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Yasmina Khadra Le bédouin qui rencontra le phénix

19 janvier 2010

Non classé

Yasmina Khadra Le bédouin qui rencontra le phénix

Le dernier portait que fait de lui Le Nouvel observateur, sous le titre «L’incroyable Monsieur Khadra» tient à la fois de l’hommage et du décodage.

En 2001, en tombant le masque de Yasmina Khadra, Mohamed Moulessehoul, faisait tomber aussi le masque de certains critiques bien-pensants.

Amère souvenir que celui de cette libraire annulant une rencontre avec l’écrivain endécouvrant qu’il était un militaire « défroqué » !


Notre Yasmina Khadra national tient du « chevalier Bayard et de Victor Hugo». Rien de moins. Et, précise l’auteur du texte, qu’au-dessus de sa tête, dans son bureau du Centre culturel algérien à Paris, était fixé la photo de Saint-Exupéry, son ange protecteur. Dans un long entretien, Yasmina Khadra retrace son parcours, dont le succès l’apparenterait selon le journaliste à un «Marc Lévy algérien». L’hebdomadaire multiplie les métaphores et les comparaisons avantageuses. On y sent comme l’écho d’une mauvaise conscience soldée à l’égard d’un écrivain, qui ne craint pas de dire tout haut ce qu’il pense d’abord à ses frères et aussi à ses hôtes. Car après la fulgurante révélation d’un romancier qui mobilisait avec brio les ressources du polar pour décrypter le drame algérien né de la montée sanguinaire d’un intégrisme -à l’issue d’une dérive théologico-politique, vite éloignée de la «protestation sociale» diagnostiquée au début-le mystérieux Yasmina Khadra en dévoilant, après avoir signé quelques romans noirs, son identité, celui d’un officier supérieur s’adonnant à ses heures perdues à la littérature, fut confronté de tous côtés à des procès staliniens d’un autre âge. En 2001, en tombant le masque de Yasmina Khadra,Mohamed Moulessehoul, faisait tomber aussi le masque de certains critiques bien-pensants. Un écrivain sous l’uniforme, ça n’est pas rassurant… On a vite fait d’oublier de glorieux antécédents : Alfred de Vigny (avec lequel M. Khadra, nous semble-t-il, a plus d’affinités que le vieil Hugo dont tout le monde peut se réclamer). Et pour référence avec un “écrivain du pays”; nous serions tentés de préférer la comparaison avec Jules Roy, ce colonel aviateur qui choisit de dénoncer la guerre d’Indochine et de quitter l’armée française plutôt que de perdre son âme. Ce fut un ami admiratif de Camus que cite Y. Khadra pour rappeler : “On n’a pas le même talent, mais il avait cette naïveté que j’avais moi-même : croire que le milieu des intellectuels est éclairé, alors qu’on y rencontre un maximum de ténèbres et de noirceur, de méchanceté et de stupidité.» Jules Roy sensibilisé par Camus à « la question algérienne » prit alors des positions plus radicales que celles de son ami Camus. Mais c’est là un autre débat… Amère souvenir que celui de cette libraire annulant une rencontre avec l’écrivain en découvrant qu’il était un militaire « défroqué » ! De tels affronts, Yasmina Khadra en a par dizaines. Et quand malgré tout, l’oeuvre force le succès, l’admiration et en particulier les tirages dans le monde entier : 150 000 lecteurs pour «Les Hirondelles de Kaboul» et «L’Attentat» choisi pour une adaptation au cinéma par Hollywood, une certaine presse s’empresse à faire état d’un ego démesuré de l’écrivain, lui prêtant une phrase qui fit couler beaucoup d’encre chez les commentateurs sur Internet ( que ce dernier qualifie au passage d’immense dépotoir) à savoir que son nom était plus connu que celui de l’Algérie. Phrase apocryphe que Yasmina Khadra récuse. Or ce Bédouin qu’il aime à être, (enfant du Sahara pétri de « six siècles de poésie » et de valeurs « ne ressemble pas aux écrivains du Nord auxquels on veut m’associer ») : «Dès l’âge de 9 ans, à l’Ecole des Cadets de la Révolution, j’ai été formaté pour aimer mon pays et être prêt à mourir pour lui. Je l’ai vu plonger au fin fond de la barbarie. J’ai fait la guerre pendant huit ans, persuadé d’y laisser ma peau.Moi, j’ai ramassé mes hommes à la petite cuillère…». Il y avait eut malentendu pour reprendre un terme camusien. On attendait un Soljénitsyne algérien dans les cénacles parisiens, on fut pris de court par un homme de lettres patriote : «L’Algérie, je ne l’ai pas défendue dans les salons, mais dans le maquis. Alors oui, je veux continuer à la servir. Elle a eu besoin de tous.» Il aggrava son cas avec sa nomination à la tête du Centre culturel algérien de Paris. Aujourd’hui, son credo : «Dissiper une psychose, créer une revue, pour faire connaître  des écrivains d’Algérie, qui n’ont pas l’audience qu’ils méritent.» On ne manquera pas de lui agiter ses propos tenus quelques mois, avant sa désignation au CCA dans le quotidien espagnol El Pais, où il fustigeait des «gouvernants, constamment en prière, genoux au pied du seul dieu dont ils se réclament : le Pouvoir !» Avait-on lu vraiment ses premiers romans ? Une sourde inimitié que lui vaut son talent et son franc-parler, (et parfois, comme pour tout artiste dont le cheminement se déroule non loin des artrefacts de Narcisse nourrissant en retour son imaginaire créatif)) a atteint un degré significatif avec son avant-dernier roman, “Ce que le jour doit à la nuit” en piste pour le Goncourt 2009. Superbement ignoré. Il faut penser que Yasmina Khadra, pourtant aguerri, a eu la naïveté de croire qu’écrire sur la guerre d’Algérie, même sous une forme hautement romanesque, pouvait conduire au prestigieux prix Goncourt. Pour l’Afghanistan, ça pouvait se concevoir Pourtant il avait signé en précurseur «Les hirondelles de Kaboul». Mais c’est l’Afghan Rahim Attiq, qui ramassera la mise. Trop tôt, en avance ou anachronique : une saga sur la guerre d’Algérie ( à l’instar des «Chevaux du Soleil» de Jules Roy, encore lui…), ça donne de bons tirages mais pas la consécration littéraire suprême. Et «Des Hommes», “le roman algérien” de Laurent Mauvignier consacré par la critique, vient de le confirmer, si besoin est. Il est bien loin le temps du Goncourt du Franco-Marocain Tahar Ben Jelloun… Et encore davantage celui d’Assia Djebbar entrant royalement à l’Académie française. Mais avec ce marathonien du roman (en regard les titres de son confrère Boulalem Sansal restent peu nombreux mais, avec ceux de Anouar Benmalek, tout autant saillants dans le PLAF le paysage littéraire algérien francophone familier des deux rives). De sa déconvenue, Yasmina Khadra en est revenu. Pour preuve, il nous donne à lire en début d’année, “L’Olympe des Infortunes” ( Julliard). Ce livre évoque l’histoire de vagabonds et de marginaux en Algérie. «J’ai toujours été fasciné par les marginaux. Ce sont des divinités, pas des vaincus, mais des gens qui ont compris une chose que je ne comprendrai jamais : ils ont la force ou la folie d’avoir renoncé à être les otages de nos ambitions les plus extravagantes», s’explique le romancier. Yasmina Khadra n’attend pas, il est constamment dans le mouvement. Il faut courir derrière lui, pour ne pas être en retard d’un roman. En attendant de lire le dernier Yasmina Khadra, il est peut-être utile de revisiter son parcours et son oeuvre. Yasmina Khadra, sous son vrai nom, Mohamed Moulessehoul, a publié d’abord plusieurs ouvrages en Algérie, à l’Enal : “Houria, Amen !” (1984), “La Fille du pont” (1985), “El Kahira” (1986), “Privilège du Phénix” (1989) et “De l’autre côté de la ville” (L’Harmattan, 1989). Autant d’ouvrages consacrés à la vie des petits gens et aux péripéties de la fatalité, qui dénotaient un tempérament. Mais c’est avec “Le Dingue au bistouri”, sous un pseudonyme, qu’il change de registre et de tonalité, et il obtient un impact remarquable. Dans ces années-là, la littérature algérienne, irrespectueuse du discours officiel, continuait à être vouée à l’exil et introuvable sur le marché. En s’orientant, au polar, vers un genre considéré à l’époque comme mineur, il a signé les titres majeurs d’une décennie apocalyptique. Tambour battant, son personnage fétiche, le commissaire Llob, entraînera les lecteurs dans les abysses de la manipulation sociale et politique : conventions et unanimisme ambiants éclatent, les mots fusent dans une gouaille implacable, la corruption a un visage et l’intrigue avance à rythme soutenu ponctué d’échappées lyriques. “La Foire aux enfoirés” (Laphomic, 1993) confirme l’essai : l’envers du pays est mis en lumière sans fard et ses tares mises à nu, avec un humour féroce.Une fois de plus, l’intime dialectique entre histoire et création accouchait d’une oeuvre remarquable. Le coup de maître a lieu avec la publication de “Morituri”. L’auteur extrait son commissaire du fait divers pour le confronter, dans la troisième aventure de son cycle, à la terreur intégriste qui venait de s’abattre sur l’Algérie. Le livre paraît en 1997 (Editions Baleine) en France où désormais Yasmina Khadra, ayant rejoint la cohorte des révélations littéraires reconnues, signera ses oeuvres ultérieures. “Morituri” est un livre profondément désenchanté et amer face à l’horreur quotidienne dont ne peut venir à bout un simple commissaire de police. Car le pays est malade, son système génère des monstruosités, la société elle-même est hors limite : «Chez nous, la modération est un nonsens, un sous-appétit.» «C’est peut-être pour cela que nous demeurons aussi indomptables que déraisonnables», cogite le commissaire. La même année paraît “Double blanc” au titre métaphorique qui renvoie au jeu de dominos. Le commissaire Llob et ses comparses (Lino, l’adjoint taciturne, Baya la secrétaire, renforcés par un nouvel arrivant, une sorte de Terminator, Ewegh Seddig) repartent pour de nouvelles aventures. Le contexte est toujours identique : c’est le temps où «le pays vêlait d’une démocratie informe. Le peuple réclamait des profanateurs de tabous, ovationnait les charmeurs de vérités ». Parmi les démagogues de l’heure, Ben Ouda, auteur d’un «époustouflant réquisitoire sur le socialisme scientifique d’anciens montreurs d’ânes» est décapité. Enquête dans les contrées où la manipulation est érigée en art. Ici, la charge est plus tonitruante contre un système qui a sécrété lui-même la terreur qui bouleverse le pays : par incohérence et par calcul pour se succéder à luimême sous des habits neufs. Le réquisitoire est sans appel dans des paysages cauchemardesques striés par le tonnerre. Les connexions entre les arcanes du système politique et la dérive mortifère de l’intégrisme sont démontées par Yasmina Khadra, avec un sens du raccourci inédit dans la littérature algérienne. C’était aller trop loin, peut-être… Dans “L’Automne des chimères”, Houbel, le supérieur hiérarchique, admoneste Llob pour ses activités extra-policières. Comme son père spirituel, ce dernier s’adonne à l’écriture et a signé un Morituri ! Brahim Llob, commissaire en rupture de ban, a dépassé la ligne permise du grand jeu. Après le meurtre de plusieurs de ses amis, l’idéaliste attardé tombe à son tour sous les balles dans une conclusion désespérée: «L’Histoire retiendra de la dérive d’un peuple qui a la manie de toujours se gourer de gourou, et l’opportunité d’une bande de singes qui, à défaut d’arbre généalogique, a pris le pli de s’improviser des arbres à pain et des gibets dans un pays qui aura excellé dans son statut d’Etat second.» Avec une gouaille qui ne craint pas le jeu de mot facile, Yasmina Khadra boucle sa trilogie. OEuvre au pessimisme tranché, “L’Automne des chimères” est aussi une sorte d’adieu aux armes.Ayant fait occire son héros, Yasmina Khadra n’abandonne pas pour autant ses thèmes. Avec “Les Agneaux du Seigneur”, il va les rassembler dans un geste en démultipliant les personnages – campés avec davantage de nuances- en restituant la complexité de leur cheminement et en mettant en exergue le poids du passé dans les conduites présentes. Dans un village, Ghalimat, oublié des dieux, engoncé dans la tradition mais encore épargné par les turbulences, on assiste à la rapide montée triomphale de l’islamisme politique face aux représentants d’un pouvoir endormi sur ses lauriers d’antan et gangrené par la corruption. Dans “Les Agneaux du Seigneur”, à la description d’un système impuissant à répondre à l’attente de la nouvelle génération, l’écrivain donne à lire également le glissement progressif d’une partie d’elle, vers un radicalisme mortifère. Avec “A quoi rêvent les loups” (1999), Yasmina Khadra retrace la descente aux enfers d’une ambition contrariée et sa mutation en carrière sanguinaire au nom d’une certaine idée de la loi de Dieu… Après la mise à mort du commissaire, dans ses derniers titres,Yasmina Khadra signifiait son passage à une catégorie nouvelle de la littérature, la littérature tout simplement. Il usera toujours à bon escient des techniques du polar qui lui ont si bien réussi, comme dans “L’Attentat” (Julliard, 2005), après avoir entamé une sorte de trilogie « globale » avec « Les Hirondelles de Kaboul », conclue par « Les Sirènes de Baghdad ». Dans une interview qu’il nous a accordée, il y a quelques années, nous demandions à Yasmina Khadra : A quand le retour, ou plutôt la résurrection du commissaire Llob ? Il nous avait assuré qu’il y pensait. Pour celui qui a rencontré le phénix, cela n’est pas impossible. Patience, c’est l’une des vertus cardinales des hommes du Sahara. Abdelmadjid Kaouah .

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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