théâtre et de littérature. (…) Mais contrairement à la légende que lui-même et ses adulateurs alimenteront lorsqu’il sera devenu un écrivain reconnu et choyé, (…) il n’est nullement ouvert aux aspirations nationales du peuple algériens et encore moins à l’idée d’une future indépendance.» Ceci est écrit par ceux qui l’ont connu ‘’sigane wetwabeg », pas de deuxième main.

    Allez ! Inutile d’en dire plus va ! Ou plutôt si, et peut être tout aussi important que cette mise à nu de l’écrivain en question. C’est ce tapage médiatique qu’il faudrait s’expliquer. Pourquoi y’en a-t-il seulement que pour lui, alors que les autres écrivains, et de loin les meilleurs, ne méritent souvent qu’un entrefilet ? Mme Rolland, Flaubert l’artiste, Henri Pottier, René Clément, Louis Ferdinand Céline, Sartre, De Beauvoir, pour ne citer que ceux là, sont jetés aux oubliettes, mais on ne continue à n’avoir que pour l’autre, c’est donc qu’il répond à un objectif bien précis, à un cahier de charges bien particulier. Or que s’était il passé tout récemment ? N’avait on pas, pour dépasser un certain passé douloureux, demandé des excuses pour ce passé colonialiste ? Alors non seulement il n’en a pas était question de le faire, mais mieux, on ressort Camus, c’est-à-dire, pour celui qui sait bien lire: » on peut vous rappelez qui vous êtes au cas où vous l’aurez oublié ? ».

    Rien de ce qui se fait ailleurs n’est innocent. Tout est lié, pour certains la guerre d’Algérie n’est pas encore finie, et Camus n’est pas seulement un nom, mais comme aiment à expliquer les linguistes pour le mot, c’est aussi un contenu sémantique. Donc, ce cheval de Troie qu’on présente devant la Citadelle Alger, il n’est pas entrain d’effectuer de la danse du ventre, ni de charmer, et ni de séduire. Pour celui qui sait bien écouter la musique, il entendra, peut être, comme bruit de fond, celui d’une certaine nuit des casseroles, et d’un autre siècle.

    Et jusqu’à quand ? Jusqu’à quand voudrait-on toujours nous ramener à cette page que nous, et beaucoup d’autres là-bas aussi, avons essayé de tourner?

    La liberté ne s’incorpore pas à l’histoire, c’est l’Histoire qui n’est que Liberté, et ce depuis Jugurtha.

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