Le lecteur averti y reconnaîtrait facilement quelques jeux de rôles, entre les divinités grecques, de l’Olympe de Zeus et ses compagnons, et les personnages de ce récit. L’ingéniosité de cette fausse réécriture est à lire cependant dans la «peinture» de ces mêmes personnages souvent fantasques, dans les trouvailles de leur noms et prénoms (Ach, Négus, les frères Zouj, Clovis, le Pacha, Ben Adam etc.).
Le dernier roman de Yasmina Khadra «L’olympe des infortunes» ou la fable «Où tout le monde est héros» Après Kaboul, Baghdad, le Liban, la Palestine, l’Oran colonial, Yasmina Khadra a opté, dans son dernier roman à paraître cette semaine, pour un pays qui n’existe pas : le terrain vague. C’est-à-dire une terre sans pays et des personnages sans nationalité à fuir, à défendre ou à retrouver.Par K. Derraz «Ach écarte délicatement son protégé, ensuite, d’un geste grandiloquent, il lui montre la plage, les dunes qui n’en finissent pas de s’encorder, le dépotoir que couvent d’incroyables nuées de volatiles puis, telle une patrie, le terrain vague hérissé de carcasses de voitures, de monceaux de gravats et de ferraille tordue. – C’est ici ton Bled, Junior ». Toute l’histoire de «L’olympe des infortunes» se déroule donc dans ce terrain vague, pris entre la mer et la ville, avec des personnages fantastiques, aux noms surréalistes ou à «clin d’oeil». On est donc loin, pour le dernier roman de Yasmina Khadra, des géographies guerrières de l’actualité internationale qu’il a choisi d’investir avec un flair éditorial incontestable, et très loin de la géographie historique de l’Oran et d’El Malah de l’époque coloniale où il avait installé ses derniers personnages déchirés. Plus encore, on est très loin des personnages fétiches de cet écrivain, des personnages souvent instables, animés par des monologues sans fin, éblouissants, et de l’investissement de l’actualité pour des intrigues «internationales», faussement policières, et capables de fixer le lecteur. Ici donc, on n’est nulle part.Une première infraction au «genre Khadra». En vérité, le dernier roman de Khadra ressemble plus à une fable en remake, qu’à un roman du style habituel de l’auteur. Le lecteur averti y reconnaîtrait facilement quelques jeux de rôles, entre les divinités grecques, de l’Olympe de Zeus et ses compagnons, et les personnages de ce récit. L’ingéniosité de cette fausse réécriture est à lire cependant dans la «peinture » de ces mêmes personnages souvent fantasques, dans les trouvailles de leur noms et prénoms (Ach, Négus, les frères Zouj, Clovis, le Pacha, Ben Adam etc.). Le tableau d’ouverture est consacré à une scène de mise en garde contre la ville et ses illusions, entre Junior, une sorte d’innocence un peu bête et un «ancien», le musicien Ach le borgne. Le reste des chapitres, sans solide intrigue est consacré à l’émergence ou à la mise en confrontation entre différents protagonistes, campant des positions et des visions différentes sur la Ville, la société inversement utopiste du «terrain vague», et la sociabilité. Il faudra attendre les derniers chapitres pour voir émerger le juge, Ben Adam, de cette confrérie «impossible», et voir venir un procès et donc un verdict et une évolution dans cette société hors du temps. Junior, l’enfant émotionnel de Ach, partira alors en ville, abandonnant l’univers pauvre et mystique, entre une mer violente et un horizon dangereux, pour en revenir blessé mais avec la certitude que l’univers de la décharge publique vaut mieux que la jungle dure de la ville et de ses illusions. Pour une fois donc, Yasmina Khadra a choisi d’écrire un roman où l’on ne retrouve pas la femme mais où la féminité est remplacée par celle de la Mer, et où tout le monde est héros et second personnage à la fois. Khadra y décrira un univers et on y lira ses somptueuses façons de peindre les environnements et les paysages et ses dialogues fou et ingénieux entre des personnages que tout sépare et que tout réunit. On comprendra mieux, à la lecture de ce roman, ce que veulent dire deux expressions passées dans la bibliothèque universelle : «Les Dieux sont tombés sur la tête» et «Mendiants et orgueilleux».
19 janvier 2010
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