Par Saïd Ould-Khelifa (Cinéaste) > Au départ , il y a eu cette «erreur d’aiguillage » dans la pensée d’un ami cher, cinéaste dans un premier temps, puis militant enfin,par la force des choses, responsable politique : Hachemi Chérif, en l’occurrence.
Il a été le premier à penser, dès la sortie de la nouvelle en France, qu’il y avait- là, un matériau cinématographique réel, en parlant de «Double Blanc » de Yasmina Khadra. Quelques décades plus tard, un échange de mails avec l’écrivain algérien, à propos de littérature et voilà que sa proposition de réfléchir ensemble sur un film genre «Macadam Cow Boy de banlieue » vient titiller une curiosité déjà présente, dès «A quoi rêvent les loups » (son meilleur, du point de vue dramaturgique). Mais avant d’aller plus loin, il est important de poser en termes clairs l’équation, en usage au cinéma, qui fait d’une oeuvre écrite, un film… « Une chose n’est pas nécessairement vraie parce qu’un homme meurt pour elle. » (Oscar Wilde), il serait donc utile de rappeler qu’un chef-d’oeuvre littéraire ne peut nécessairement pas déboucher sur un produit filmique de bonne facture. Même si, pour certains, le box-office est supposé épouser la courbe du best seller… Il suffit de penser au tabac fait par l’écrivain Michel Lévy avec « Et si c’était vrai », dont les droits avaient été achetés par Spielberg, deux millions de dollars (avant même la parution du roman !) et de la grande déception qu’ a provoqué le film éponyme de Mark Waters qui avait caracolé en tête à sa sortie, avant de s’essouffler devant la déception de ceux qui avaient adoré le livre… Il y a eu aussi le cas de « L’Alchimiste » de Paulo Coelho, dont les droits sont passés entre les mains de pas moins de cinq producteurs. En 2008, au Festival de Cannes, l’écrivain brésilien à succès s’était même déplacé sur la Croisette pour annoncer le scoop : « Laurence Fishburne sera à la fois réalisateur et acteur de cette adaptation du roman, alors que les producteurs sont actuellement en discussion avec un scénariste oscarisé dont le nom n’a pas été révélé.Le tournage, pour un budget d’environ 60 millions de dollars se déroulerait en principe en Europe, en, Jordanie, à Abu Dhabi ou bien encore au Maroc. Pénélope Cruz pourrait jouer un rôle ! ».Mais depuis rien ! Et c’est donc là que les travaux d’un Christian Metz, par exemple, autour de la narratologie et de la sémiologie, peuvent être appelés à la rescousse, dès lors qu’il s’agit, toujours à propos de l’adaptation, de constater, par voie de conséquence,(et une fois avérée, l’irréductibilité d’un film à un livre), l’impossibilité de rabattre l’étude d’un récit cinématographique sur celle d’un récit littéraire ! «L’étude comparée des catégories comme celle du narrateur, de l’énonciation, de la focalisation, de la profondeur de champ, de la temporalité a fait avancer la connaissance séparée des deux domaines (littérature et cinéma), en faisant apparaître que les systèmes sont hétérogènes et que les catégories d’analyses ne sont pas exportables telles quelles mais se reconfigurent complètement au passage » disent les sémiologues depuis les années soixante ». Déjà ! Le gourou américain du scénario, John Truby, ne dit pas autre chose,dans ses (onéreux) séminaires qui durent le temps d’un week-end, mais qui sont d’un apport certain pour tout cinéaste qui ambitionnerait de faire du cinéma et a fortiori d’adapter aussi de l’écrit. Dans «Adaptation » de Spike Jonze, le héros, scénariste en crise d’adaptation, convoque carrément à l’écran, Truby himself pour qu’il fasse sur son scénario une « chirurgie express », histoire de rappeler l’impasse dans laquelle pourrait se trouver celui qui s’engage dans un chemin ( sans issue) censé mener de l’écrit à l’écran. Quid de l’oeuvre de Yasmina Khadra, serait-elle adaptable dans son intégralité. ? La tentation serait d’être catégorique et de dire sans nuance : Non ! Mais ne s’agissant aucunement d’une science exacte, répondre aussi par l’affirmative à cette même question ne relèverait pas forcément de la posture contradictoire ?… Etant entendu que le style de Khadra reste plus que jamais à la hauteur du propos. Sauf que certains romans de Yasmina Khadra sentent « l’adaptabilité »– pour user d’un barbarisme commun-plus que d’autres. Un film s’articule autour d’un thème et d’une thématique qui doivent nécessairement être identifiés dès le départ. A défaut, il y aurait …hiatus, malgré répétons-le, la qualité de l’oeuvre. Chez l’écrivain algérien, il y a certaines oeuvres automatiquement éligibles, à l’image des « Hirondelles de Kaboul » ou de « l’Attentat », alors que d’autres, malgré la portée du propos, nécessitent un travail approfondi d’adaptation pour les transformer en images. A ce sujet, le cas de «Ce que le jour doit à la nuit » est intéressant à plus d’un égard. En effet, c’est l’esprit «saga» qui, d’emblée, laisse penser que cette oeuvre peut être aisément transposée à l’écran et encore plus au petit écran. Et Alexandre Arcady a bien flairé le coup. Habitué qu’il est à la chronique familiale s’étalant sur plusieurs générations, l’auteur du «Coup de Sirocco » ( co-écrit avec Daniel Saint Hamon) semble être la personne idoine pour ce travail. Pour peu que la veine épique qui (trans)porte le récit de Yasmina Khadra ne soit pas sacrifiée à un casting de prestige, alors que c’est le sujet lui-même et l’aura de son auteur qui constituent l’attraction première et essentielle. Dans le passé, il y a eu des méprises de ce genre qui ont carrément « tué » un film : L’adaptation de « La Peste » d’Albert Camus, par l’Argentin, Luis Puenzo en 1992, qui avait souffert d’une mixture de casting : William Hurt, Sandrine Bonnaire et Robert Duvall. Autant de bons acteurs qui avaient été réunis pour les besoins de la co-production et du box office, pourtant… Sur un autre registre, le cas de «Morituri », réalisé par Touita Okacha en 2007, est parlant à plus d’un titre. « Un film se structure en sept étapes, en fonction de l’évolution du personnage principal : ses faiblesses, ses besoins, son désir, son adversaire, sa stratégie, son combat, sa prise de conscience, son nouvel équilibre. C’est d’ailleurs au travers de ces mêmes sept étapes que l’on règle tout problème humain ! » rappelle, à chacun de ses séminaires consacrés à la technique du scénario, l’Américain John Truby. Voilà un roman ( « Morituri ») qui répondait à presque toutes les conditions énumérées plus haut. Or Yasmina Khadra qui n’avait pourtant pas écrit un scénario à la base, mais un roman où résiderait donc le « hiatus » alors ?… Trop long à étayer : disons que l’absence de point de vue aura posé un sérieux problème. Du coup, s’il y avait un thème, la thématique s’était perdue en cours de route. Okacha a fait de son mieux, sans doute. Mais la personnalité de l’auteur a dû, un tant soit peu, « intimider » les co-scénaristes. Il y a aussi l’autre cas de figure, celui qui met aux prises l’opportunité avec l’opportunisme. On n’est pas loin de penser que l’offre américaine d’adapter « L’Attentat » pouvait être (presque) de cet ordre et, fatalement, c’est carrément l’oeuvre qui aurait pris un (sacré) coup dans l’aile ! Les romans de Yasmina Khadra sont si tentants pour des cinéastes (ce qui n’est pas forcément valable pour tous les écrivains) que le risque d’une systématisation de l’offre n’est pas forcément évitable. A tort. Car si «Cousine K » est une pure merveille littéraire qui rappellerait un Nabokov des grands jours, il est loin de suggérer un univers cinématographique, sauf grand chamboulement du texte… Or une telle pépite n’a pas besoin d’autres éclats. « L’Ecrivain », par contre, donnerait un excellent feuilleton algérien et un réalisateur qui aurait l’ambition de Mustapha Badie, celui de « L’Incendie » ferait bien l’affaire… Pour peu que la production soit à la mesure du propos : «Le désarroi de l’élève Mohamed », pour pasticher Robert Musil, l’éveil des sens en moins… Reste à savoir si Yasmina Khadra, l’écrivain, accepterait de jouer le jeu (cruel, concédons- le), face à Yasmina Khadra, l’adapté ? Julien Gracq disait de l’adaptation : »Pour qu’un roman devienne un très bon film , il faut que le film soit autre chose. Il s’agit de chercher une sorte d’équivalent mais qui ne se limite pas à la simple transposition visuelle ». Les grands films tirés de grands livres sont toujours la rencontre de deux artistes qui ont apporté chacun deux visions du monde, mais qui ont un « rameau commun ». Aussi nous risquerions-nous à dire que si Khadra acceptait de se muer, entièrement dans la peau du co-scénariste de son propre texte, la majorité de l’oeuvre écrite trouverait son Olympe. Et ce ne serait pas une première dans la réussite qu’une collaboration entre un écrivain et un cinéaste. Le film «Faux mouvement » de Wim Wenders a été le fruit d’une collaboration entière avec l’écrivain autrichien Peter Handke, autour de ce texte fondateur de la culture allemande : « Les Années d’apprentissage » de Wilhelm Meister…Les romans de Yasmina Khadra peuvent, à bien des égards, sembler intimidants. Leur classicisme en est le label de qualité, mais seule l’acceptation d’une modernité cinématographique peut en assurer la pérennité filmique. L’absence de profondeur de champ dans l’oeuvre de Khadra suggère cela. Mais ceci n’est qu’une question de point de vue, bien sûr…
S. O. K
19 janvier 2010
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